Toute sa vie, Marie Amann aura défendu le patrimoine culinaire réunionnais. Arrivée dans l’Hexagone il y a une trentaine d’années, la Réunionnaise s’est formée avec les plus grands chefs de la gastronomie française. Pourtant, au départ, rien ne la destinait à suivre ce parcours exceptionnel. Une rencontre a pourtant changé sa vie, celle de celui qui était connu comme le “Cuisinier du Siècle” ou encore “Pape de la gastronomie” : Paul Bocuse. Alors qu’elle vient tout juste de prendre sa retraite, Marie Amann se remémore avec fierté cette carrière hors norme qui a été la sienne.
À la fin des années 80, Marie Amann, alors connue sous son nom de jeune fille Marie Tarby, se voit offrir la possibilité, par une amie, de partir dans l’Hexagone. À La Réunion, elle est couturière et a peu de perspectives professionnelles qui la réjouissent. C’est donc avec beaucoup d’enthousiasme qu’elle fait ses valises afin de pouvoir profiter de Lyon durant un mois, pour les vacances. Finalement, elle s’y installera définitivement. Après des années à enchaîner les petits boulots, une rencontre changera le cours de sa vie. Elle est alors femme de ménage à la Brasserie L'Ouest, restaurant du chef étoilé, Paul Bocuse. « Monsieur Paul prenait le temps de saluer tout le monde », se remémore Marie Amann. « Il m’a dit bonjour, m’a posé des questions : d’où je venais… On a un peu discuté, et puis je lui ai fait la remarque que c’était dommage d’avoir un restaurant des îles sans cuisinier des îles. Il m’a alors répondu : “Vous savez cuisiner ?” Je lui ai dit oui. Et là, il m’a répondu : “Ok, on va parler affaires. Posez votre aspirateur.” Il m’a donnée ma chance et je ne me suis pas dégonflée. J’ai appelé ma maman, je lui ai dit que je devais cuisiner pour monsieur Bocuse. Elle m’a dit “tu es folle.” Je lui ai répliqué que si je ratais, il n’allait pas le savoir puisqu’il ne connaissait pas notre cuisine ». C’est à la suite de ce repas composé d’un carry poisson, d’achards de légumes, de riz basmati et d’une sauce citron que Marie Amann sera engagée à la Brasserie L'Ouest, de Lyon. Elle y travaillera pendant 10 ans.

Une ascension fulgurante
De ces années auprès de Paul Bocuse, Marie Amann a tout appris. « Je n’avais aucun diplôme. On m’a formé à tout. J’ai appris la cuisine française, mais aussi le monde de la production, la mise en table... ». Mais après avoir servi plus de 100 couverts à L'Ouest, sans relâche, tous les jours, la cheffe souhaite voir autre chose. Elle part alors pour une autre enseigne de Paul Bocuse, la Brasserie Le Sud, toujours à Lyon, propose des plats de saison aux saveurs méditerranéennes. « J’y suis restée 5 ans. J’ai apporté mon savoir-faire et j’ai continué d’apprendre. J’ai été formée par 15 grands chefs. À la fin, c’est moi qui formais les jeunes qui préparaient leur CAP ». On doit à la cheffe : les samoussas au poulet et aux amandes, les nems aux gambas, l’achard de légumes, ou encore le fameux carry poisson, qui, même si elle n’est plus aux commandes, continuent d’être proposés à la carte. « J’ai vécu des années merveilleuses. Je n’aurais jamais pu rêver de cela : apprendre tout ce savoir, ramener la cuisine créole aussi loin… Ils ne connaissaient pas ces saveurs. Parfois on faisait des adaptations, mais c’était incroyable ». Riche de son expérience et de son talent, on lui proposera même d’ouvrir son propre restaurant. Elle refusera, et voudra même changer de voie. « Ma situation n’était plus la même. J’avais des enfants, une famille et je travaillais tous les jours du matin au soir. Dans Le Sud, c’était 400 couverts par jour ! » C’est ainsi qu’après 15 ans à évoluer au cœur des enseignes Bocuse jusqu’à devenir cheffe de production, Marie Amann quitte ses fonctions pour une nouvelle aventure.

Une nouvelle vie
Après des années à évoluer dans l'univers de Paul Bocuse, Marie Amann décide de prendre un nouveau tournant dans sa carrière. L’opportunité se présente lorsqu’on lui propose de devenir la gouvernante et la cuisinière personnelle de Jean-Michel Aulas, alors président de l’Olympique Lyonnais. « Il y avait des personnalités, du beau monde, qui venaient manger. Il fallait de la rigueur, de la confiance aussi et de la discrétion. J’étais responsable de tout cela ». À la suite à cette dernière mission, Marie Amann a tiré sa révérence. Le 1er juin dernier, elle a officiellement pris sa retraite, au grand dam de toutes les personnes qu’elle a côtoyées. « Je vais enfin profiter pleinement. Avec mon mari, nous allons voyager. Beaucoup. Les enfants sont maintenant grands, mais il y a désormais les petits-enfants », précise-t-elle en souriant. Le sourire est encore là, lorsqu’elle évoque ce qui l'a aidé à tenir, ces dernières années. « Pour réussir, il faut savoir ce qu’on veut et ne pas avoir peur. Il faut aller vers les gens. Oser ! et avoir cette volonté et cette determination absolue de vouloir y arriver ».

En attendant, celle qui incarne l’essence de la fusion culinaire et la réussite par la passion et la persévérance compte bien profiter de sa toute nouvelle vie. La prochaine destination est déjà connue : la Turquie.
Abby Said Adinani