Portrait. Aux avant-postes de l’IA chez Sopra Steria Next, Bruno Maillot incarne un parcours d’excellence nourri par son héritage réunionnais

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Portrait. Aux avant-postes de l’IA chez Sopra Steria Next, Bruno Maillot incarne un parcours d’excellence nourri par son héritage réunionnais

Né dans l’Essonne de parents réunionnais, Bruno Maillot a grandi avec des valeurs ancrées de travail, de rigueur et de respect. À 40 ans, Partner en charge de la pratique AI for Business chez Sopra Steria Next, il dirige une équipe de 65 consultants en intelligence artificielle. Aujourd’hui, il incarne un parcours où l’excellence se conjugue avec l’héritage de ses racines réunionnaises. Pour Outremers 360, il revient sur cette trajectoire singulière, partage sa vision de l’évolution de l’IA et l’importance, pour les Outre-mer, de s’emparer des opportunités offertes par le numérique.

Un héritage réunionnais

Derrière ce parcours d’excellence, il y a l’histoire d’un enfant de banlieue, fils de Réunionnais, qui comprend très tôt, que son destin se joue ailleurs : « J’ai grandi en banlieue parisienne, dans l’Essonne (91), sans vraiment savoir au départ que mon collège était classé en zone d’éducation prioritaire (ZEP). Ce n’est que plus tard que j’ai pris conscience de ce contexte », raconte-t-il. Fils d’un fonctionnaire de la Poste et d’une aide-soignante, il insiste sur la transmission familiale : « Mes parents, Bernard et Marie, n’avaient pas les codes, ils ne connaissaient ni le monde des prépas ni celui des grandes écoles. Mais ils m’ont transmis des valeurs solides, de travail, de rigueur, et d’humilité, qui m’ont permis de croire en ma place et en ma légitimité. »

Grâce à l’engagement de ses professeurs, il accède au lycée Janson-de-Sailly, dans le 16ᵉ arrondissement de Paris, puis à la prépa Saint-Louis, dans le Quartier Latin. Le passage est brutal : « J’arrivais de banlieue et tout à coup, je me retrouvais dans des environnements sociaux et académiques très différents. Mais très vite, je me suis dit que les autres n’étaient pas meilleurs que nous. Cela m’a conforté dans l’idée que j’avais ma place. »

De la fonction publique à la société de conseil

Après ces années de classes préparatoires, il rejoint l’École nationale de la statistique et de l’analyse de l’information (ENSAI) à Rennes. Suivront alors plusieurs postes dans le service public notamment à l’INSEE, puis à la Banque de France. Au bout de 13 ans au service de l’Etat, il opère un tournant en 2006, lorsqu’un ancien camarade lui propose de rejoindre Sopra Steria Next : « C’était le début d’un virage décisif vers le conseil, puis vers l’intelligence artificielle. » En 2019, il prend la tête de la practice AI for Business : « Avec mes équipes, nous travaillons sur des usages très concrets de l’IA : détection de fraude, analyse prédictive, gestion des anomalies… »

L’IA ou l’enjeu du lâcher prise

Pour Bruno Maillot, l’intelligence artificielle ne se limite pas à un concept abstrait : elle répond à des besoins concrets et permet de gagner un temps précieux notamment sur des tâches répétitives et chronophages. Si on prend le temps de regarder dans le rétroviseur, l’avancée est fulgurante. En trois ans, de 2019 à 2022, on passe de l’IA prédictive, basée sur des données codées à l’IA générative et des grands modèles de langage (Large Language Model).

Mais la technologie seule ne suffit pas : la vraie difficulté réside dans l’adoption de l’IA : « 30 % c’est de la technologie, 70 % c’est de l’acculturation. Il faut apprendre à lâcher prise, à faire confiance à l’outil. »  Et c’est bien là que se situe la question du contrôle, le véritable enjeu de l’IA : « Sommes-nous prêts, collectivement, à accepter que certaines tâches soient confiées à l’IA ? Jusqu’où sommes-nous capables de lâcher prise ? Les mentalités, pour l’instant, ne sont pas encore prêtes », estime-t-il.

Un autre aspect sans doute encore plus fondamental, selon lui, concerne la transmission aux nouvelles générations : « Dans nos métiers, la progression se fait par l’expérience : les journalistes avec leurs stagiaires, les consultants avec leurs juniors, les avocats avec leurs collaborateurs. C’est en rédigeant des notes, en faisant des recherches, en se confrontant aux difficultés qu’on devient senior. Si demain l’IA fait tout cela à leur place, où sera la transmission ? » La question dépasse le monde du travail : elle est sociétale et éducative. Il cite l’exemple de pays comme l’Estonie ou la Finlande, où l’acculturation à l’IA commence dès l’école primaire : « En France, nous en sommes encore loin. Et pourtant, c’est essentiel : il faut apprendre à utiliser l’IA, non pas comme un substitut, mais comme un outil d’augmentation. Celui qui saura s’appuyer sur l’IA sans lui déléguer entièrement sa pensée gardera sa valeur. Les autres risquent de se laisser dépasser. »

Et quand on lui parle de la prochaine étape, l’IA agentique, capable de transformer des connaissances en actions, donc de percevoir, raisonner et agir de manière autonome, Bruno Maillot reste lucide, « ça prendra du temps », précise-t-il.

Les outre-mer doivent passer le cap de l’IA

A l’aune de cette perspective lointaine, une question plus immédiate se pose, celle de la place des territoires ultramarins dans cette transformation numérique. Pour Bruno Maillot, l’enjeu est double : souveraineté et proximité. Sopra Steria Next n’y déploie pas aujourd’hui de projets en intelligence artificielle, essentiellement parce que l’accompagnement nécessite une présence locale :  « La proximité est fondamentale. Sans équipes sur place, proches du terrain, il est difficile d’assurer l’adoption des outils et leur appropriation par les utilisateurs », souligne-t-il. Or, les collectivités ultramarines auraient beaucoup à gagner à se doter de solutions adaptées à leurs réalités spécifiques. Car selon lui, « La question du numérique dans les Outre-mer n’est plus celle de la connexion. Les territoires sont aujourd’hui bien reliés. Le vrai enjeu, c’est l’IA : comment l’adapter aux besoins locaux et accompagner les populations dans son usage. » D’ailleurs, il constate que peu de collectivités s’en emparent réellement. « C’est dommage, car l’IA peut devenir un outil formidable pour simplifier la vie des citoyens : traitement des dossiers d’urbanisme, gestion de la voirie, réponses aux demandes administratives… Imaginez une IA locale qui fonctionne en français mais aussi en créole. Aujourd’hui, une IA créole n’existe pas. »

Outre l’efficacité, l’approche locale aurait aussi un bénéfice écologique : « Une requête sur ChatGPT, c’est l’équivalent d’une demi-bouteille d’eau en consommation énergétique. Développer des IA locales, plus sobres, moins gourmandes, serait un réel atout pour les territoires. »