Le traité historique pour protéger la haute mer peut entrer en vigueur en janvier

© Linkedin Olivier Poivre d'Arvor

Le traité historique pour protéger la haute mer peut entrer en vigueur en janvier

Après des années d'attente pour les défenseurs des océans, le traité pour protéger la haute mer, désormais ratifié par 60 pays, prendra enfin vie fin janvier, donnant au monde un outil inédit pour mettre à l'abri des écosystèmes marins vitaux pour l'humanité.

"Je salue cette réussite historique pour l'océan et le multilatéralisme", a réagi vendredi le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres dans un communiqué publié immédiatement après l'annonce. "Alors que nous faisons face une triple crise planétaire, changement climatique, perte de biodiversité et pollution, cet accord est une ligne de vie pour l'océan et l'humanité", a-t-il ajouté. Avec le dépôt des ratifications par le Maroc et la Sierra Leone vendredi, le traité a atteint les 60 requises pour enclencher les 120 jours avant son entrée en vigueur. Le texte, adopté en juin 2023 après des années de négociations, vise à contrecarrer les multiples menaces qui pèsent sur les océans.

Alors que les écosystèmes marins sont menacés par le changement climatique, les pollutions et la surpêche, la science a prouvé l'importance de protéger tout entier ces océans foisonnant d'une biodiversité souvent microscopique, qui fournissent la moitié de l'oxygène que nous respirons et limitent le réchauffement en absorbant une partie importante du CO2 émis par les activités humaines.
La haute mer commence là où s'arrêtent les zones économiques exclusives (ZEE) des Etats, à un maximum de 200 milles nautiques (370 km) des côtes et n'est sous la juridiction d'aucun Etat.
Même si elle représente près de la moitié de la planète et plus de 60% des océans, elle a longtemps été ignorée dans le combat environnemental. "L'ère de l'exploitation et de la destruction doit prendre fin" et ce traité "est l'outil pour rendre cela possible", a salué Mads Christensen, patron de Greenpeace, appelant les parties à faire en sorte de le rendre opérationnel le plus vite possible.

Obtenir les 60 pays en un temps si court, c'est vraiment un record et une très belle surprise", a réagi ce vendredi soir auprès de France Inter l'ambassadeur français pour les océans Olivier Poivre d'Arvor, alors que le traité pour protéger la haute mer, qui a atteint les 60 ratifications nécessaires, prendra enfin vie fin janvier. "C'est une victoire pour le multilatéralisme", selon Olivier Poivre d'Arvor. "Ce n'est pas du tout évident dans le climat actuel, avec un pays qui est le premier domaine maritime, les Etats-Unis, qui est très agnostique en matière de protection de la planète".  
 
"C'est un traité qui est presque anachronique dans le moment d'isolationnisme de certains pays, de climatoscepticisme, de loi du plus fort", ajoute l'ambassadeur français pour les océans, saluant l'implication de la France. "Dans le G7, il y a un seul pays qui a ratifié, c'est la France. Les autres ont été étonnamment absents, peut-être pour des raisons de calendrier parlementaire, mais aussi pour des raisons économiques. Peut-être que certains pays ne sont pas pressés qu'il y ait des règles qui s'appliquent".  
"L'intérêt des Nations unies, c'est qu'une voix est une voix. La voix des peuples de la mer s'est exprimée", a poursuivi Olivier Poivre d'Arvor. La France est le deuxième domaine maritime du monde. Tant pis si le premier copropriétaire, les Etats-Unis, ne vote pas en faveur. Dans un océan de mauvaises nouvelles, il y a un océan de solutions qui se présente à nous".  

 Universel ? 

L'outil phare du nouveau traité prévoit la création d'aires marines protégées en haute mer. Ce chantier devra toutefois s'articuler avec d'autres instances qui gouvernent certains morceaux de l'océan, comme les organisations régionales de pêche ou encore l'Autorité internationale des fonds marins chargée des règles de l'exploitation minière sous-marine dans les eaux internationales.
Aujourd'hui, environ 1% seulement de la haute mer fait l'objet de mesures de conservation. Mais en 2022, l'ensemble des Etats de la planète s'est engagé lors de la COP15 sur la biodiversité à protéger, d'ici 2030, 30% des terres et des océans de la planète.
Pour y parvenir, le nouveau traité est capital. Alors les pays signataires travaillent déjà d'arrache-pied, en avançant notamment sur les préparatifs des premières aires marines protégées, comme celle portée par le Chili autour des dorsales de Nazca et de Salas y Gomez, dans le Pacifique. "On pourrait voir les premières zones protégées adoptées peut-être fin 2028, ou 2029", estime Lisa Speer, de l'organisation environnementale NRDC.

 La France avait espéré atteindre les 60 ratifications à l'occasion de la Conférence de l'ONU sur les océans en juin à Nice, mais il aura fallu finalement quelques mois de plus. Alors que le traité a désormais 143 signataires, les défenseurs des océans vont désormais tenter de convaincre le maximum de pays de le signer et de le ratifier pour en faire un outil le plus universel possible. "Il est vraiment important d'aller vers une ratification mondiale, universelle pour que le traité soit aussi efficace que possible", a plaidé Rebecca Hubbard, patronne de la coalition d'ONG High Seas Alliance, appelant même les pays sans accès à la mer à le rejoindre.
Mais cette perspective est toutefois assombrie par la position de deux puissances maritimes majeures: la Russie et les Etats-Unis. Moscou avait pris ses distances avec le texte dès son adoption, jugeant certains éléments inacceptables, sans pour autant empêcher son adoption. Quant aux Etats-Unis, qui avaient signé le traité sous la présidence de Joe Biden, il est peu probable qu'ils le ratifient tant que Donald Trump est à la Maison Blanche.

Qu'est-ce que le traité pour protéger la haute mer ?

Le traité de protection de la haute mer, désormais ratifié et qui entrera en vigueur en janvier, donnera des moyens d'action pour la conservation et la gestion durable de la biodiversité marine dans l'immense partie des océans qui n'appartient à personne. Le traité a été adopté par les Etats membres de l'ONU en juin 2023. Il a désormais recueilli 143 signatures et a été ratifié par 60 pays ainsi que par l'Union européenne, selon le service des traités de l'ONU. Ce qui permettra son entrée en vigueur dans 120 jours.

- Haute mer et fonds marins
L'objectif principal est la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité marine, "dans l'immédiat et à long terme", dans les zones ne relevant pas d'une juridiction nationale, soit près de la moitié de la planète.
Le texte s'appliquera à la haute mer, c'est-à-dire la partie des océans au-delà des zones économiques exclusives (ZEE) des Etats, qui s'étendent à maximum 200 milles nautiques (370 km) des côtes. Il s'appliquera aussi aux fonds marins des eaux internationales et à leur sous-sol, appelés "la Zone".

- Océan morcelé
Mais la future Conférence des parties (COP, organe de décision) devra composer, pour faire appliquer ses décisions, avec d'autres organisations mondiales et régionales qui ont autorité aujourd'hui sur des morceaux de l'océan.
En particulier les organisations régionales de pêche et l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) qui délivre pour l'instant des contrats d'exploration minière et négocie un "code minier".
La question de la compétence de la future COP sur les fonds marins est encore compliquée par la récente décision unilatérale de Donald Trump d'accélérer la délivrance par Washington de permis d'extraction minière sous-marine dans les eaux internationales. Les Etats-Unis ne sont pas membres de l'AIFM.

- Aires marines protégées
Outil emblématique du futur traité: les aires marines protégées, qui aujourd'hui existent principalement dans les eaux territoriales.
Sur la base de la science, la COP, sur proposition d'un ou plusieurs Etats, pourra créer ces sanctuaires dans des zones à caractère unique, particulièrement fragiles ou importantes pour des espèces en danger. Comme dans d'autres COP, notamment celles sur le climat, les décisions seront prises en général par consensus. Mais la décision pourra être prise à la majorité des trois quarts en cas de blocage. Le traité ne détaille pas comment assurer concrètement la mise en oeuvre de mesures de protection dans ces vastes étendues éloignées des terres, une tâche qui reviendra à la COP. Chaque Etat est responsable des activités sur lesquelles il a de toute façon juridiction même en haute mer, par exemple sur un navire battant pavillon de son pays.

- Ressources génétiques marines
Chaque Etat, maritime ou non, et toute entité sous sa juridiction, pourra organiser en haute mer des collectes de végétaux, animaux ou microbes, dont le matériel génétique pourra ensuite être utilisé, y compris commercialement, par exemple par des entreprises pharmaceutiques qui espèrent découvrir des molécules miraculeuses.
Pour que les pays en développement ne soient pas privés de leur part d'un gâteau qui n'appartient à personne, le traité pose le principe d'un partage "juste et équitable des avantages" liés aux ressources génétiques marines.
Le texte prévoit un partage des ressources scientifiques (échantillons, données génétiques sur une "plateforme en libre accès", transferts de technologies...) ainsi que des éventuels revenus.

- Etudes d'impact
Avant d'autoriser une activité en haute mer menée sous leur contrôle, les pays devront étudier ses conséquences potentielles sur le milieu marin, si les impacts envisagés sont "plus que mineurs et transitoires", et publier régulièrement une évaluation des impacts ensuite.
Ce sera à l'Etat concerné de décider si une activité est autorisée, alors que les ONG espéraient que la COP soit maître de cette décision. Hormis l'exclusion des activités militaires, le traité ne liste pas les activités concernées, qui pourraient inclure pêche, transport, exploitation minière sous-marine voire techniques de géoingénierie marine pour atténuer le réchauffement.
 

Avec AFP