La lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane sera au coeur de la visite d'Emmanuel Macron, qui débute lundi. Si pour certains, l'augmentation des moyens alloués à cette lutte suffit à endiguer le phénomène, d'autres appellent surtout à une réelle coopération régionale en la matière.
Quatre cents sites illégaux, 7.200 chercheurs d'or clandestins, sept à huit tonnes extraites illégalement: le bilan 2023 de la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane présenté fin février est vertigineux. "Nous restons quand même à un niveau de prédation insupportable", a reconnu fin février le préfet de Guyane Antoine Poussier.
Malgré des moyens militaires considérables mis en place dès 2008 dans le cadre de l'opération Harpie, dotée de 70 millions d'euros par an, la France n'a pas réussi à éradiquer cette ruée vers l'or venue des voisins brésilien et surinamais.
L'ouest du département, frontalier avec le Suriname, est le plus touché: la région concentre 80% des sites illégaux contre 20% dans l'est, où se rendra Emmanuel Macron lundi.
Depuis quatre décennies, la Guyane souffre de ce fléau, avec des conséquences sur l'environnement et la santé des populations exposées au mercure, employé pour agglomérer les paillettes d'or.
Selon l'association de défense de l'environnement Wild Legal, à l'initiative d'un recours contre l'Etat pour "carences fautives", 12 tonnes de mercure par an sont déversées dans la nature.
L'orpaillage illégal est aussi un vecteur d'insécurité. En témoigne la mort du major du GIGN Arnaud Blanc, tué le 25 mars 2023 en opération.
Depuis, gendarmes et Forces armées en Guyane, qui mènent conjointement l'opération Harpie, occupent en permanence les sites illégaux primaires (où l'on creuse puits et galeries afin d'attaquer la roche-mère) quand ils se contentaient auparavant d'y mener des opérations ponctuelles. "Ce sont ceux qui rapportent le plus", explique à l'AFP le général Jean-Christophe Sintive, commandant de la gendarmerie en Guyane: "S'ils (les orpailleurs) ne peuvent pas produire d'argent et réinvestir, on fragilise leur système économique".
"Adapter nos méthodes"
En parallèle, l'Etat vise les flux logistiques. Quelque 61,6 millions d'euros de matériel (pirogues, pompes, carburant...) ont été saisis l'an passé, contre 35,7 millions en 2022.
"Le réapprovisionnement des sites illégaux est un facteur clef de la lutte", dit à l'AFP Pascal Vardon, directeur du Parc amazonien de Guyane, qui voit toutefois deux limites: "Le prix du gramme d'or, passé de 30 euros en 2019 à 60 euros aujourd'hui, et la facilité de se réapprovisionner en matériel auprès des 120 comptoirs chinois de la rive surinamaise".
Car dans ce pays, l'extraction aurifère est débridée. "Il n'y a pas de loi claire sur l'orpaillage et l'utilisation du mercure", souligne Pascal Vardon: "Or on ne pourra avancer sans coopération avec le Suriname".
Depuis l'élection en 2020 de Chan Santokhi, les relations parfois tendues de ce pays pauvre avec la France se sont réchauffées, à l'image d'un accord de coopération policière signé en 2022. Des patrouilles conjointes entre la gendarmerie française et la police du Suriname ont débuté en janvier. "Cette coopération peut faire bouger les lignes, c'est un enjeu majeur", estime le général Sintive.
Une collaboration similaire est attendue avec le Brésil. Emmanuel Macron doit s'y rendre après la Guyane pour y rencontrer son homologue Lula da Silva qui a fait de la protection de l'environnement un axe de sa diplomatie.
"Il faut réussir à intéresser le Brésil à nos problèmes et avoir des intérêts communs", analyse Joël Sollier, procureur général de Cayenne, chargé de piloter la stratégie judiciaire du département sur l'orpaillage.
Les leviers ne sont pas qu'environnementaux, mais aussi économiques ou sécuritaires. "C'est le moment, car l'ensemble géopolitique régional est en mutation. La découverte au Guyana de ressources pétrolières considérables va totalement changer la vision que l'on va avoir de la région", poursuit-il."Développons des éléments de sécurité régionale, tout le monde y gagnera", estime le magistrat, favorable à un changement de stratégie contre l'orpaillage illégal.
Parmi ses idées, la création d'une "zone de biodiversité protégée en coopération avec (nos) voisins" notamment.
"Nous sommes en permanence en train d'adapter nos méthodes", considère le préfet Antoine Poussier: "Je ne crois pas à la stratégie qui va résoudre le problème instantanément. C'est un ensemble d'efforts (...) qui vont nous permettre de réduire encore plus ce phénomène".
Avec AFP