Mémoire et Patrimoine : zoom sur le bagne des Annamites en Guyane, hommage à la mémoire des déportés Vietnamiens

© Fabienne CHEMIN/Wikimedia Commons

Mémoire et Patrimoine : zoom sur le bagne des Annamites en Guyane, hommage à la mémoire des déportés Vietnamiens

Le 24 août dernier, les habitants de Tonnegrande assistaient à l’inauguration de la plaque d’inscription aux Monuments historiques du site du Bagne des Annamites et de la Crique Anguille en présence de Patrick Leconte, maire de Montsinéry-Tonnégrande, d’Antoine Poussier, Préfet de la région Guyane, de Jean-Claude Labrodor, Maire de Roura et des familles d’anciens bagnards venues délivrer leurs témoignages. L'occasion pour l'édile de souligner l’importance de ce lieu de mémoire bagne en activité qui recevait les déportés politiques Vietnamiens. Le site du site du Bagne des Annamites et de la Crique Anguille, inscrit aux monuments historiques depuis le 8 juillet 2022, accueille chaque année près de 30 000 visiteurs. Autrefois difficile d'accès, le bagne des Annamites est désormais plus facilement accessible grâce à l'aménagement du sentier entrepris en 2013 par l'association CHAM, qui se charge aussi de la réhabilitation des ruines. Aujourd'hui, les visiteurs peuvent rejoindre le site depuis la RD5, où un parking sécurisé est disponible. Une marche d'une heure sur un sentier balisé mène aux ruines, permettant de redécouvrir cette histoire unique du patrimoine. Zoom sur cette page d'histoire douloureuse.

© Commune de Montsinéry-Tonnégrande

Mémoire d'un exil oublié

Le bagne des Annamites symbolise l'une des pages sombres de l'histoire coloniale française. Il illustre les conditions inhumaines auxquelles étaient soumis les prisonniers Annamites, nom donné par les Français aux Vietnamiens.

À la fin du XIXe siècle, l'Indochine qui comprend le Vietnam, le Laos, et le Cambodge actuels, est sous domination française. Pour réprimer les mouvements indépendantistes, les autorités coloniales françaises déportent des milliers de prisonniers politiques vietnamiens vers la Guyane, lieu d'exil forcé pour ces hommes.

En 1931, le vapeur français La Martinière quitte le port de Saigon en secret, avec à son bord enfermés dans des cages de fer, 535 prisonniers, politiques et de droit commun, âgés de 18 à 35 ans,. À leur arrivée en Guyane, ces hommes sont enchaînés au destin tragique du bagne de Tonnégrande, situé à 40 km de Cayenne.

Le bagne est conçu non seulement comme un lieu de détention, mais aussi comme un moyen de colonisation pénale. En effet, les prisonniers sont contraints de travailler pour défricher la forêt tropicale, construire des routes, et développer des infrastructures pour la colonie. Leur statut juridique ambigu cache leur véritable rôle de prisonniers politiques. Les tirailleurs sénégalais, eux-mêmes sujets à la colonisation, sont chargés de leur surveillance, renforçant ainsi les hiérarchies coloniales.

Les conditions de vie sont extrêmement dures. Les Annamites sont soumis à un régime de travail épuisant, sous un climat tropical oppressant, avec une alimentation insuffisante et une mauvaise hygiène. Les maladies, comme le paludisme, sont fréquentes et souvent mortelles. Le taux de mortalité parmi les prisonniers est élevé, faisant de ce bagne un véritable enfer sur terre.

Les prisonniers annamites de Tonnégrande vivent dans des conditions de promiscuité extrême, entassés dans des baraquements insalubres. Ils subissent des violences physiques et psychologiques de la part de leurs gardiens et doivent endurer la solitude de l'exil, loin de leurs familles et de leur pays. Certains tentent de s'évader, mais la dense forêt amazonienne et les dangers qui s'y trouvent rendent les évasions quasi impossibles.

Bagne des Annamites, Montsinéry-Tonnégrande © Fabienne CHEMIN/Wikimedia Commons

Trois camps principaux ont marqué cette période : Saut Tigre, la Forestière et Crique Anguille. Bien que le démantèlement de ces camps ait été ordonné en 1944, le bagne ferme définitivement en 1945. Il faudra attendre 1963 pour que les derniers prisonniers soient rapatriés, soit neuf ans après l'indépendance des pays indochinois en 1954.

Ce n'est que récemment que le souvenir du bagne des Annamites a commencé à ressurgir. Des historiens et des associations ont travaillé pour restaurer cette mémoire et pour honorer la souffrance de ces prisonniers oubliés. Aujourd'hui, le site de Tonnégrande reste un symbole de la dureté du colonialisme français et de la résistance des peuples colonisés.

Bagne_des_Annamites_La_Forestière ©Ayshka Sene, Sophie Fuggle, Claire Reddleman/Wikimedia Commons
Cellule_du_bagne_des_Annamites ©Don-vip/Wikimedia Commons

Une reconnaissance mémorielle

Désormais inscrit aux Monuments historiques, le bagne des Annamites bénéficie d’une reconnaissance officielle qui met en lumière la valeur de ce site dans la mémoire collective, rappelant les conditions inhumaines dans lesquelles ces hommes ont été exploités comme main-d'œuvre forcée. L’inauguration de la plaque d’inscription garantit à ce lieu de mémoire sa protection légale, sa conservation et sa valorisation. Cette reconnaissance honore la dignité des victimes et encourage une réflexion critique sur le passé colonial et ses répercussions.

EG