À la veille de son déplacement en Nouvelle-Calédonie, le ministre des Outre-mer Manuel Valls a été auditionné le 19 février par la Commission des lois de l’Assemblée nationale. Reconstruction de Mayotte, statut de la Nouvelle-Calédonie, lutte contre la vie chère, situation sécuritaire, immigration clandestine… Le ministre a abordé une série de problématiques cruciales pour les Outre-mer. Synthèse.
Dans son propos liminaire, Manuel Valls a martelé qu’il n’était pas au ministère des Outre-mer pour répéter des éléments de langage, céder à une vision datée, condescendante et administrative des territoires ultramarins, mais bel et bien pour transformer. « Dans son rapport aux Outre-mer, la France est passée de la domination à l'infantilisation. Je veux désormais la considération et la valorisation. Au fond, il est indispensable de retrouver une vision politique », a-t-il déclaré. « Elle ne concerne pas que les 2,6 millions de citoyens qui vivent sur ces territoires et le million de nos compatriotes qui en sont originaires. Elle intéresse la Nation tout entière ». Voici les principaux points de l’intervention du ministre.
À Mayotte, après la phase de stabilisation de la situation suite au passage du cyclone Chido, demeure le temps des urgences vitales, particulièrement celles de la reconstruction (actée par l'adoption définitive du projet de loi d'urgence pour Mayotte) et de la refondation. « Je présenterai au printemps, après concertation avec les élus, un projet de loi programme qui visera le développement économique, social et éducatif du territoire sur de nouvelles bases et qui portera également des mesures fermes pour lutter contre le fléau de l'immigration », a annoncé Manuel Valls.
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Reconstruction également en Nouvelle-Calédonie, dont l’économie a été ravagée par les émeutes de mai 2024, dont on estime qu’elles ont affecté 15% du produit intérieur brut, entraîné des pertes de plus de deux milliards d’euros et mis environ 37 000 Calédoniens au chômage. « Les fractures sont profondes. Je sais pourtant que seul le dialogue permettra de reconstruire un projet commun et partagé et d'imposer la paix », a souligné le ministre.
Sur le plan politique, « les accords de Matignon et de Nouméa sont le socle de nos discussions. Il nous appartient de construire une Nouvelle-Calédonie unie et indivisible, qui s'appuie sur le dynamisme de ses trois provinces et de ses communes, d'imaginer une souveraineté avec la France, qui protège chacun, tout en poursuivant et achevant le processus de décolonisation et en garantissant le droit constitutionnel à l'autodétermination. Je crois profondément au destin commun », a-t-il ajouté.
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En ce qui concerne la vie chère en Outre-mer, elle appelle des réponses structurelles, a insisté Manuel Valls, notamment pour entraver les pratiques anti-concurrentielles, avec l’aide de l'Autorité de la concurrence. « Je souhaite avancer sur la création d'un service d'instruction spécialisé et dédié aux Outre-mer », a-t-il précisé. Au niveau de la transparence, le ministre a déploré que trop d’entreprises se dérogent à l’obligation de publier leurs comptes. « Je suis déterminé à renforcer les sanctions et à les rendre plus dissuasives. Nous devons réfléchir à des mesures plus originales, comme systématiser la mise en ligne des prix en temps réel ». Une réforme globale de l'octroi de mer est aussi envisagée, « pour le recentrer sur les produits importés concurrents des produits locaux ».
Bien d’autres problématiques ont été abordées durant l’audition : l’insécurité nourrie par la violence, le narcotrafic, l’immigration clandestine, l’orpaillage illégal et l'intégrité des territoires ultramarins remise en cause par les ingérences étrangères. « Sur toutes ces questions, un rapport transpartisan de la Délégation sénatoriale aux Outre-mer, de Philippe Bas et Victorin Lurel, nous invite à un choc régalien. J’y suis prêt », a insisté Manuel Valls. Il s’est également engagé à ce que l’éducation, l’insertion professionnelle, le logement, la jeunesse et l'adaptation au changement climatique deviennent des priorités. Elles seront traitées dans le futur Comité interministériel des Outre-mer (CIOM), qui devrait se tenir au deuxième trimestre.
À propos de l'avenir institutionnel des Outre-mer, le ministre a dit n’avoir aucun tabou, et que toute piste pourrait être envisagée. « La dichotomie entre les articles 73 et 74 de la Constitution apparaît notamment désuète. Nous pourrions envisager un cadre unique offrant la possibilité de différenciation qui serait précisée par des lois organiques. Chaque territoire doit être regardé avec ses spécificités, qu'il soit réticent à toute évolution majeure comme La Réunion, ou déjà très engagé dans l'autonomie comme la Polynésie française ».
Lors de la discussion générale ou de nombreux parlementaires de tous horizons politiques sont intervenus, le député de Polynésie Moerani Frébault (groupe Ensemble pour la République), a fait remarquer les Outre-mer sont trop souvent enfermés dans des schémas dépassés et des réponses uniformisées qui ne tiennent pas compte des réalités locales. « En Polynésie, l’électricité est un luxe pour trop de familles. Comment justifier que nous ne bénéficions toujours pas de la péréquation nationale ? Pourquoi l’énergie est-elle plus chère chez nous que partout ailleurs en France ? Cette injustice ne peut plus durer. (…) Nous espérons que vous êtes prêt à mettre en place une stratégie réellement différenciée et ambitieuse à la hauteur de nos attentes », a-t-il lancé à l’adresse de Manuel Valls.
Pour Jiovanny William (Martinique, groupe Socialistes et Apparentés), « nous faisons déjà seuls avec les moyens qui sont les nôtres. (…) Nous n’attendons plus grand-chose de ce gouvernement, et faute d’initiatives nous souhaitons prendre notre destin en main », affirmant que lorsque des ambitions claires sont exprimées, l’on découvre subitement des freins économiques et législatifs de toute sorte. Le député a particulièrement insisté sur la question de la démographie, demandant que des mesures soient prises pour le repeuplement des territoires et l’assistance médicale à la procréation.
Olivier Serva (groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires, LIOT) a abordé quant à lui le sujet de la cherté de la vie en Outre-mer, « le gouvernement faisant beaucoup de promesses, avec peu ou pas de résultats ». Prenant l’exemple de la hausse de la taxation des billets d’avion, le député guadeloupéen a rappelé que le prédécesseur du ministre s’était engagé à protéger les Outre-mer, mais que la hausse va quand même s’appliquer et toucher 3,5 millions d’Ultramarins. « La compensation prévue est manifestement insuffisante. Après ça, comment peut-on parler de continuité territoriale ? », a fustigé Olivier Serva.
PM