Logement: comment les Armos se mobilisent en Guadeloupe et dans l’Océan indien

Logement: comment les Armos se mobilisent en Guadeloupe et dans l’Océan indien

Les Armos (Associations régionales des maîtres d’ouvrages sociaux) sont des acteurs incontournables du logement social dans les territoires ultramarins. Les Sem immobilières et d’aménagement présentes sur place en sont membres et la FedEpl noue avec elles des relations fécondes sur le long terme. Echanges croisés entre Véronique Roul, secrétaire général de l’Armos de Guadeloupe, et Denis Chidaine, délégué de l’Armos de l’Océan Indien réalisés par Caroline Acosta et Stéphane Menu des EPL.

 

Véronique Roul, pouvez-vous présenter votre Armos ?

Elle existe depuis 1996. Nous portons la voix des bailleurs sans jamais se substituer à eux. Nous travaillons sur la mutualisation de certains services, sur un partage d’expériences, sur les difficultés rencontrées. Puis nous remontons les infos à nos instances nationales, la FedEpl bien sûr mais aussi l’Ush et l’Ushom. En Guadeloupe, 5 bailleurs sociaux détiennent 38 000 logements, les trois quarts du parc sont détenus par des Sem immobilières.

Et vous Denis Chidaine ?

L’Armos Océan Indien regroupe tous les bailleurs sociaux de La Réunion. Depuis quelques années, nous avons ouvert la possibilité d’intégrer Mayotte sans vraiment beaucoup de déclinaisons concrètes jusqu’à présent. Nous existons depuis 1991. Nous sommes organisés sur le même fonctionnement que les associations régionales HLM en métropole sauf que dans notre cas, la majorité des adhérents sont des Sem, 5 d’entre elles ont vu le jour avec la montée en puissance de la décentralisation, nous sommes là depuis le début. Nous avons une fonction de représentation des bailleurs sociaux. Nous nous réunissons pour partager sur la production de logements, la gestion des organismes, les données sur la demande de logement, les attributions et le logement social d’une manière plus générale. Ces données sont actualisées régulièrement.

Comment se porte le secteur du logement social en Guadeloupe et dans l’Océan Indien La Réunion ?

Véronique Roul : Il faut d’abord préciser que le choix des élus de recourir aux Sem recoupe la volonté de disposer d’un outil extrêmement opérationnel. Il ne faut pas cacher la situation, produire du logement social est compliqué en Guadeloupe et ailleurs dans les Outre-mer. Être un territoire ultramarin européen, c’est en partie répondre aux normes européennes parfois inadaptées à nos territoires. Les coûts de construction sont plus importants chez nous que dans l’hexagone, et sont revalorisés par les coûts de fret maritime et l’octroi de mer. Nous sommes en effet confrontés aux mêmes affres créées par la crise économique, dans un territoire exigu qui ne permet pas de se « retourner » vers d’autres marchés. Enfin, nous faisons face à une population plus pauvre, un tissu économique fragile composé majoritairement de TPE aux coûts moins compétitifs, des difficultés en ingénierie et une capacité financière des collectivités territoriales amoindrie.

Denis Chidaine: Nous avons une population assez jeune, comparativement à la situation des Antilles. Afin de faire face aux besoins actuels et à venir, l’INSEE a estimé que nous devons construire, jusqu’en 2035, chaque année à La Réunion, 7 700 logements, privés et sociaux. Nous n’avons construits que 1 500 logements sociaux en 2022, l’écart se creuse. Les données chiffrées sont connues : l’année dernière, 39 000 demandes de logements sociaux étaient non satisfaites, sur un parc global de 82 000 logements sociaux, nous atteindrons le million d’habitants à La Réunion en 2030. Un quart des logements au total sont des logements sociaux, ce qui nous situe à un niveau respectable par rapport à la loi SRU : un effort très important a été réalisé ces dernières décennies avec un gros rattrapage mais il doit être poursuivi. C’est une vraie inquiétude. Beaucoup de jeunes sont en cohabitation, restent au domicile des parents de façon bien plus longue qu’avant, c’est un phénomène Tanguy du social, car ces jeunes ne parviennent pas à trouver de solutions.

Alors que la Guadeloupe est un des départements qui comptent le plus de personnes âgées de 65 ans et plus en France…

Véronique Roul : 40 % de notre population aura plus de 65 ans en 2040 alors que nous étions l’un des départements les plus jeunes. Les jeunes quittent la Guadeloupe pour suivre des études en métropole et ne reviennent pas. Le chômage plafonne officiellement à 30 % mais, dans la réalité, l’inactivité des jeunes avoisine les 50 %, même si ce chiffre n’est pas officiel. La Guadeloupe est confrontée à des problèmes de formation, à des difficultés d’insertion professionnelle. Il y a urgence à retrouver une dynamique sociétale et une attractivité du territoire. J’ajouterai que les Guadeloupéens vieillissent moins bien qu’en métropole, avec des problèmes anticipés d’obésité, de diabète… Ce qui induit une perte d’autonomie prématurée et la nécessité d’adapter le parc social à cette réalité mais pas que. Aujourd’hui, les efforts communs doivent aussi cibler l’accession sociale, produit phare plébiscité à la fois par les collectivités et les séniors.

L’habitat insalubre est aussi l’autre urgence ?

Denis Chidaine : Les Sem ont aussi été créées pour permettre d’éradiquer les bidonvilles dans les années 90. A La Réunion comme aux Antilles, les Sem ont mené, à la demande des collectivités, un nombre important d’opérations RHI ( Résorption de l’habitat insalubre). En grandes difficultés sur un plan financier, les collectivités ne peuvent plus lancer de nouvelles interventions et la nécessité de résorber de l’insalubrité diffuse est encore importante : on compte 18 000 logements insalubres à La Réunion, de l’ordre de 30 000 en Guadeloupe.

Est-ce que les financements publics, notamment européens, sont à la hauteur des besoins ?

Véronique Roul : Aujourd’hui, nous sommes face à une contradiction : il faut produire des logements neufs, réhabiliter le parc ancien mais les financements, type LBU, PIV, même s’ils existent, sont régis par des modalités qui freinent leur mobilisation et ne permettent pas de compenser les surcouts. Et si vous y ajoutez les problèmes d’assainissement servis par des réseaux défaillants et autres autorisations liées à la préservation de la biodiversité, le défrichement par exemple, vous touchez les limites du modèle. A ce jour, la complexité de mobilisation des fonds européens ne nous permet pas encore d’y recourir de façon satisfaisante. Une des pistes qui nous apparaît des plus pertinentes est de relancer la mise en place de certains dispositifs de cofinancements, insuffisamment sollicités en Guadeloupe : je pense notamment au FRAFU, ligne de financement conjointe entre l’Etat et les collectivités, permettant de financer des infrastructures sous conditions. Le Département et la Région sont actuellement saisis de cette question.

Denis Chidaine : Nous sommes dans une situation inédite. Compte tenu de l’augmentation des coûts des matériaux notamment, les prix proposés par les entreprises sont tellement élevés que nous sommes obligés de déclarer les appels d’offres infructueux : en 2022, nous n’avons pu mettre en chantier que la moitié des logements que nous avions prévus. Nous avons de grosses inquiétudes pour la programmation à venir compte tenu des incertitudes sur les financements notamment d’Action Logement, comme l’a indiqué Véronique. Pour ce qui concerne les financements européens, nous espérons pouvoir mobiliser les fonds du FEDER sur la réhabilitation du parc : le travail est en cours avec la Région.

Comment en est-on arrivé là ?

Denis Chidaine : Dans les dernières décennies, les collectivités ont souvent utilisé les opérations d’aménagement (type ZAC ou RHI) pour produire du foncier viabilisé à coût maîtrisé. Ces dispositifs ont permis la production d’équipements et de logements dont une partie importante de logements sociaux et répondre ainsi aux besoins des familles réunionnaises. Actuellement, très peu de nouvelles opérations d’aménagement sont lancées par les collectivités pour, notamment, des questions financières. Il faut leur permettre de relancer une dynamique pour disposer de terrains aménagés à des coûts compatibles avec les niveaux de loyers du parc social.

Véronique Roul : Il faut remettre à jour les PLH, sur les 5 Epci de Guadeloupe, un seul dispose d’un PLH, beaucoup de PLU n’ont pas été renouvelés. Il faut pourtant disposer d’une meilleure visibilité en termes d’aménagement.

Denis Chidaine : Les Epl savent faire, nous avons les compétences pour accompagner les collectivités dans leurs projets.

Par Caroline Acosta et  Stéphane Menu