INTERVIEW. Sébastien Lecornu : Les élus « ont un devoir d’exemplarité pour inciter la population à se faire vacciner »

Sébastien Lecornu en avril dernier, lors d'une visite à l'Hôpital de la Polynésie ©DR

INTERVIEW. Sébastien Lecornu : Les élus « ont un devoir d’exemplarité pour inciter la population à se faire vacciner »

Actuellement en visite en Polynésie française avec le président de la République, le ministre des Outre-mer a répondu à quelques questions de la rédaction d’Outremers360, alors que « nous constatons une reprise de l’épidémie dans quasiment l’ensemble des territoires ultramarins sous l’effet des variants ». Sébastien Lecornu insiste sur la vaccination, « une arme contre le virus », et prévient : « Nous sommes prêts à, malheureusement, aller plus loin si la situation le nécessite, en parallèle de l’envoi de renforts sanitaires ». 

Outremers360 : Le taux d’incidence en Martinique s’envole, il augmente fortement à La Réunion, il reste élevé en Guyane : êtes-vous inquiet de l’évolution de l’épidémie en Outre-mer ?

Sébastien Lecornu : Oui, je suis très inquiet. Nous constatons une reprise de l’épidémie dans quasiment l’ensemble des territoires ultramarins sous l’effet des variants. Les variants dits britannique, sud-africain et maintenant indien sont clairement plus menaçants que la souche initiale du virus. Pour limiter leur circulation et protéger les populations, nous avons décidé de repasser sous le régime de l’état d’urgence sanitaire, la Martinique, où le taux d’incidence s’envole, et La Réunion. Nous allons faire de même pour la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin dans les jours prochains.

Cela permet aux préfets de prendre, toujours en concertation avec les élus et les acteurs socio-professionnels, des mesures, de type-couvre-feu, pour faire face à cette vague. Mais je tiens à le préciser : nous sommes prêts à, malheureusement, aller plus loin si la situation le nécessite, en parallèle de l’envoi de renforts sanitaires. La santé de nos concitoyens reste la priorité ! Alors chacune et chacun doit faire preuve de responsabilité et ne doit pas se relâcher sur le respect des gestes-barrière. Et surtout, vaccinez-vous ! Nous avons désormais une solution pour nous protéger des formes graves de la maladie et éviter de saturer notre système hospitalier.

Cette nouvelle vague est-elle due au retard pris par la vaccination en Outre-mer ?

Clairement, nous ne vaccinons pas assez en Outre-mer. En Martinique, seuls 15,2 % de la population sont totalement vaccinés. En Guyane, c’est 15,6 % et à Mayotte, 15,1 %. La Réunion fait figure de « bonne élève » avec 27,6 % de la population ayant eu ses deux doses, alors que nous sommes à 49,1 % dans l’Hexagone. Nous sommes très loin des seuils pour atteindre l’immunité collective. Même en première injection, nous sommes à un niveau trois fois inférieur par rapport à l’Hexagone.

Les Outre-mer ne manquent pourtant pas de doses ! Les territoires ultramarins ont été parmi les premiers territoires de la République à être livrés en vaccin Pfizer, Moderna ou Janssen. Grâce au soutien des Armées, des super-congélateurs ont été mis en place pour pouvoir stocker et conserver les vaccins. Les doses sont présentes en nombre en Outre-mer ; les soignants, les pompiers et autres volontaires sont mobilisés pour vacciner. Il ne manque plus que les personnes volontaires pour se faire vacciner. La vaccination est un acte citoyen et solidaire ! Cela permet de soutenir nos personnels soignants en première ligne dans cette crise depuis 18 mois en évitant d’engorger les services de réanimation ; cela permet aussi de soutenir nos artisans, les restaurateurs, les hôteliers, les acteurs touristiques, … en leur évitant de nouvelles fermetures contraintes. 

Vous évoquez les moyens, et malgré l’éloignement et l’acheminement, la vaccination a très vite été ouverte au plus grand nombre en Outre-mer…

Dès le mois d’avril, nous avons pris le parti d’ouvrir la vaccination à quasiment tous les ultramarins de plus de 12 ans. Cela était nécessaire parce que la pyramide des âges n’est pas pareille dans tous les Outre-mer et très différente de celle de l’Hexagone. D’ailleurs, cette stratégie a bien fonctionné dans certains territoires, que ce soit à Saint-Barthélemy ou à Saint-Pierre-et-Miquelon où nous atteignons respectivement 77 % et 88 % de la population de plus de 12 ans vaccinée.

Sébastien Lecornu en avril dernier, lors d'une visite à l'Hôpital de la Polynésie ©DR

Mais qu’on ne s’y trompe pas, l’important est de vacciner en priorité les plus âgés, qui sont les plus susceptibles de développer des formes graves. Or, le compte n’y est pas. La couverture vaccinale des 55 ans et plus est 20 à 60 points inférieure à celle constatée en Hexagone ! De la même façon, les personnes en contact avec les patients à risque doivent se faire vacciner : parmi les personnels soignants en Outre-mer, les vaccinés ne sont pas assez nombreux. Plus de vaccination, c’est moins d’hospitalisations. Et donc moins de risque de voir notre système hospitalier saturé.

Qu’avez-vous fait pour lever les freins à la vaccination ?

Déjà, nous avons fait un travail d'analyse de ces freins avec la société civile et les socioprofessionnels. Les Agences Régionales de Santé mènent ensuite des actions de sensibilisation et d’incitation à se vacciner, en complément des stratégies d’aller-vers dans les zones les plus éloignées des centres urbains... Avec Olivier Veran, nous savons qu’il y a encore beaucoup à faire et qu’il faut sans doute faire preuve d'inventivité. Le préfet de Martinique a, par exemple, envoyé un SMS à tous les Martiniquais pour les encourager à se faire vacciner. C’est 300 000 personnes touchées au plus près ! Nous avons également diffusé des spots pour inciter à la vaccination en langue créole pour toucher toutes les populations.

Face à cette reprise épidémique, avez-vous le sentiment d’avoir desserré trop vite les restrictions sanitaires ?

Depuis le début de l’année, nous avons pris les mesures nécessaires pour protéger nos territoires ultramarins de la menace des variants. Pour protéger nos populations, nous avions sévèrement réduit les déplacements entre les Outre-mer et l’Hexagone en imposant les fameux motifs impérieux. Mais, il nous fallait trouver un équilibre entre protection sanitaire et retour progressif d’une vie normale. La diminution très significative de la circulation du virus en Outre-mer et dans l’Hexagone au cours du mois de mai et de juin nous a permis de lever les motifs impérieux. Toutefois, pour continuer à protéger nos territoires ultramarins, nous avons maintenu des tests au départ vers les Outre-mer, voire des motifs impérieux pour les non vaccinés qui veulent s'y rendre.

Vaccination à Mayotte ©ARS Mayotte 

Car oui, nous avons désormais une arme contre le virus : le vaccin ! Les vaccins divisent par 12 le pouvoir de contamination du variant et évitent 95% des formes graves. Aujourd’hui, cette nouvelle vague nous oblige à prendre de nouveau des mesures de protection. C’est dans cette optique qu’ont notamment été réinstaurés les motifs impérieux qui permettent de limiter les déplacements entre l’Hexagone et les Antilles, ou entre la Martinique et la Guadeloupe, mais aussi les couvre-feux à La Réunion et en Martinique. Après concertation avec les élus, les préfets des différents territoires sont prêts à prendre de nouvelles mesures si la situation sanitaire le nécessite.

La Martinique a été marquée par des manifestations contre le pass sanitaire. Comme d’ailleurs d’autres territoires. Est-ce que cela va encore ralentir la campagne de vaccination ?

Non, au contraire. Les dernières annonces du président de la République et la perspective d’un pass sanitaire pour accéder à un certain nombre de lieux de loisirs et culturels, là où des brassages de population se font et où il existe un risque de contamination, a provoqué une prise de conscience chez bon nombre de nos concitoyens en Outre-mer qui ont pris rendez-vous pour se faire vacciner. Il faut aussi dire quand cela va bien ! Mais malheureusement, nous avons pris du retard pour se protéger de cette vague. Pour cette raison, j’appelle chaque responsable politique à faire preuve de modération dans le débat public au sujet du passe sanitaire. 

Qu’attendez-vous d’eux sur le plan de la vaccination ?

Je les appelle à la responsabilité collective : ils ont un devoir d’exemplarité pour inciter la population à se faire vacciner. Nous savons que les élus sont prescripteurs : c’est pourquoi je compte sur eux pour se faire vacciner, le faire savoir et encourager leurs concitoyens à faire de même. J’adresse le même message aux acteurs socio-professionnels, qu'on a soutenus pendant cette crise : chaque entreprise doit appeler ou accompagner la vaccination parmi ses salariés, chaque fédération professionnelle doit contribuer à la sensibilisation de son secteur d’activité sur le sujet. Plus particulièrement dans ceux recevant du public, comme le secteur touristique pour lequel l’État a toujours répondu présent. Si chacun s’y met, les mesures de freinage que nous mettons en place, et qui pénalisent l’activité économique, dureront le moins possible.