Entre l’aide à Mayotte ou encore la poursuite des discussions entre les acteurs du dossiers calédoniens, les sujets Outre-mer sont nombreux pour le gouvernement Bayrou et son ministre Manuel Valls. Ce dernier a reçu, ce lundi, le président du Medef Patrick Martin, ainsi que plusieurs représentants des Medef ultramarins, pour évoquer les urgences et les attentes des entreprises locales. À quelques heures de la déclaration de politique générale très attendue du nouveau Premier ministre, Patrick Martin a répondu à nos questions.
Outremers360 : Le Medef est la première organisation patronale des entreprises à la fois dans l'Hexagone et les Outre-mer. Quel est votre rôle en tant que président du Medef national par rapport aux entreprises ultramarines ?
Patrick Martin : On a déjà un rôle d'influence et de sensibilisation. D'abord, je suis très attaché à nos territoires ultramarins et je regrette de voir qu'aux yeux de certains, en métropole, il y a une méconnaissance des Outre-mer, et bien souvent une image assez négative. C'est vrai, on le sait, il y a des problèmes dans nos territoires ultramarins qui d'ailleurs, d'un territoire à l'autre, ne sont pas les mêmes. Le Medef s'applique à ce que nos gouvernants, nos parlementaires, l'opinion publique aient une image plus réaliste et plus positive de ces territoires ultramarins.
Pas plus tard que ce lundi soir, j'ai prononcé mes vœux devant 1 200 décideurs économiques, 12 ministres, une cinquantaine de parlementaires et dans mon discours, je me suis appliqué assez longuement à souligner combien les Outre-mer étaient importants et combien nous, au Medef, étions en soutien.
Très concrètement, le Medef national est une interface quotidienne entre nos responsables ultramarins et les ministères. Par exemple, on a des réunions quasi hebdomadaires avec Bercy, sur Mayotte, bien sûr, mais également sur la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes en contact avec le ministère de l'Intérieur pour que les enjeux essentiels de sécurité publique soient bien pris en compte, pour protéger les territoires d'une manière générale, mais aussi pour protéger les entreprises en particulier.
Et puis, nous menons des actions plus opérationnelles. Par exemple, dès le printemps dernier, nous avons fait livrer, à nos frais, un million de bouteilles d'eau à Mayotte. Nous avions réussi à mobiliser, parmi nos 200 000 adhérents, des acteurs majeurs, que ce soit des producteurs d'eau minérale ou la CMA CGM en tant que transporteur, pour livrer cette eau. On est sur tous les fronts.
Enfin, le Medef a statutairement la présidence d'Action Logement, l'acteur majeur du logement social et intermédiaire. À Mayotte, nous avons mobilisé les équipes d'Action Logement pour que, dans l'urgence et conformément aux normes de construction, des logements soient d'abord restaurés quand ils ont pu être abîmés par le cyclone, et par ailleurs construits le plus vite possible.
Vous avez évoqué le rôle d'influence et de sensibilisation. Lundi matin, vous avez rencontré le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, pour échanger sur la situation à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et sur les financements européens. Quel est votre état d'esprit au lendemain de cette rencontre, est-ce que vous êtes optimiste pour la suite ?
Oui, je suis optimiste. D'abord parce qu'avec l'énergie et la détermination qu'on lui connaît, Manuel Valls, m'a donné l'impression d'être décidé à avancer très vite. Il est appuyé par un Directeur de cabinet très efficace et habitué à gérer des situations de crise. Nous les avons sentis, au-delà d'un discours bienveillant, très soucieux de mettre en œuvre rapidement des solutions pratiques sur le plan financier, sur le plan réglementaire. Avec notre comité Outre-mer (présidé par Bruno Arcadipane, ndlr), nous avons beaucoup insisté sur le fait qu'il fallait des procédures dérogatoires, en particulier pour la reconstruction de logements. J'ai perçu un souci d'efficacité opérationnelle très fort de la part du ministre.
Toujours est-il que le pays se trouve dans une situation politique assez complexe. On ne sait pas si ce gouvernement durera assez longtemps et surtout, il y a la question du vote du budget. Les aides économiques à apporter aux Outre-mer dépendent aussi du budget…
Vous avez évidemment raison : il y a beaucoup de points d'interrogation. C'est vrai pour les agriculteurs, y compris les agriculteurs ultramarins. C'est vrai pour le logement, c'est vrai pour les entreprises d'une manière générale. Nous sommes très attentifs à ce qui se passe.
Pour revenir à cet entretien avec Manuel Valls, à plusieurs reprises, il nous a dit qu'effectivement, il y a des enveloppes budgétaires qui étaient attendues, sollicitées mais qui ne seraient décidées que si le budget était voté.
Nous sommes aussi très attentifs à ce que va dire le Premier ministre dans son discours de politique générale. J'ai pu le rencontrer la semaine dernière, ainsi que le ministre de l'Économie et des Finances, la ministre de la Santé et du Travail. Nous avons tiré le signal d'alarme pour dire qu'il fallait que les décisions prennent en compte la réalité de la situation économique. Elle est très tendue.
Si on évoque la situation par territoire, en commençant par Mayotte, dévastée par le cyclone Chido, il y a eu beaucoup d'annonces depuis le passage des annonces d'aides économiques, notamment à l'égard des entreprises. Comment sont-elles perçues localement, notamment par le Medef de Mayotte ?
Ces annonces et aides économiques à Mayotte ont été bien accueillies. C'est le cas aussi en Nouvelle-Calédonie, ou en Martinique, même si à nouveau, chaque territoire a des problématiques propres.
Nous, ce qui nous perturbe, c'est la complexité et l'inertie de la relation entre l'État et les collectivités locales. Nous constatons que les choses ne vont pas assez vite de ce point de vue. C’est dans notre ADN d'entrepreneur. Nous apprécions qu'une fois les choses décidées, elles soient mises en œuvre. Malheureusement, beaucoup de discussions entre État et collectivités locales prennent trop de temps.
Toujours sur Mayotte, la loi d'urgence qui devrait, sauf grosse surprise, être votée par l'Assemblée nationale et la loi-programme prévue au printemps vont-elles dans le bon sens ?
Oui. Ce que je perçois de mes nombreux contacts avec des parlementaires, malgré quelques réserves sur le texte, ce projet de loi va être très largement voté et c'est bien ainsi.
Concernant la Nouvelle Calédonie, là aussi, vous êtes un interlocuteur présent avec le Medef calédonien, comment se portent les entreprises localement ? Est-ce qu'elles ont confiance en l'avenir ?
Elles sont, en tous les cas, très désireuses. La présidente du Medef Nouvelle-Calédonie, Mimsy Daly, qui est une femme absolument remarquable, a redit encore hier matin à Manuel Valls son souci que l’on s'inscrive dans une stratégie de long terme.
Parce que c'est vrai pour tout le monde, mais ça l'est particulièrement pour les entreprises : il n'y aura pas de retour de la confiance, il n'y aura pas de retour des investissements, ne serait-ce que pour reconstruire, si on ne se donne pas une trajectoire qui fasse consensus.
En dehors des interrogations, nous sommes très attentifs au le déblocage de fonds, à la mise en œuvre de dispositifs dérogatoires, je pense en particulier à l'activité partielle. Mimsy Daly a fait référence à ce qui a été mis en place pour la Polynésie française il y a une quinzaine d'années, et qui est très intéressant : un vrai plan stratégique concerté avec tous les acteurs, dont les entreprises. C'est la condition du retour de la confiance et des financements.
Vous avez évoqué l'aide au chômage partiel. Ce dispositif est maintenu jusqu'en juin 2025. Mais son financement doit encore être discuté. Est-ce que c'est un sujet que vous avez évoqué avec le ministre des Outre-mer ?
Oui, parce que le régime est tombé au 1ᵉʳ janvier et cela participe à donner un horizon et de l'oxygène. Ça nous paraît être le minimum que le régime soit rétabli et prorogé jusqu'à juin. Et puis, d'ici là, il sera toujours temps de voir s'il faut aller plus loin encore. Mais ça donne déjà un peu d'optimisme.
Vous avez aussi évoqué la question des financements européens. Quel a été votre message à ce sujet ?
Nous observons des pertes en ligne sur les financements européens. C’est vrai à la fois pour l’Hexagone mais aussi pour les Outre-mer. Au Medef, on s'organise pour être beaucoup plus au contact, beaucoup plus pertinent dans la relation avec la Commission européenne. Et ça vaut pour les territoires ultramarins. Nous en avons effectivement parlé avec Manuel Valls lundi matin.
Vous considérez que les financements européens ne sont pas assez utilisés en Outre-mer ?
En Outre-mer et d'une manière générale en métropole.
Il y a un sujet qui commence à inquiéter en Outre-mer : celui des assurances. On voit à la fois des assureurs qui se montrent plus réticents dans certains territoires en proie aux émeutes et dans d’autres territoires, des assurés qui représentent à peine 10% de la population. Est-ce pour vous un sujet d’inquiétude, quand on sait par exemple que les entreprises ont besoin d’être assurées pour obtenir des crédits bancaires ?
C'est un sujet qu'on a bien en tête et qui est complexe. Il y a ce qui devrait relever de la solidarité nationale, soit au titre des catastrophes naturelles, soit au titre des émeutes. Les problèmes qui existent en Nouvelle-Calédonie ne sont pas du tout de la même origine que les problèmes qu’il y a à Mayotte ou en Martinique.
Donc, il faut probablement réviser un certain nombre de dispositifs publics de solidarité, notamment autour des émeutes. La mise en œuvre de ces dispositifs, « CatNat » ou émeutes, à la charge de l'État, est très compliquée et assez lourde.
Après, il y a ce qui relève du privé. C'est très compliqué d'exiger des assureurs, de couvrir des risques contre lesquels des ménages, des particuliers ou des entreprises ne sont pas assurés. Les compagnies d'assurance, ce sont des entreprises privées qui ont d'abord des impératifs réglementaires et ensuite des impératifs financiers.
Je voudrais quand même souligner que pour Mayotte, lors des tous premiers jours qui ont suivi le cyclone, les assureurs ont envoyé sur place des experts, et ont mis en œuvre des procédures accélérées pour instruire les dossiers.
Donc, c'est un dossier complexe. Et à la fin des fins, il faut que l'État assume ses responsabilités face à des risques qui dépassent la relation commerciale, que ce soient pour les émeutes ou les catastrophes naturelles. On sait très bien que le régime de catastrophes naturelles devrait être révisé parce qu'il y a une multiplication des phénomènes climatiques.
Vous avez évoqué plus tôt la méconnaissance des hexagonaux, et l’image parfois négative qu’on peut avoir des Outre-mer et en même temps, ce sont des territoires qui ne surgissent dans l’actualité qu’à travers les drames qu’ils peuvent traverser. Pourtant vous portez un regard davantage optimiste sur les perspectives de développement qu’on peut y trouver…
Il y a les sujets critiques, urgents, anxiogènes pour un certain nombre de territoires, mais il y a aussi des sujets très positifs pour les Outre-mer. Et au Medef, nous sommes très soucieux que les gouvernants mettent en œuvre également toutes les politiques, tous les financements, toutes les stratégies qui permettront de projeter nos territoires ultramarins, quels qu'ils soient, vers l'avenir. Parce que je suis totalement convaincu que ces territoires sont un atout extraordinaire pour la France.
Je prends un cas, celui de la Guyane, qui par ailleurs, a ses propres problématiques. On les connaît, elles sont démographiques, migratoires ou liées au narcotrafic. Il faut y faire face. Mais en Guyane, je suis très impressionné de voir l'effervescence entrepreneuriale. On y trouve des start-ups très prometteuses, notamment autour de la biodiversité, de la pharmacopée. Il faut que dans l'imaginaire collectif, tous nos concitoyens, mais aussi nos décideurs publics, comprennent que les Outre-mer, ça ne se résume pas à des problèmes loin s'en faut.