Accompagné des députés Philippe Gosselin, Tematai Le Gayic et Guillaume Vuilletet, le député de Guyane et président de la délégation aux Outre-mer de l’Assemblée nationale, Davy Rimane (GDR), débute ce lundi une série de visite dans les territoires, dans le cadre de la mission d’information sur l’évolution institutionnelle en Outre-mer. Une mission qui doit donner lieu à des préconisations factuelles, insiste-t-il, basées sur les échanges avec les élus locaux, entre mai et juin. Outremers360 l’a rencontré avant son premier déplacement à La Réunion et Mayotte, dans le cadre de ces échanges.
Outremers360 : Vous êtes à l'initiative d'une mission d'information sur l'évolution institutionnelle des Outre-mer. Pourquoi, en tant que parlementaire de Guyane et aussi président de la délégation aux Outre-mer, vous avez souhaité que l'Assemblée nationale se penche sur le sujet et comment est-ce que vous appréhendez cette mission ?
Davy Rimane : C'est un sujet devenu majeur dans la mesure où il y a la question sur la Nouvelle-Calédonie et son avenir. Il y a une évolution, une réforme constitutionnelle qui est annoncée pour la Nouvelle-Calédonie, et d'autres territoires souhaitent évoluer soit institutionnellement ou statutairement.
Donc, il était logique que la délégation aux Outre-mer à l'Assemblée nationale s'empare de ce sujet pour effectivement apporter sa pierre à l'édifice et mettre en exergue les velléités et les volontés de tous. Chaque territoire aura sa réalité et même au sein même de chaque territoire, je pense qu'il y aura matière à discussion. Il s’agit de faire une cartographie claire et limpide, afin de que tout le monde et que le gouvernement en place puisse savoir, comprendre quelles sont les velléités et les volontés de chaque territoire.
Justement, sur quoi débouchera concrètement cette mission ?
Il y aura un rapport qui va être rendu, entre mai et juin, avec des préconisations, des observations qui seront mises en évidence. Ce sera le fruit des échanges, des discussions, des analyses qui seront apportées. Mais surtout de façon factuelle : il n'y aura pas de posture partisane. Nous souhaitons rendre fidèlement, factuellement ce qui aura été dit et retenu par rapport aux échanges futurs.
Le Président de la République a nommé deux experts chargés de mener des consultations sur ce sujet. Qu’en pensez-vous ?
Le président a voulu nommer ses experts pour avoir peut-être un regard pour lui, qu'il le fasse. Mais les meilleurs experts qu'il pourrait avoir, ce sont les personnes des territoires, qui savent, comprennent et vivent au quotidien leur territoire. Et s'ils veulent évoluer, ils savent pourquoi ils veulent évoluer. Donc à un moment donné, la priorité, c'est de savoir écouter les élus de ces territoires, qui eux-mêmes sont l'émanation des populations concernées. Ce sont les meilleurs experts qu'il puisse y avoir à l'heure actuelle.
Il a été demandé aux experts des propositions sur la clarification des compétences, la simplification et l'adaptation du droit en Outre-mer, la nécessité d'évolution institutionnelle et la simplification de l'organisation territoriale et enfin la question du développement économique, sans toutefois évoquer la question de l’autonomie qui est souvent abordée dans certains territoires. Est-ce que cette feuille de route est la bonne ?
Je ne vais pas faire de jugement de valeur sur la feuille de route qu'a pu donner le président de la République à ses experts. J’interroge cependant, au regard de ce qui leur a été demandé, est-ce qu'ils sont en phase avec ce à quoi nous aspirons ? Oui et non, dans la mesure où il demande à deux experts de lui faire un retour. Or, le retour, il l’a régulièrement des élus. On cherche à gagner du temps. On cherche à noyer le poisson sur la question de l'adaptation, sur la question de la nécessité à évoluer.
Historiquement, l'État n'a jamais su faire avec les territoires d'Outre-mer, parce que l'État n'a jamais eu de regard stratégique, de volonté de faire les choses bien sur nos territoires. Il faut qu'il puisse l'entendre et l'intégrer. Tant qu'il n'y aura pas la volonté de faire les choses correctement sur nos territoires, ça ne marchera jamais. Nous en sommes conscients aujourd'hui, mais on voit qu’on est face à un mur qui ne date pas d'hier. Ça fait des décennies que c'est mis en place.
Maintenant, il y a une volonté à ce que nous fassions des choses nous-mêmes parce qu’on est en train de mourir. Aujourd'hui, on se bat pour avoir l'accès à l'eau. On se bat pour boire et manger à des prix décents. On se bat pour qu'on puisse se déplacer. On se bat pour se soigner, on se bat pour tout. Et lorsque nous expliquons ça à l'État, on veut nous faire passer pour des enfants gâtés. Non, on arrête avec ça, ça suffit. Si l'État ne veut pas faire ou qu'il ne veut pas faire, qu'il ne s'étonne pas que des personnes, des populations, des territoires décident de vouloir faire par eux-mêmes parce qu’il y a un délitement perpétuel qui ne peut plus être toléré. Donc maintenant, nous sommes prêts à prendre nos responsabilités.
Sur la notion d’autonomie : oui, il y a une volonté d'autonomie, une volonté d'évoluer pour certains territoires. Il y a une volonté aussi de pouvoir produire des choses, de faire des choses sur nos territoires. La Guyane a un territoire avec d'énormes richesses que nous ne sommes pas en mesure d'exploiter. Lorsqu’il faut faire des choses pour aménager le territoire, c'est la croix et la bannière. Tout ça n'a aucun sens. On part du principe très clair et très factuel qu’à partir du moment où celui qui a les compétences, celui qui est censé faire, ne veut pas faire, alors on va apprendre à se débrouiller.
Vous avez évoqué la volonté de gagner du temps, et en même temps, le gouvernement n’est pas majoritaire au Sénat, et n’a qu’une majorité relative à l’Assemblée, ce qui rend difficile une révision constitutionnelle surtout si elle implique des évolutions statutaires avec, pour certains territoires, plus d’autonomie, tant cette notion peut paraître mal vue et susciter des réticences… est-ce que l’évolution statutaire des Outre-mer ne vont pas se heurter à cela ?
Il faut qu'on apprenne à écouter. Je ne suis pas un sachant, un expert de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie, de la Martinique, de la Guadeloupe. Je suis un expert de la Guyane. Si les élus d’un territoire disent « nous voulons ça », qui suis-je pour leur dire non ? Les élus connaissent leur territoire, connaissent leur situation et savent pourquoi ils veulent bouger. Ils savent pourquoi ils veulent autre chose.
En partant de ce postulat, s'il me dit « je veux l’autonomie », moi je n’irai pas à l'encontre. En respectant bien sûr l'autre, l'être humain, des choses basiques de la vie en société. Mais à partir du moment où les élus locaux auront fait le choix d’aller vers ce cap, pour leur avenir et leur territoire, qui suis-je ? C'est comme si demain on me dit : « écoutez, les députés des Bouches du Rhône ou d'Aquitaine ont décidé que la région irait vers telle ou telle chose », qui suis-je pour dire non ? Qui suis-je pour dire que je ne suis pas d'accord ? C'est ça en fait qu'il faut comprendre. Il faut apprendre à écouter.
Si certains Outre-mer veulent plus d'émancipation, plus de plus d'autonomie, ou si tel territoire veut l'indépendance, c'est qu'il y a une raison. Il faut aussi se demander pourquoi, et pourquoi vous voulez l'empêcher ? S'ils ne veulent plus être dans la République française ou s'ils veulent plus d'autonomie parce que l'État, la République ne répond pas à leur réalité, on va continuer à leur dire non et les laisser comme ça ? C'est une situation mortifère, à la limite de la criminalité. Je dirais donc non, à un moment donné, il faut savoir raison garder et faire les choses en bonne intelligence.
Votre premier déplacement, avec vos collègues Philippe Gosselin, Tematai Le Gayic et Guillaume Vuilletet, se déroulera à La Réunion, à partir de ce lundi et à Mayotte dans la foulée. Deux territoires qui sont plus réticents à l’évolution statutaire. Comment votre délégation est accueillie ?
La délégation est bien accueillie parce que le but ce n'est pas d'aller pour convaincre des gens, le but c'est d'aller essayer de comprendre, écouter, partager le regard qu'ils ont sur leurs réalités, leur positionnement par rapport aux relations qu'ils ont avec l'État central.
Nous souhaitons voir ce qu'ils mettent en exergue sur leur situation, leur réalité. Est-ce qu'il y a un parallèle à voir ? Est-ce qu'il y a une différence à avoir ? Est-ce qu'il y a une égalité ? Pourquoi telle différence ou telle différence sur les différents territoires ? Est-ce que c'est en lien avec leur situation démographique, géographique ? Toutes ces choses devront être prises en compte pour faire une restitution factuelle. Et justement, il est sain d'avoir des regards ou des débats contradictoires. Il y a peut-être un problème similaire, mais la réaction en face n'est pas la même, elle est différente.
Il faut y aller pour comprendre les choses, comprendre les subtilités, les regards différents. Ça nous amène aussi à nous questionner sur une réflexion autre, et à ébranler les convictions… Le plus important, c'est d'avoir ces échanges, les regards croisés, les débats contradictoires pour arriver, on l'espère, à des préconisations, à des propositions qui soient les plus fidèles par rapport à ce que nous aurons entendu et ce qu'on aura analysé.
Au-delà des élus, vous allez aussi interroger, auditionner des experts institutionnels, des professeurs de droit ou des constitutionnalistes ?
On les a déjà rencontrés, on a échangé, discuté du regard institutionnel, celui des professeurs, des sociologues, anthropologues, avocats, juristes. Il y a un panel de personnes qu'on avait déjà rencontré avant de nous déplacer et qui est content d'avoir ces retours. Maintenant, on se déplace pour écouter les élus des territoires, les mouvements politiques, les entreprises, toutes les forces vives de chaque territoire pour nous dire leur regard. Ça permet d'avoir tous ces regards croisés sur pourquoi est-ce qu'il faut évoluer ou non, pourquoi est-ce qu'il faut que l'État modifie les choses ou pas ? C’est nécessaire pour que chacun puisse se l'approprier et se dire voilà la situation de façon factuelle et voilà ce qui pourrait être proposé ou préconisé. Chacun donnera aussi ses retours sur les préconisations. C'est un document qui ne sera pas figé, qui sera la situation à l'instant T et qui pourrait alimenter les réflexions. Ce n'est pas non plus une opération pour ou contre. Aujourd'hui, on a su dire les choses de façon très sincère et voir ce qui va dans nos territoires, et ce qui ne va pas, et pourquoi est-ce qu'il faudrait bouger les lignes.
La Corse aujourd'hui a demandé à avoir un statut propre, une autonomie extrêmement avancée dans la Constitution. Le Président de la République est d’accord. Le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer l'a rappelé : Oui, effectivement, ils l'auront. Alors pourquoi ce qui est possible pour un territoire français ne peut pas l'être pour d'autres ? Sur la base de quoi ? On répète tout le temps que les territoires d'Outre-mer sont un atout extraordinaire pour la France. Mais la question, à l'inverse, est-elle vraie ? Est-ce que la France est un atout extraordinaire pour ces territoires ? Si le gouvernement a su prendre position très tôt pour dire oui pour la Corse, sur la base de quoi dire non pour les autres territoires qui souhaitent évoluer statutairement, avoir plus d'autonomie ? C'est là la vraie question.
Dans les éléments qui ont annoncé la création de cette mission d’information, vous avez semblé déjà préconisé la suppression des articles 73 et 74, je cite : « une dichotomie devenue artificielle » qui mériterait « un dépoussiérage ».
Je ne sais pas s’il faut que chaque territoire ait son propre article. Certains le demandent déjà. A tort ou à raison, chacun pourra le dire à sa façon. Mais si tel territoire demande un article propre dans la Constitution, il sait pourquoi il le demande.
La pluralité des territoires d'Outre-mer aurait dû, depuis beaucoup d'années, faire en sorte à ce que l'État puisse avoir une flexibilité intellectuelle pour travailler selon chaque territoire, parce que chaque territoire a ses propres réalités. Aujourd’hui ce n’est pas le cas, j'appelle ça de la fainéantise intellectuelle. On décide de quelque chose et on fait une application. Ça ne marche pas, ça ne marchera jamais. Ce qui est vrai à La Réunion ne l'est pas forcément à Mayotte, encore moins en Martinique et je vais dire deux fois moins en Guyane. Chaque territoire a ses réalités propres, intrinsèques et on doit être capable aujourd'hui, par rapport aux politiques publiques, à faire sur un territoire selon sa réalité, tout en se donnant la possibilité d’une évolution soit en profondeur ou à la marge, pour m'adapter à la réalité d’un autre territoire. Et vous allez voir que très rapidement, les choses vont changer.
Avant d’être député, vous avez été une figure de proue du mouvement social de mars 2017 en Guyane, et vous êtes bien placé pour savoir que dans le plan d'urgence, il y avait l'évolution statutaire de la Guyane qui était inscrite. Qu'est ce qui s'est passé entre 2017 et 2023 pour que finalement, aujourd'hui encore, il n'y ait rien qui ait été proposé ?
C'est une question de volonté. Effectivement dans l’accord de Guyane, il y a l’évolution statutaire. Presque sept ans après, on est encore à nommer des experts pour savoir s'il y a nécessité ou pas. C'est se moquer du monde. Ce n'est pas la première fois que la Guyane parle d’évolution statutaire. Je rappelle qu’à son époque, Catayée demandait déjà un statut spécial pour la Guyane. Déjà, on voyait bien que cela ne fonctionnait pas, parce que l'État n'est pas au rendez-vous sur beaucoup de sujets.
On doit aussi, nous en tant qu'élus de ces territoires, balayer devant notre porte parce que nous devons faire notre part. Mais lorsque vous avez un pouvoir qui centralise et prend les décisions, et quel que soit ce que vous pouvez demander, il faut vous battre, il faut presque supplier, à un moment donné, ça ne marche pas. Et ça se répète inlassablement, c'est cyclique.
Voulez-vous une rupture dans ce cycle ? La rupture aujourd'hui, pour nous, par rapport à ce qu'on a en face de soi, c'est de bouger les lignes au niveau statutaire. Nous avons évolué dans nos pratiques, dans nos comportements aussi, sur nos territoires, qu'on le veuille ou non. Plus de responsabilité engage une évolution. Si on ne fait pas ça, si on est toujours là, à attendre le bon vouloir de l'État, cela n’avancera pas.
Au moment où on parle, on a des territoires qui n’ont pas accès à l’eau potable. Est-ce que c'est normal ? Non. Si ça arrivait dans une grande ville de France, ici dans l'Hexagone, ce serait un scandale. Pour certains des Outre-mer, ça fait des décennies que ça dure. Pourquoi ce qui est inacceptable dans l'Hexagone devrait être acceptable dans nos territoires ? Sur l'autel de quoi ? L'autel de l'éloignement ? De la différence des populations ? Du fait qu'on ne se ressemble pas ? Jusqu'à preuve du contraire, ce sont des territoires français à part entière. Sauf si on nous dit maintenant que nous sommes entièrement à part comme disait Aimé Césaire.