INTERVIEW. Guyane : Jean-Luc Davidas, engagé pendant la crise sanitaire, candidat à la CCI

INTERVIEW. Guyane : Jean-Luc Davidas, engagé pendant la crise sanitaire, candidat à la CCI

« Vous êtes le premier média à qui j’annonce officiellement que je serai candidat aux prochaines élections de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Guyane en 2021 », a déclaré Jean-Luc Davidas, fondateur d’APPRO Guyane, dans une interview accordée à Outremers360. Trsè engagé durant la crise sanitaire, l’entrepreneur revient sur son parcours et présente son projet pour la CCI Guyane, acteur majeur de l’économie du département qui gère notamment l’aéroport Félix Éboué.

Outremers360 : Vous avez investi, au fil des années, dans différents secteurs comme l'industrie, le commerce et les services. Durant cette crise Covid, vous vous êtes distingué grâce à votre plateforme d’approvisionnement qui a effectué dernièrement le fret de denrées alimentaires et autres produits dans des zones isolées en Guyane. Comment cela a-t-il commencé ?

Jean-Luc Davidas : Il est vrai que mon parcours professionnel est varié : j’ai d’abord commencé dans le secteur de la vente automobile, puis ce fut l’imprimerie, le BTP, la pêche sportive, la fabrication de produits d’entretien, la blanchisserie industrielle et j’en passe et des meilleurs. Tout cela a été possible grâce à mon profil autodidacte et la motivation de toujours vouloir découvrir de nouvelles activités afin de m’enrichir personnellement. 

En 2013, j’ai créé APPRO GUYANE, initialement destinée à répondre aux attentes de l’industrie pétrolière qui annonçait un fort potentiel pour la Guyane. Avec les acteurs économiques locaux de la distribution alimentaire et un partenaire surinamien pour les produits alimentaires, nous avons créé un réseau d’approvisionnement spécifique pour répondre aux exigences de la clientèle américaine basée au large de la Guyane. Ce fut donc à partir de ce moment que je me suis spécialisé dans l’approvisionnement en site isolé.

Lorsqu’en mars 2020 la Guyane s’est vue brutalement imposé un confinement, cela a généré une rupture des chaînes d’approvisionnement pour les territoires éloignés et isolés du littoral en raison de la limitation du nombre de rotations de fret aérien intra-Guyane et de la conjoncture météorologique (inondation, sécheresse, baisse du niveau du Lawa). On parle souvent de la vastitude de la Guyane mais très rarement de ses communes et villages enclavés où vivent des milliers de guyanais, de français ! Lorsque les maires de ces communes et les capitaines de ces villages ont sollicité le Président de la CTG, Rodolphe Alexandre, pour une aide alimentaire et sanitaire, je n’ai pas hésité à répondre à l’appel bien que le nouveau contexte épidémique pouvait rendre l’opérationnel complexe.

En effet, toute « l’originalité » de cette action était de devoir s’approvisionner en denrées alimentaires à l’heure où certains rayons commençaient à se vider en raison de la panique d’une fermeture générale et de pouvoir acheminer ces produits via un nouveau moyen. Il a donc fallu entamer un gros travail auprès des fournisseurs pour trouver les produits de premières nécessités demandés avant de devoir gérer l’optimisation du poids autorisé par hélicoptère pour chaque rotation puisque ce n’était pas moins d’une tonne de produit qui quittait la base aérienne de Cayenne pour rejoindre une modeste piste d’atterrissage en pleine forêt entre deux villages.

Lorsque nous avons pu alimenter les villages le long du Maroni par pirogue, le conditionnement et la répartition des produits dans l’embarcation d’un poids supérieur à 2,5 tonnes ont obligé à un vrai travail d’équilibriste afin de permettre aux pilotes de passer les différents sauts parfois au péril de leur vie. Pour répondre au cahier des charges de la CTG, tous les produits livrés devaient être préalablement désinfectés et reconditionnés. Un travail minutieux mais titanesque vu la quantité totale traitée : plus de 50 tonnes de marchandises livrées de l’est (Camopi, Trois Saut, Trois Palétuvier) à l’ouest (Boni Ville, Talluen, Tuenke, Atekumpata) ! 

Y a-t-il un événement qui vous a marqué, plus que d’autres ?

La crise économique qui s’est prolongée a entraîné une grande misère, je retiens notamment celle des étudiants et des personnes âgées qui rencontraient de grandes difficultés financières. La Collectivité territoriale a également fait appel à ma société à plusieurs reprises pour organiser des distributions de près de 1000 paniers alimentaires rien qu’à l’Université à destination des étudiants les plus précaires pour qui j’ai confectionné une base de produits de premières nécessités : pâtes, huile, farine, conserves de légumes et de viandes, confiture, produits sanitaires (savon, gel, masque).

Le succès de ce panier alimentaire m’a valu des sollicitations d’autres collectivités mais j’ai préféré décliner pour garantir un service à la hauteur du besoin car nous avons tous été impactés par la crise. Je ne dirai pas que j’étais investi d’une mission mais j’ai mis beaucoup de cœur à remplir cette tâche et ce fut une expérience sociale et humaine exceptionnelle. Lors de ces livraisons, j’ai pu constater davantage la misère qui touchait des mères de familles qui nous attendaient avec impatience pour pouvoir nourrir leurs enfants. Cela semble anodin mais je peux vous garantir qu’il y avait de la détresse chez les personnes en situation de grande précarité que la COVID-19 a poussé dans le précipice.

Qu'est-ce qui a été le plus compliqué pour vous durant cette période ?

Comme je l’ai indiqué, la première problématique a été de pouvoir s’approvisionner en grande quantité durant cette période où tous les fournisseurs subissaient de lourds retards dans leur approvisionnement maritime et devaient faire face à une très forte demande. Les stocks étant tendu, les prix ne cessaient d’augmenter et certains produits comme les pâtes, les haricots et même le riz devenaient des denrées rares.

Enfin, je pense que c’était la partie la plus compliquée, devoir gérer des approvisionnements dans des régions totalement hermétiques au reste de la Guyane sans y amener la COVID-19, et a contrario, pénétrer dans des clusters où le virus circulait activement sans devoir infecter nos équipes et nos prestataires. Nous étions potentiellement cas contact après chaque livraison dans ces zones à risque et nous étions donc obligés de faire des tests antigéniques quasiment une fois par semaine. 

Comment décrire la situation actuelle au niveau sanitaire, social, mais aussi économique ? 

Comme partout dans le monde, la situation reste tendue avec cette particularité pour notre territoire : nous subissons un couvre-feu et un confinement depuis 17 mois sans discontinuité ! Économiquement, les entreprises ont bénéficié massivement du PGE, des aides, et des prêts mis en place par les institutions locales lors de la première vague. Pour autant, les effets contraires se présentent aujourd’hui car les entreprises doivent commencer à imaginer le remboursement alors que l’activité économique n’a jamais réellement repris.

Aussi, le positionnement géographique de la Guyane, voisin de deux pays particulièrement touchés par la COVID, à savoir l’Amapa au Brésil et le Suriname, a fléché ce territoire en zone rouge réduisant de facto le tourisme, et donc la clientèle des hôtels, des locations automobiles, des restaurants et tous les prestataires de cette filière. L’absence d’activité n’étant pas liée à des fermetures administratives, les entreprises ne bénéficient plus des aides de l’Etat, entraînant donc la mise en péril de leur équilibre financier. 

Vous comprenez donc que la situation économique fait effet boule de neige car la détérioration du tissu économique global a entraîné la frilosité des banques, la réduction des investissements sans pour autant subir une diminution de la pression de recouvrement fiscal et social. Les marchés parallèles se sont amplifiés créant une véritable misère humaine dans certains secteurs entraînant des problèmes d’insécurité à tous les niveaux. Les grandes périodes de marchandising comme la fête des mères, la rentrée scolaire ou les fêtes de fin d’années se sont déroulées sous confinement ou couvre-feu, défavorisant « l’instinct d’achat ». La Guyane aura peine à s’en remettre sans un véritable plan de reprise économique fléché essentiellement au profit des PME et TPE.

Enfin, la mise en place des nouvelles mesures comme le pass sanitaire sous le modèle de la France métropolitaine est tout simplement irréalisable en l’état. Le taux de vaccination reste trop bas et la perte de confiance envers les décisions gouvernementales fait l’unanimité même si le ministère des Outre-mer semble être à l’écoute de la problématique de notre territoire.

Étant un acteur très engagé du monde économique de la Guyane, vous avez décidé de vous présenter une nouvelle fois aux élections de la Chambre de Commerce et d’Industrie qui auront lieu en novembre prochain. Vous avez été entre 2010 et 2016, vice-président, mais également président de diverses commissions au sein de cette institution ; pourquoi revenir aujourd'hui ?  Que représente la CCI pour vous ?

Vous êtes le premier média à qui j’annonce officiellement que je serai candidat aux prochaines élections de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Guyane en 2021 ! Il est vrai que j’ai été vice-président de cette institution pendant la mandature 2010-2015, chargé de mission en charge des relations économiques transfrontalières. A ce titre, j’ai participé à la mise en place des Accords internationaux du transport, la Mission Opérationnelle Transfrontalière à Saint-Georges, la zone de libre échange économique, l’éventualité d’une zone franche globale d’activité avec la SUFRAMA et bien d’autres. Mais c’est avec un réel regret que j’observe que tous ces projets pourtant actés sont passés aux oubliettes malgré la volonté commune de convergence affichée de nos voisins.  

Suite à des problèmes de santé en 2017, je me suis retiré de l’ensemble de mes mandats patronaux (MEDEF, FEDOM, Grand Port Maritime, Médecine du travail) avec l’engagement d’une retraite anticipée durable. Mais l’immobilisme consulaire en Guyane et une forte sollicitation des entrepreneurs m’ont convaincu de revenir sur les devants de la scène avec une équipe jeune et motivée qui seront accompagnés d’élus expérimentés. En 2016, notre projet consulaire était axé sur une institution qui devait devenir « la maison des entreprises ». L’équipe actuelle n’a pas hésité à mettre en œuvre ce projet en omettant cependant le contenu de nos propositions. Dommage ! Cette maison des entreprises devait être accompagnée par la création du guichet unique dans toutes les antennes.  

Le début de la mandature du Président Macron à laisser entendre une disparition annoncée des corps intermédiaires, telle que les chambres consulaires. Force est de constater que le Gouvernement s’est vite rendu compte de l’importance d’une chambre consulaire quand elle est au service de ses ressortissants et ce particulièrement dans le cadre de sa mission première « d’appui aux entreprises ». 

Je souhaite donc redonner à la CCI Guyane ses lettres de noblesse afin qu’elle redevienne un acteur incontournable du développement économique et un partenaire privilégié des politiques régionales, nationales et européennes. Après 5 ans d’immobilisme, c’est un véritable chantier d’envergure que nous prendrons à bras le corps au lendemain de notre élection. Nous devrons préparer la fin de la concession de la plateforme aéroportuaire Félix Eboué tout en rassurant l’ensemble des acteurs économiques et le personnel consulaire qui y travaillent au quotidien. 

Le projet de refonte et de perfectionnement de notre service de formation ne sera pas en reste tout comme la création de ressources nouvelles qui s’appuiera essentiellement sur le professionnalisme des collaborateurs actuels et la reprise des relations avec nos voisins qui sera une priorité. Tous ces projets ne pourront se mettre en œuvre qu’en corollaire d’un vrai plan d’action de la gestion de la crise COVID au bénéfice des entreprises du territoire qui sont depuis trop longtemps la variable d’ajustement des mesures de lutte contre l’épidémie.

Propos recueillis par Abby Saïd Adinani