Après une baisse d’activité en 2023 et la suppression de 190 emplois, le Centre spatial guyanais se prépare à l’arrivée d’Ariane 6, dont le vol inaugural est programmé pour le premier semestre 2024. Pour accueillir cette nouvelle fusée et se repositionner dans la course à l’espace, le Centre national d’études spatiales mise sur la digitalisation et le développement durable. Entretien avec Jean-Marc Astorg, directeur de la stratégie au Centre national d’études spatiales (CNES) et ancien directeur des lanceurs.
Des propos recueillis par Marion Durand.
On célèbre ce mercredi 4 octobre la semaine mondiale de l’espace, à quoi servent ces journées pour le Centre national d’études spatiales ?
La semaine mondiale de l’espace commémore le premier lancement d’un satellite artificiel, Spoutnik, le 4 octobre 1957. C’est donc à cette date qu’a lieu, tous les ans, le Congrès international d’astronautique, qui réunit les acteurs de la discipline pour échanger sur les avancées spatiales. Cette année, le CNES n’y participera pas car le rendez-vous se déroule en Azerbaïdjan. En 2022, le congrès s’est tenu à Paris et a rassemblé environ 10 000 personnes.
Les équipes du Centre spatial guyanais se préparent au prochain vol de la fusée Vega, dont le décollage est prévu ce vendredi 6 octobre. Quelle sera sa mission ?
Pour cette mission, Vega lancera le satellite d’observation de la terre optique THEOS-2 construit par Airbus pour le compte de la Thaïlande, ainsi qu’une série de microsatellites. Ce lancement n’est pas réellement lié à cette semaine de l’espace, il aurait dû avoir lieu au mois d’août mais son décollage a été décalé, c’est un hasard du calendrier. Ce vol est l’avant-dernier lancement de la version Vega avant son remplacement par Vega-C.
On opérait hier Ariane 5, Soyouz et Vega. Demain, ce sera Ariane 6 et Vega-C. Il y a actuellement une activité réduite en termes de lancements au Centre spatial guyanais mais c’est une période de transition, le CSG se prépare à d’importants changements et nous préparons le futur en rénovant l’ensemble de la base.
C’est donc un tout nouveau départ qui se profile pour le Centre spatial guyanais ?
Lorsque Ariane 6 sera opérationnel, ce sera en effet un nouveau départ pour le CSG. Ce lanceur européen est très attendu, son vol inaugural aurait dû avoir lieu en 2020, il y a quatre ans. Nous avons beaucoup de retard mais les perspectives d’Ariane 6 sont bonnes, 28 fusées figurent déjà dans le carnet de commandes d’Arianespace. Il faut maintenant réussir le premier lancement, programmé pour le premier semestre 2024. Nous restons imprécis sur la date tant que nous n’avons pas réalisé l’allumage du premier étage de la fusée, prévu pour fin octobre en Guyane. Cet essai de longue durée nous permettra ensuite de confirmer le transfert en Guyane du premier exemplaire de vol d’Ariane 6, quasiment terminé mais dont les pièces sont encore en Europe. Le premier étage se trouve sur le site ArianeGroup des Mureaux (Yvelines) et le deuxième à Brême, en Allemagne.
Le Centre spatial guyanais a-t-il été aménagé pour accueillir Ariane 6 ?
Un nouveau pas de tir (plateforme à partir de laquelle est lancé un missile ou une fusée, NDLR) plus moderne a été construit pour réduire les coûts et l’impact l’environnemental. Par exemple, nous recyclerons l’eau utilisée au moment du décollage du lanceur pour refroidir l’ensemble des structures de la table de lancement, ce n’était pas le cas sur Ariane 5. Un important programme de rénovation, de modernisation et de digitalisation du Centre spatial guyanais a été lancé, dans un objectif de réduction des coûts.
Mais le passage d’Ariane 5 à Ariane 6 a entraîné une baisse des effectifs, avec la suppression de 190 emplois sur les 1 580 salariés. Pourquoi ?
Avec Ariane 6, les opérations seront plus automatisées et nécessiteront moins de mains d’œuvre. Aussi, l’intégration des lanceurs sera davantage réalisée dans l’Hexagone et les opérations en Guyane seront réduites. Les campagnes de lancement passeront à 10 jours, contre trois semaines pour Ariane 5.
Mais le Centre spatial Guyanais ne se résume pas à Ariane 6, l’arrivée d’autres lanceurs permettra le développement de l’activité grâce à une diversification des lancements. On développe notamment un minilanceur réutilisable nommé Maïa. Cette suppression d’emplois répond à une année limitée en termes d’activités de lancement mais, sur le long terme, le CSG reste une excellente base avec des perspectives de développements importantes. On peut s’attendre à une augmentation d’activité dans les prochaines années.
Selon une étude de l’Insee, en 2019 les activités liées au CSG ont créé près de 13 % de la valeur ajoutée totale de la Guyane, soit 528 millions d’euros. Bien que sa contribution dans l’économie soit en baisse, le spatial reste-t-il le moteur de l’économie guyanaise ?
Le spatial est une chance pour la Guyane car il crée de l’activité et des emplois de haut niveau. Il contribue aussi à la renommée de la Guyane sur le plan international. Quand le télescope spatial James Webb de la NASA a été lancé par une fusée Ariane 5 en décembre 2021, le monde entier regardait la Guyane.
Comment le CNES et le port spatial de Kourou s’insèrent-ils dans la vie guyanaise ?
Que ce soit dans l’Hexagone ou dans les Outre-mer, le CNES mène des actions éducatives à destination des plus jeunes, notamment grâce à des interventions dans les écoles pour présenter les activités spatiales et expliquer ce que ça apporte, concrètement, dans la vie de tous les jours. En Guyane, nos équipes mènent des opérations spécifiques, ils vont à l’encontre des populations vivant dans les villages les plus reculés du pays. Le CNES intervient à l’IUT (Institut universitaire de technologie) de Kourou et mène des projets de conception de petits lanceurs ou de petits satellites avec les étudiants. Nous avons aussi une politique de soutien aux start-up, avec la plateforme Connect by CNES.
Quelles ont été les conséquences de l’arrêt des lancements de Soyouz depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie ?
Les conséquences ont été majeures ! On avait une cadence de deux à trois lancements Soyouz par an avec des missions très importantes pour l’Europe comme Galileo ou des missions scientifiques. L’arrêt, décidé par les Russes, s’est fait très brutalement. Un pas de tir avait été construit pour Soyouz, nous réfléchissons actuellement à une façon de le réutiliser pour d’autres lanceurs, mais cela prendra plusieurs années.
L’Europe est à la traîne dans la course à l’espace, êtes-vous confiant pour 2024 ?
Le spatial ne se limite pas aux lanceurs. L’espace c’est aussi les télécommunications et l’observation de la terre. Dans le domaine des satellites, on a deux constructeurs européens, Airbus et Thales, qui sont leader sur le marché des télécoms. L’industrie européenne est très bien placée dans le domaine du spatial, nous avons aussi de belles missions scientifiques, comme la sonde Juice lancée en avril pour observer les lunes gelées de Jupiter ou le satellite Swot de mesure du niveau des océans lancé en décembre dernier.
Mais il est vrai que les retards d’Ariane 6 alimentent cette impression d’Europe à la traîne, dès qu’on aura réussi ce premier lancement, on n’aura plus du tout cette impression. Aussi, le choix de ne pas faire de vol habité -alors que les Américains, les Russes et les Chinois le font- est une question qui se repose aujourd’hui : ne faudrait-il pas y revenir pour se repositionner dans la course à l’espace ?
Le centre spatial de Kourou est-il toujours compétitif sur la scène internationale ?
Oui, car il est idéalement placé pour toutes les missions. Le fait qu’il soit situé sur l’Équateur, avec cette ouverture sur la mer, permet de lancer dans l’ensemble des directions, ce qui fait du Centre spatial guyanais la meilleure base de lancement au monde sur le plan géographique.