Depuis 2013, des conventions d’étude du site du Centre Spatial Guyanais (CSG) sont signées entre le Centre National d’Études Spatiales (CNES) et l’Office français de la biodiversité (OFB). Ainsi, depuis 10 ans, Les experts de l’OFB analysent au plus près la grande faune de ce territoire unique en Guyane.
650 km2 de forêt du CSG, comme référence en termes de forêt littorale non soumise à la pression de la chasse. Un lieu unique en Guyane, résume Cécile Richard-Hansen, ingénieure experte Faune Guyane à la direction de la Recherche et Appui scientifique (DRAS), qui étudie la faune guyanaise depuis plus de 30 ans : « En 2012, le CSG est venu à la rencontre de l’un des ancêtres de l’Office français de la biodiversité (OFB), l’Office national de la chasse et de la Faune sauvage, afin de mieux connaître les animaux de son territoire, la protection environnementale du site étant de la responsabilité du CNES. Nous avons donc monté une équipe en partenariat avec la DRAS, pour le côté recherche pure, et nous avons signé la première d’une longue série de conventions sur trois ans ».
C’est ainsi qu’a débuté travail de recensement, très riche d’enseignements. « À l’issue de ce premier exercice grandeur nature, nous avons été très agréablement surpris. À la fois par la diversité des espèces comme par le nombre d’animaux trouvés pour chacune d’entre elles ».
Plus de cinquante espèces de vertébrés sont ainsi inventoriées via des pièges à photo automatiques ou au comptage direct, alors que presque toute la grande faune de Guyane est représentée sur le site, puisqu’on y retrouve quasiment toutes les espèces de carnivores, du puma au jaguar, en passant par le jaguarondi, l’ocelot, ou encore le chat margay, cinq espèces de primates, et tous les ongulés.
Afin de compléter les données enregistrées, l’équipe de l’OFB, appuyée par des collaborateurs de différents laboratoires de recherche, s’est aussi lancée dans la réalisation d’un Indice Kilométrique d’Abondance (IKA), visant à analyser l’abondance des espèces les plus communes. Ainsi, 21 espèces ont été prises en compte dans ce calcul d’IKA et un nouveau comptage a été réalisé à la fin de l’année 2022, qui devrait rendre ses résultats sous peu.
L’IKA a permis de déterminer ensuite les axes de recherche. Des programmes sont lancés autour des tapirs, des jaguars, des pécaris à lèvres blanches et des biches rouges. Pour chaque espèce, la procédure utilisée est la même ou presque : les individus sont attrapés et marqués, suivis par GPS ou par satellite ou via des pièges photos.
Parmi les espèces suivies, le jaguar, animal emblématique de la Guyane considéré comme une espèce dite à enjeux social et écologique. La taille de la zone du CSG, sa protection des chasseurs et braconniers et sa facilité d’accès par des pistes internes, en font un lieu particulièrement favorable à l’observation des jaguars. Si, avec moins de cinq spécimens, la quantité de grands félins étudiés est jugée modeste, les études sur les félins sauvages et notamment les jaguars sont considérés comme indispensables en raison de leur implantation dans des zones peuplées, et aux conflits fréquents avec les hommes.
Autre espèce bénéficiant d’un suivi dédié, le pécari à lèvres blanches, l’une des espèces marquantes de la forêt amazonienne. Vivant en larges groupes pouvant atteindre plusieurs centaines d’individus, il est l’un des principaux gibiers chassés en Guyane. Ici, le territoire du CSG s’est avéré être salvateur, puisque l’espèce a été récemment classée comme quasi menacée, ayant grandement diminué en Guyane, sauf sur le territoire du CSG.
Pour Cécile Richard-Hansen, il s’agissait d’une véritable opportunité, qui lui a permis d’en faire un de ses thèmes d’études favoris pendant plusieurs années : « Nous sommes désormais arrivés au maximum de nos capacités, car chercher plus avant demanderait des moyens techniques trop complexes. Mais nous avons fait des avancées majeures sur le sujet — même s’il reste tant à comprendre — et nos travaux ont fait l’objet d’une publication, ce qui reste la raison d’être de la DRAS ».
Parmi les autres espèces passées à la loupe dans le territoire du CSG récemment, les tapirs ont également fait l’objet d’études afin, notamment, de comparer la densité de l’espèce avec d’autres zones telles que celle de la réserve des Nouragues, une réserve naturelle guyanaise au milieu forestier radicalement différent. En fonction des époques et des problématiques, des analyses de données GPS, satellite ou photographique ont été analysées. Au bout de quelques années, le suivi des tapirs et de leur mode de vie a été interrompu.
À l’inverse, le suivi des biches rouges continue, notamment parce que « le projet de transfert de la petite colonie installée sur le pas de tir d’Ariane 6 n’a pas porté ses fruits », explique Stéphanie Barthe, précisant que « L’évolution de leur nombre sera donc suivie de près par le biais de pièges photographiques afin de vérifier qu’elles ne deviennent pas trop nombreuses ».
Enfin, la dernière convention a été marquée par un vaste programme de suivi du hocco, grand oiseau terrestre noir, très chassé, soumis à un quota de 1 animal par sortie de chasse et par chasseur. Présent en relativement grand nombre sur le territoire du CSG, il peut se développer hors de la pression de la chasse. Très peu étudié, le travail autour de l’espèce sur la zone, commencé en 2021, va permettre de mieux connaître son domaine vital et ses caractéristiques paysagères.
À l’avenir, Stéphanie Barthe souhaiterait intégrer les tortues marines dans les espèces suivies au CSG : « Lors de survols du CSG en ULM et en hélicoptères, nous avons trouvé beaucoup de plages isolées. Elles pourraient nous servir de point de départ pour des comptages des pontes dans le cadre du Plan national d’actions en faveur des tortues marines ».
Damien CHAILLOT