Pots de fleurs, balustrades repeintes, bois et tôle ouvrant sur la plage: près du port de Saint-Félix, en Guadeloupe, un restaurant attire l'œil et l'attention du Conservatoire du littoral, qui soupçonne une installation illégale en zone protégée.
Après plusieurs interventions dans le secteur, Medhy Broussillon, délégué adjoint outre-mer du Conservatoire, désigne la bâtisse située à quelques mètres d'une zone humide sur la commune du Gosier (Grande-Terre). "Là, c'est certainement la prochaine étape", souffle-t-il.
Selon les premiers éléments en sa possession, l'établissement n'a pas d'autorisation. La proximité de la mangrove soulève plusieurs interrogations. "Toilettes, huiles de cuisine, ruissellement pluvial... L'idée est de voir s'il y a une atteinte au milieu", précise-t-il. Des analyses devraient être menées. M. Broussillon s'attend à y "retrouver des polluants".
Depuis le début des années 2000, le Conservatoire du littoral gère environ un quart du linéaire côtier guadeloupéen, soit 155 km pour 8.400 hectares, dont 75% de zones humides. Sur ce périmètre, "150 à 280 occupations sans titre" sont recensées, selon M. Broussillon.
Chargé de la gestion des forêts publiques, soit 21% du territoire guadeloupéen et 52% de ses espaces boisés, l'Office national des forêts (ONF) compte pour sa part 186 cas d'occupation illégale, majoritairement par des particuliers.
"Cela peut être un empiètement léger parce que le propriétaire a décalé sa clôture, un cabanon ou, plus problématique, une maison construite en partie ou en totalité sur la forêt domaniale", détaille sa directrice régionale, Mylène Musquet.
Le phénomène touche surtout le littoral, en particulier la Grande-Terre, la partie est de l'archipel. "On a plus facilement accès aux zones naturelles", explique Mme Musquet. Dans une moindre mesure, les zones de montagne sont concernées, notamment pour les activités agricoles."Plus vite on agit, plus on a de chance de limiter la dégradation, car au-delà du foncier, l'enjeu est l'impact sur les écosystèmes", souligne-t-elle. Certaines atteintes sont irréversibles, ajoute-t-elle.
Des tensions et des recours
Dans certains cas, les procédures judiciaires aboutissent à des destructions. C'est ce qui s'est produit le 16 juin avec le restaurant Kabana Beach, à Port-Louis (nord-est), ouvert depuis 2016. Sa démolition, ordonnée par le préfet, a donné lieu à des échauffourées: les deux propriétaires et deux manifestants ont été interpellés.
Le préfet Xavier Lefort a justifié la démolition par "une atteinte considérable au patrimoine environnemental, mais également aux riverains et usagers". La procureure de la République, Caroline Calbo, a, elle, rappelé que de "nombreuses sommations de mise en conformité" et plusieurs décisions de justice étaient restées sans effet.
Mais l'affaire a aussi suscité des réactions politiques. Le député Olivier Serva (Liot) a dénoncé "un sentiment de tristesse et d'injustice (...) face à ces tractopelles qui détruisent le travail de Guadeloupéens".
D'autres cas, moins médiatisés, existent ailleurs sur l'archipel. À Petit-Bourg, des pontons ont été démontés. Dans certaines communes, des "ranchs ou bungalows" appartenant à des riverains aisés ont été visés, selon le Conservatoire. "Il n'y a pas de distinction sociale", insiste M. Broussillon, qui assure que 85% des affaires traitées n'aboutissent pas devant le juge, grâce à des solutions amiables.
Un dossier peut être "traité très rapidement" ou prendre "jusqu'à cinq ans", selon les cas. L'objectif, affirme Mme Musquet, est de privilégier dans un premier temps "la communication, la sensibilisation" et "la surveillance".
Quand cela ne suffit pas, l'administration "passe à la vitesse supérieure selon l'enjeu, le risque, l'urgence". Car des conventions d'occupation temporaire peuvent être envisagées si l'activité ne pose pas de problème majeur, notamment en matière d'environnement ou d'accès au domaine public.
La zone industrielle de Jarry à Baie-Mahault, principal secteur d'activité de la Guadeloupe, est aussi dans le viseur. Là, au point le plus étroit de la Guadeloupe, "il y a une concentration d'entreprises en lisière de forêt, dont certaines ont largement empiété", explique M. Broussillon.

"Il n'est pas trop tard", veut-il croire. Mais chaque nouvelle construction illégale rend la tâche plus difficile: "Quand on a une construction sur un espace du littoral déjà fragilisé, on a très peu de chance d'une remise en état à la hauteur de l'écosystème", prévient Mme Musquet.
Avec AFP