[Grand Angle] Biodiversité en Outre-mer : Espèces Exotiques Envahissantes, un combat constant pour lutter contre ce fléau

© DR

[Grand Angle] Biodiversité en Outre-mer : Espèces Exotiques Envahissantes, un combat constant pour lutter contre ce fléau

Alors que les Outre-mer concentrent 80 % de la biodiversité française, cette incroyable richesse est menacée par l’activité humaine, la destruction des milieux naturels ou le réchauffement climatique. Mais les espèces exotiques envahissantes (EEE) figurent sur le podium des principales menaces pour la biodiversité ultramarine. 

 

Les espèces invasives sont considérées par certains scientifiques comme « la pire menace pour les écosystèmes ». Ce fléau mobilise d’importants moyens financiers et humains dans les Outre-mer. Ces espèces animales ou végétales ont été introduites par l’homme volontairement ou involontairement dans des lieux où elles n’existaient pas initialement. « On estime à 400 le nombre d’espèces exotiques envahissantes dans les territoires ultramarins », détaille Yohann Soubeyran, coordinateur du Centre de ressources Espèces exotiques envahissantes, copiloté par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et l’Office français de la biodiversité (OFB).

74 % des espèces invasives se trouvent dans les territoires ultramarins. Parmi elles, l’arbre miconia calvescens fait partie des cent espèces les plus invasives au monde. Surnommé « cancer vert » à Tahiti, il prolifère rapidement au détriment de la flore locale. Introduit en 1937 comme plante ornementale, il recouvre aujourd’hui 70% de l’île.

l’arbre miconia calvescens, surnommé « cancer vert » à Tahiti © DIREN Polynésie 

En Nouvelle-Calédonie, le cerf rusa (originaire de l’île de Java) menace les forêts sèches et humides. L’introduction de ce grand cervidé remonte à 1870 : « C’était un cadeau dun diplomate au gouverneur de l’époque. Ces espèces ont ensuite été relâchées et se sont retrouvées dans le milieu naturel », décrit le coordinateur du centre. Son impact sur les cultures et les pâturages est rapporté dès 1882 et l’animal figure parmi les espèces envahissantes prioritaires.

53 % des espèces disparues

L’insularité, l’isolement, la faible superficie et le fréquent déséquilibre taxonomique et fonctionnel (absence de certains groupes biologiques) rendent les territoires d’Outre-mer plus vulnérables. Les espèces endémiques ou indigènes, dont la répartition est limitée à une zone géographique peu étendue, ont longtemps évolué en l’absence de prédateurs. Elles n’ont pas développé de moyens de lutte pour résister aux herbivores comme les cervidés, les chèvres ou les moutons ou aux prédateurs comme les rats, les chiens ou les reptiles.

Selon Yohann Soubeyran, « les espèces invasives sont impliquées dans 53 % des extinctions d’espèces dans les Outre-merEn Polynésie, l’introduction en 1974 d’un escargot carnivore originaire de Floride, pour lutter contre un autre escargot préalablement introduit, a entraîné l’extinction de 57 espèces d’escargots endémiques. »

L’inquiétude des scientifiques et des acteurs locaux n’est pas seulement liée au nombre d’animaux ou aux kilomètres envahis par les plantes. Son impact économique, écologique et sanitaire transforme une simple introduction en un problème majeur. L’arrivée de l’iguane commun aux Antilles en 1960 est un exemple d’invasion biologique incontrôlable. Cette espèce fragilise les mangroves, ravage les cultures arboricoles, et participe à l’extinction de son homologue local, l’iguane des Petites Antilles, par compétition et hybridation fertile. « L’iguane vert a aussi un impact sur la santé et la qualité de vie des Antillais. Il entre dans les maisons, défèque sur les terrasses, détruit les jardins, les gens en ont peur », alerte Fabian Rateau, responsable de l’unité technique et connaissance des Antilles de l’Office français de la biodiversité. En creusant des terriers pour y pondre leurs œufs, ces reptiles fragilisent les infrastructures et favorisent l’érosion côtière. De l’aveu des acteurs locaux, il est aujourd’hui impossible de s’en débarrasser. « Malheureusement, aucune espèce invasive n’a été maîtrisée dans le passé », regrette Jean-François Maillard, chargé de recherche sur les vertébrés exotiques envahissants terrestres à l’OFB.

Un iguane commun © OFB

Risque de nouvelles introductions

« Les introductions ont suivi les premiers déplacements humains et se sont accélérées avec la colonisation européenne, puis avec le développement du commerce international et du tourisme », précise Yohann Soubeyran.

L’introduction peut être volontaire (ornementation, élevage, aquaculture, animaux de compagnie) ou accidentelle par le biais des transports aériens ou maritimes. Rongeurs, insectes, petits mammifères se cachent aisément dans les containers des bateaux. « Quand une plante est transportée, une grenouille peut se trouver dans la terre », décrit l’ingénieur en biologique des populations, Jean-François Maillard.

Lire aussi : Espèces exotiques envahissantes : l’OFB lance un appel à manifestation d’intérêt de projets de recherche-action en Outre-mer

Les animaux domestiques, accompagnant les hommes au gré de leurs déplacements, constituent un problème lorsqu’ils sont relâchés où qu’ils s’échappent. À La Réunion, les chats et les rats sont une menace pour le Pétrel de Barau ou l’Echenilleur, un oiseau en danger critique d’extinction. Les rongeurs sont aussi impliqués dans la régression de plusieurs espèces d’oiseaux endémiques comme les monarques en Polynésie ou des espèces de pétrels dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

Un rat noir piégé dans le cadre d’un projet d’estimation des populations © OFB

Très difficiles à éradiquer une fois qu’elles sont installées, les espèces invasives font l’objet de nombreux contrôles pour prévenir leurs introductions. Mais Yoann Soubeyran rappelle que « les études montrent quil ny a aucun signe de ralentissement dintroduction des espèces exotiques à l’échelle internationale ».

Lire aussi: La Réunion : Le Parc National et Le Cirad poursuivent les travaux de recherche pour lutter contre les espèces exotiques envahissantes

Des arrêtés interdisent l’entrée, le transport, le commerce, et la détention de certaines espèces. Sur le terrain, la police de l’environnement inspecte les animaleries, les exploitations horticoles ou les particuliers pour lutter contre le trafic d’espèces. Les hommes et les marchandises empruntant les routes commerciales et touristiques sont contrôlés. Mais l’UICN le rappelle : « les introductions accidentelles, en lien avec la mondialisation des échanges et des économies locales basées en grande partie sur des importations, sont un risque constant ».

Un problème de santé publique

Les espèces invasives sont parfois de « véritables réservoir de maladies », alerte Fabien Rateau, de l’OFB. Les rats transmettent la leptospirose, les moustiques la dengue, les escargots géants d’Afrique hébergent un parasite responsable de la méningite.

Plus insidieusement, ces espèces exotiques envahissantes peuvent être dangereuses sans qu’elles soient, de prime abord, une menace pour l’homme. C’est le cas du charançon noir qui a envahi les bananeraies antillaises après son introduction d’Asie du Sud-est. Pour se débarrasser de ce petit insecte, les agriculteurs ont massivement aspergé leurs champs de chlordécone. Un produit qui a contaminé l’eau, les sols et le sang de 90% de la population adulte des Antilles.

 

Marion Durand