Depuis lundi, les Instituts d’Émission d’Outre-mer IEDOM/IEOM connaissent les chiffres globaux de l’inflation en Outre-mer, sur l’année 2022. Pour Outremers360, Marie-Anne Poussin-Delmas, dirigeante des Instituts, fait le point sur cette inflation cette « importante » mais « moins marquée » qu’au niveau national. Elle évoque aussi le « panier anti-inflation », présenté la semaine dernière pour les ménages de l’Hexagone, qui n’est pas sans rappeler le BQP ultramarin, récemment « amélioré » et présenté en décembre par le ministre Carenco.
Outremers360 : Dans votre rôle de banque centrale, la lutte contre l’inflation est au cœur de vos missions, pouvez-vous nous en dire plus ?
Marie-Anne Poussin-Delmas : L’IEDOM est filiale de la Banque de France et assure par délégation les missions de la Banque dans les départements d’outre-mer dont la monnaie est l’euro ; l’IEOM est la banque centrale des collectivités françaises du Pacifique. Nos institutions mènent donc la politique monétaire et sont partie prenante de la lutte contre l’inflation. Je vous rappelle, la première mission de la banque centrale est la stabilité des prix, avec pour objectif une inflation autour de 2 %.
Notre rôle à l’IEDOM-IEOM est aussi d’apporter un éclairage économique sur les territoires ultramarins qui ont des fortes spécificités. Les questions relatives à l’inflation sont particulièrement importantes dans nos géographies marquées par un coût de la vie plus élevé et par une plus grande vulnérabilité de la population.
Le gouvernement a annoncé la semaine dernière travailler sur un « panier anti-inflation » qui vise à bloquer les prix d’un panier de produits dans la grande distribution dans l’Hexagone. Cela ressemble assez au « bouclier qualité prix » qui existe dans les départements et régions d’outre-mer ?
Effectivement, le bouclier qualité prix ou BQP consiste aussi en un panier de produits dont les prix sont bloqués. En résumé, qu’est-ce que c’est : c’est un accord de modération de prix, qui est passé localement entre la préfecture et les acteurs du commerce, sur un panier de produits courants. Il s’agit essentiellement de produits alimentaires mais pas que. On peut y trouver des produits d’entretien ménager ou des produits pour bébé par exemple.
Le BQP est donc négocié chaque année : sur la liste des produits qu’il comporte, plus ou moins longue selon les géographies, et sur le prix global de ce panier. Il y a un engagement des commerces à ne pas dépasser le prix qui a été fixé. Le dispositif du BQP existe dans les départements d’outre-mer depuis la « loi Lurel » de 2012. Il a été mis en place pour lutter contre la vie chère. Dans les collectivités du Pacifique, des dispositifs similaires sont plus récents.
Pensez-vous que ce « panier anti-inflation » destiné à l’Hexagone pourrait, voire devrait, être pérennisé au-delà de la période d’inflation, à l’instar du BQP ultramarin ?
La Ministre déléguée au commerce Olivia Grégoire a indiqué récemment qu’un panier anti-inflation était à l’étude. S’il est amené à être mis en place, il n’y a pas de raison de penser qu’un tel dispositif soit pérennisé car il est une réponse à un phénomène conjoncturel. Il faut bien comprendre qu’en outre-mer, le BQP est un outil de lutte contre la cherté de la vie qui est, pour le coup, un problème structurel.
Pour rappeler quelques chiffres, même s’ils datent un peu, l’Insee relevait en 2015 des prix en moyenne supérieurs de 7 à 13 % dans les DROM par rapport à l’Hexagone ; et jusqu’à même +30 % en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie. Et sur les produits alimentaires, les écarts de prix sont encore bien plus importants, de 30 à 50 % plus chers.
Nous ne sommes donc pas sur la même problématique, mais il apparaît effectivement que dans le contexte actuel, le BQP a pu limiter d’une certaine manière l’inflation en outre-mer, avec dans certains accords un prix du panier qui est resté inchangé en 2021 et 2022.
Et justement, comment ont évolué les prix dans les territoires d’outre-mer en 2022 ? Quel bilan pouvez-vous faire de l’évolution des prix l’année passée ? À quoi peut-on s’attendre pour 2023 ?
Depuis lundi, on connaît pour les territoires ultramarins, les évolutions de prix sur l’année complète. Ce qu’il en ressort, c’est une inflation importante, qui concerne tous les territoires, mais globalement un peu moins marquée qu’au niveau national.
Sur un an, les prix ont ainsi progressé de 3,3 % en Guyane, de 3,9 % à La Réunion, 4,2 % en Guadeloupe et 5% en Martinique et en Nouvelle-Calédonie ; contre 5,9% en France entière. La progression est en revanche plus forte à Mayotte où l’inflation atteint 7,1 % et en Polynésie française à 8,5 %.
Le rebond de l’inflation en 2022 vient principalement de l’énergie et l’alimentaire, et est lié aux chocs internationaux. Les prix de l’énergie et des matières premières ont bondi avec la reprise mondiale post-Covid puis la guerre russe en Ukraine. Les territoires ultramarins ont aussi subi ces renchérissements mais la progression des prix a été un peu plus limitée sur ces postes, à l’exception toujours de Mayotte et de la Polynésie.
Alors à quoi peut-on s’attendre pour 2023 ? On observe déjà un repli des prix internationaux, mais aujourd’hui c’est davantage l’inflation « sous-jacente » c’est-à-dire des produits hors alimentaire et hors énergie qui prend le relai, avec notamment avec la hausse des salaires. C’est ce qui conduit la BCE mais aussi l’IEOM sur la zone Franc Pacifique, à mener une politique monétaire plus restrictive et à relever ses taux d’intérêt. La lutte contre l’inflation passe par la politique monétaire et on s’attend à ce que les effets s’opèrent en 2023. La Banque de France prévoit un pic d’inflation au premier semestre 2023 pour revenir vers 2 % fin 2024.
Qu'est-ce qui explique que l'inflation a été plus forte pour les territoires de Mayotte et de la Polynésie française ?
Dans ces deux territoires, la hausse des prix des biens alimentaires est plus élevée que dans les autres Outre-mer en raison notamment d’une plus forte dépendance aux importations. La hausse des prix des produits frais est notamment très élevée à Mayotte. En Polynésie, le prix des carburants a bondi plus qu’ailleurs, de près de 30% sur un an !
Et pour les Outre-mer au final, que faire pour lutter contre la vie chère en OM ?
Compte tenu de l’inflation actuelle, il faut bien entendu conserver les outils actuels, comme le BQP que l’on évoquait, mais il faut aussi en parallèle engager des actions de fond : progresser vers l’autonomie alimentaire ; développer les circuits courts ; renforcer l’autonomie énergétique. Je pense notamment que les Outre-mer sont porteurs d’opportunités bien plus riches que l’Hexagone pour le développement des énergies renouvelables. Ces actions peuvent baisser les prix alimentaires, les coûts du transport ou réduire la sensibilité aux prix de l’énergie. Elles sont aussi source de développement et de création d’emplois locaux. Il faut bien avoir en tête que la problématique de pouvoir d’achat sur ces territoires ne porte en réalité pas uniquement sur la cherté de la vie mais aussi largement sur la faiblesse des revenus. Or la raison principale de la pauvreté reste liée au faible niveau d’emploi : des taux de chômage élevés constituent là aussi une faiblesse structurelle des outre-mer.