Votée en 2021, la loi Molac a permis une généralisation de l’enseignement des langues régionales à l’école. Créole, dréhu, reo Tahiti, wallisien, futunien… l’apprentissage des dialectes ultramarins reste facultatif. Un choix optionnel pour les élèves comme pour les établissements qui empêche, selon les spécialistes, une meilleure reconnaissance.
Par Marion Durand
À l’école primaire de Luecila, à Lifou (Nouvelle-Calédonie), Fanny Waminya s’autorise quelques mots en Drehu, la langue parlée dans l’île. L’institutrice ne le parle pas couramment certes, mais elle maîtrise le vocabulaire de base, souvent mieux que certains de ses élèves. Car même si la grande majorité des petites têtes qui se tiennent devant elle sont d’origine kanak, très peu s’expriment dans la langue de leurs ancêtres.
« Aujourd’hui, les enfants ne parlent presque plus le Drehu et le comprennent de moins en moins, regrette l’institutrice. Ils répètent seulement ce que les parents leur disent, c’est le plus souvent des ordres comme ‘va au lit’. » Cette maman observe un mal-être chez ses élèves. « C’est une douleur pour eux de ne pas parler leur langue. Leur identité et leur fierté sont mises à mal par ce problème. On ne parvient pas à transmettre les langues, que ce soit dans les familles ou à l’école ».
D’un côté, les parents privilégient le français pour offrir à leurs enfants « de plus grandes chances de réussir ». De l’autre, on attend de ces futurs citoyens qu’ils participent à la survie de leur langue régionale, dont certaines sont menacées d’extinction. « Quand je leur demande quelle est leur langue, les élèves me réponde le Drehu. Pourtant, il ne le parle pas. C’est difficile pour eux, ils en ont parfois honte alors qu’ils ne sont pas responsables ».
L’école joue un rôle central dans la relation qu’entretiennent les élèves avec le français et leur langue maternelle. Longtemps rejetées, les langues régionales n’avaient pas leur place à l’école. On considérait qu’elles représentaient un frein à l’apprentissage du français. C’est la loi Deixonne, en 1951, qui ouvre la voie à l’enseignement de ces dialectes. Elle autorise les maîtres à « recourir aux parlers locaux (...) chaque fois qu'ils pourront en tirer profit pour leur enseignement, notamment pour l’étude de la langue française. » En 70 ans, l’Éducation nationale a peu à peu, introduit les langues vernaculaires dans les programmes mais cet enseignement reste très restreint.
Un enseignement facultatif
En 2021, la loi Molac généralise l’enseignement des langues régionales comme matière facultative. Le caractère « optionnel » l’est pour les élèves, les parents mais aussi pour les établissements. Rien n’oblige un directeur d’école à proposer un enseignement en langue régionale.
À La Réunion, l’enseignement du créole existe depuis 2002 mais cette loi a permis un déploiement plus important dans le second degré. « En primaire, quand les professeurs sont formés, ils peuvent introduire une part de créole dans leur semaine de cours », décrit Anouk Martaud-Robert. 524 enseignants sont aujourd’hui habilités sur l’ensemble de l’Académie, indique l’inspectrice régionale Lettres-Langue vivante régionale.
Au collège et au lycée, les cours de créole sont facultatifs, à hauteur d’une heure par semaine. « L’option n’existe pas dans tous les établissements car nous n’avons pas suffisamment d’enseignants mais aussi parce qu’on observe une certaine réticence de la part des familles à inscrire leur enfant en LVR (langue vivante régionale) », remarque Anouk Martaud-Robert. Dans ce département ultramarin, 6 000 élèves de primaire (sur 113 580) et 3 000 collégiens et lycéens (sur 101 530) bénéficient d’un enseignement en langue vivante régionale. Ces chiffres apparaissent assez faibles alors que le créole est parlé par 80% des Réunionnais.
Dans les territoires qui comptent plusieurs langues régionales, toutes ne font pas partie des programmes. En Guyane, seul le créole est reconnu comme une langue régionale au sens académique du terme. Ce qui permet son enseignement au collège et au lycée (1 à 3 heures hebdomadaire selon les établissements).
Mais il existe aussi un dispositif pour les langues maternelles depuis 1998. Des « médiateurs bilingues et culturels » interviennent dans les classes dans 11 langues de Guyane (5 heures par semaine). Didier Maurel, inspecteur de l’Éducation nationale en charge des langues maternelles dans l’Académie de la Guyane précise que ce dispositif existe dans 37 écoles du pays (sur 180). Depuis 2016, les classes bilingues permettent aux élèves de maternelle et d’élémentaire de bénéficier d’un enseignement paritaire (12h en langue maternelle et 12h en français). 85 classes de ce type existent à travers le pays et profitent à 1500 enfants. « L’année prochaine, nous serons à 112 classes. Nous souhaitons que 10 % de la population scolaire puisse bénéficier de ce dispositif », ajoute Didier Maurel.
En Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française ou à Wallis-et-Futuna, les collectivités ont une compétence éducative partagée avec l’État. Certains territoires, comme la Polynésie, ont volontairement investi dans l’apprentissage des langues depuis les années 80, lorsque que la loi Deixonne est étendue au territoire. Le tahitien devient matière à part entière au premier degré, pouvant être remplacé par une autre langue polynésienne dans les archipels, puis option au collège-lycée. En 2019, la collectivité créé les première classes bilingues à parité horaire avec le français.
Sur le Caillou, « l’enseignement des éléments fondamentaux de la culture kanak et des communautés présentes en Nouvelle-Calédonie est obligatoire de la maternelle à la fin du secondaire, en revanche l'enseignement en langue et des langues reste optionnel », indique Christelle Varney, directrice adjointe à la direction de l’Enseignement en Nouvelle-Calédonie. Dans le premier degré, 4 334 élèves du public (sur 25 560) bénéficient de cours dans l’une des 12 langues au programme. Les chiffres varient entre les provinces avec un plus grand nombre dans le Nord ou en province des îles. Dans le second degré, ils sont encore moins nombreux : 2 945 élèves suivent des cours en langue kanak sur plus de 16 000 élèves, soit environ 18 % des collégiens et lycéens.
Une des raisons de l’échec scolaire
À Wallis et Futuna, si les petits sont accueillis à 90 % du temps dans leur langue maternelle en petite section, ce chiffre diminue et à partir du cours préparatoire, la seule langue est le français. Au collège, l’étude de la langue et de ses structures est dispensée à raison d’une heure hebdomadaire, en option. Au lycée, le wallisien et le futunien sont enseignés comme LV2 en série technologique (avec une épreuve écrite et orale au bac) et en série générale, ces deux langues sont proposées en option et peuvent faire l’objet d’une épreuve orale.
Même si les langues régionales se font une place dans les programmes scolaires, elle reste insuffisante. L’absence de prise en compte des langues parlées par les élèves a été identifiée comme l’une des raisons majeures de l’échec scolaire, voire d’un taux d’illettrisme important, en Outre-mer. Pour de nombreux petits ultramarins, l’une des langues locales reste leur langue maternelle, celle qui est parlée à la maison. À leur entrée à l’école, ils sont projetés dans un environnement francophone alors qu’ils ne maîtrisent pas la langue nationale. « Un enfant qui n’est pas scolarisé dans sa langue, surtout lorsque cela concerne des populations défavorisées, cumule les difficultés », rappelle Didier Maurel, l’inspecteur guyanais.
Pour la linguiste Claire Moyse-Faurie, spécialiste du royaume du Pacifique, « il faudrait tout faire pour mettre en place un enseignement bilingue équilibré. La preuve est faite qu’un enseignement dans la langue maternelle permet une meilleure scolarisation, une meilleure ouverture au monde, une meilleure réussite. »
Comment enseigner sans outil pédagogique ?
De nombreux facteurs empêchent une réelle intégration des langues vernaculaires dans l’enseignement à destination des petits ultramarins. « Le caractère facultatif n’encourage pas du tout les élèves et bloque une plus grande place des langues régionales d’Outre-mer à l’école », estime la juriste Véronique Bertile.
Le manque d’outil pédagogique est un problème régulièrement pointé par les enseignants. Il existe rarement des manuels scolaires pour accompagner les professeurs, ni même des jeux éducatifs. À Lifou, l’institutrice Fanny Waminya a conçu deux jeux en langues Drehu, Nengone et Iaai. « Quand j’ai sollicité le centre de formation, on m’a répondu que c’était aux élèves et aux professeurs de créer des outils, s’étonne la maîtresse. Enseigner une langue est très difficile. Ce n’est pas parce qu’on sait parler qu’on sait enseigner. En français, nous avons des ouvrages, pas en langues vernaculaires. » Les élèves de Fanny Waminya ont réalisé 300 jeux, tous ont été vendus rapidement. « On en a vendu partout en Nouvelle-Calédonie mais aussi en métropole. Beaucoup de familles nous en redemandent, il y a un réel besoin ».
Élus et collectivités s’engagent en faveur des langues régionales
Face à la menace de disparition de certaines d’entre elles, de nombreuses voix s’élèvent pour leur offrir davantage de place à l’école. Le député réunionnais Frédéric Maillot a déposé, en octobre, une proposition de loi pour intégrer les langues régionales dans les troncs communs des programmes scolaires. Le texte vise notamment à favoriser la réussite scolaire des élèves pour qui le français n’est pas la langue maternelle.
Dans les territoires où elle est parlée, la langue régionale est la norme, le quotidien », rappelle le texte porté par l’élu ultramarin. « Il devient dès lors primordial de l’enseigner, au même titre que l’histoire, afin de comprendre les mécanismes qui ont conduit à sa structure actuelle. En outre, son enseignement formel permettrait de sortir de la stigmatisation qui accompagne bien trop souvent son usage ».
L’intérêt pour les langues régionales est grandissant. Des instituts dédiés sont créés à travers les territoires : l'Académie tahitienne dès les années 70, l’Académie des langues kanak (2007), l’Académie des langues wallisienne et futunienne (2015) ou plus récemment, l’institut public du créole réunionnais (en projet). De quoi rester optimiste sur l’avenir et la promotion des langues régionales ultramarines.
A lire dans le même dossier :
Langues d’Outre-mer : se faire une place face à la langue officielle
Langues d’Outre-mer : un outil politique pour affirmer son identité