Une étude commandée par le gouvernement polynésien et Tahiti Tourisme révèle le poids du secteur dans les émissions de gaz à effet de serre. Si la filière ne pèse « que » 15% des émissions territoriales de CO2, une fois prises en compte les vols internationaux, les chiffres explosent. Un touriste arrivant en avion génère ainsi 5,2 tonnes d’équivalent CO2 pour son voyage, et près d’une tonne supplémentaire pour un séjour de quelques jours. Quand les Polynésiens émettent, en moyenne, un peu plus de 10 tonnes sur toute une année. Détails de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
C’est un travail qui, étonnamment, n’avait jamais été réalisé en Polynésie, et qui avait finalement été commandé en 2022 par les autorités touristiques. Le Ministère -à l’époque encore distinct de la présidence- et le service du Tourisme, assistés par l’Ademe, se sont attachés les services d’un bureau d’étude polynésiens, Pae Tai - Pae Uta, et de deux sociétés hexagonales spécialisées. Leur mission : faire un bilan des facteurs d’émissions de gaz à effet de serre dans le secteur touristique polynésien.
Un bilan qui suit, à peu de choses près, la méthodologie employée dans les études nationales sur l’empreinte carbone sectorielle, et qui ne pouvait pas, pour ce qui est de la Polynésie, se baser sur les années atypiques du Covid. L’étude porte donc sur 2019, « année de forte fréquentation » dont les bons chiffres n’ont été battus qu’en 2023. Mais la comparaison avec 2021, année cauchemardesque pour l’industrie avec restrictions de voyage et ses mois de fermetures complètes des vols, a permis de repérer plus facilement la part et la source des émissions liées au tourisme dans le pays.
Le transport et la croisière représentent 89% des émissions du secteur
Plutôt qu’un, ce sont deux documents qui ont été demandés : l’un intégrant le transport international dans le champ des calculs, l’autre l'excluant. C’est d’ailleurs le premier enseignement, pas si surprenant, de ce travail : les vols et croisières reliant la Polynésie au reste du monde constituent la majeure partie de l’empreinte carbone d’un touriste en séjour dans le pays, même pour des vacances longues.
Le secteur touristique de la Polynésie représente ainsi 322 000 tonnes d’équivalent CO2 (notée ktCO2e) émis sur l’année en excluant ces transports internationaux… Mais le chiffre grimpe à 1 675 000 tC02e en les incluant. Sur ce total, le transport se taille donc la part du lion : 1,223 million tCO2e pour l’aérien international, soit 73% du total. À comparer avec les 9% (150 000 tCO2e) des émissions des bateaux de croisière trans-pacifique, les 5% liés aux hôtels et autres hébergements terrestres, les 4% du transport intérieur (67 000 tCO2e) ou les 3% des croisières inter-îles, à bord des bateaux « résidents » …
Il est à noter que les émissions territoriales totales de la Polynésie en 2019, en incluant les vols inter-îles, mais pas les vols internationaux, représentaient 1 180 000 de tonnes d’équivalent CO2. Soit moins que les seuls vols internationaux des touristes sur l’année. Sur le total de 1,675 millions tCO2e, les hébergements à terre, la restauration, les excursions et activités, le shopping touristique et les autres pressions environnementales (sur l’eau ou les déchets notamment), ne représentent que 11% d’émissions. Tout le reste, 89% donc, est lié aux avions, aux moyens de transports ou aux paquebots de croisière.
Trois fois l’objectif de l’Accord de Paris en quelques jours
Passé ce constat, c’est sur le bilan « hors transport international » que les autorités devraient se concentrer. Et pour cause : l’objectif de cette étude est de trouver de nouveaux leviers de réduction de l’empreinte carbone des touristes. « Verdir » le transport aérien n’est certes pas impossible -des réflexions importantes ont été lancées au niveau mondial, notamment en terme technologique- mais le Pays n’a que peu de prises sur ces sujets.
Focus, donc sur les 322 000 tCO2e, chiffre qui tombe à 180 000 tCO2e en limitant le calcul aux émissions « territoriales », qui excluent le poids climatique des biens importés. C’est ce total qui peut réellement être comparé aux 1,180 million tCO2e d’émissions annuelles territoriales, calculées en 2019 par le service des Énergie. Ce qui permet de dire aux auteurs de l’étude -après beaucoup d'exclusions- que « le tourisme représente 15% des émissions annuelles de la Polynésie ». Contre 11% en France et 8% dans le monde.
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En rapportant ce total au nombre de touristes ayant fréquenté la Polynésie, les bureaux d’étude calculent une moyenne de 860 kilos d’équivalent carbone par voyageur. Il faut rappeler que l’Accord de Paris pour le climat fixe un objectif général de 2 tonnes d’émissions par an et par personne, toutes activités confondues à horizon 2050. Des vacances de quelques jours en Polynésie coûteraient, dans ce scénario pour l’instant difficilement imaginable, 43% du « quotas » d’une personne. Et si on inclut le vol aller-retour, l’empreinte moyenne grimpe à 6,2 tonnes par voyageur. Soit trois fois l’objectif annuel de l’accord de Paris.
Ces 6,2 tonnes, émises en quelques jours, peuvent aussi être comparées aux 10,6 tCO2e de l’empreinte carbone moyenne des Polynésiens. En un séjour, un touriste génère plus de gaz à effet de serre qu’un Polynésien restant au pays en sept mois de vie.
Les « excursionnistes » émettent plus que les autres
Ces « 860 kilos par touriste » sont aussi très variables d’un touriste à l’autre, notamment en fonction du type d’hébergement. Un voyageur fréquentant les hôtels, pensions, ou logeant chez l’habitant émet en moyenne 53 kgCO2e par nuit, contre 107 pour le passager d’un bateau, avec, là encore, d’importantes variations, suivant qu’il loge sur un superyacht, un paquebot ou un voilier de location. Les « excursionnistes », qui arrivent et repartent dans des croisières trans-pacifique ont la plus haute « intensité carbone » avec 135 kilos d’équivalent CO2 par nuit.
Un Américain ne voyageant, consommant et achetant pas de la même façon en Polynésie qu’un hexagonal ou un Japonais, la nationalité joue aussi sur ces moyennes. De même, bien sûr, que les îles visitées. L’étude propose ainsi un certain nombre d’exemples « typiques » de séjour : 540 kgCO2e pour un Américain restant une semaine dans un Resort de Bora Bora, 560 pour un Japonais dans le même format, 1 400 pour le passager d’une croisière inter-îles de 10 jours, 1 300 pour un hexagonal enchaînant les îles, les vols et les pensions dans la Société et les Tuamotu… ou encore 710 kgCO2e pour un résident en séjour de deux semaines aux Marquises.
600 000 touristes, 71% d’émissions supplémentaires
Cette synthèse donne aussi de précieuses informations sur le poids de la consommation électrique, de l’air conditionné ou de la construction dans l’empreinte carbone de chaque hébergement. Ou comparer les bilans des excursionnistes à ceux des passagers des croisières domestiques… Mais elle pose aussi quelques éléments de réflexion pour l’avenir, en comparant les différentes trajectoires touristiques envisagées en Polynésie.
Sous la mandature d’Édouard Fritch, la stratégie Fāri’ira’a Manihini 2027 avait fixé le cap d’un touriste par an et par habitant, soit environ 280 000 sur l’année. Moetai Brotherson et son équipe gouvernementale parlent, eux, depuis l’année dernière, de 600 000 touristes à moyen terme. Entre ces deux objectifs, une nette différence d’empreinte carbone : 363 000 tonnes d’équivalent CO2 par an pour le premier, 550 000 pour le second. Soit une augmentation de 71% par rapport à aujourd’hui.
Les données de cette étude permettront quoiqu’il en soit d’avancer dans un « plan d’action » sur la transformation du secteur touristique polynésien. Et ce ne sera pas le seul document à disposition des autorités. Début 2024, le Conseil mondial du tourisme durable avait déjà publié un rapport d’évaluation en forme de « peut mieux faire » sur la destination Polynésie. Les résultats d’une grande enquête sur la satisfaction des touristes, et surtout ceux de l’étude sur le sentiment de la population à l’égard du développement du secteur sont attendus dans les prochains mois.
Charlie René pour Radio 1 Tahiti