Culture : La chanteuse et comédienne martiniquaise Jenny Alpha nous quittait il y a 115 ans

Jenny Alpha dans sa jeunesse ©DR/Coll. Les Amis de Jenny Alpha

Culture : La chanteuse et comédienne martiniquaise Jenny Alpha nous quittait il y a 115 ans

Icône de la Martinique et des Antilles, la grande artiste martiniquaise Jenny Alpha, décédée à l’âge de 100 ans, a traversé son siècle avec la grâce d’une éternelle jeune fille. Au théâtre et au cinéma, elle a tourné sous la direction des plus grands metteurs en scène et réalisateurs, et s’est illustrée dans la chanson jusqu’à son dernier souffle. Retour sur une carrière exceptionnelle.

« Au conservatoire, j'ai été refusée, au prétexte qu'il n'y avait pas de rôles pour les Noirs dans le répertoire classique. Des metteurs en scène me disaient : "Le public va rire si vous jouez Célimène." J'ai beaucoup pleuré. Et je me suis beaucoup battue », affirmait Jenny Alpha dans un entretien au journal Le Monde en 2004. C’est cette détermination sans faille qui forgera tout au long de sa vie le formidable itinéraire de la Martiniquaise, née à Fort-de-France le 22 avril 1910. 

Après ses études secondaires, Jenny Alpha arrive à Paris en 1929. Elle rêve de devenir comédienne, un métier quelque peu déconsidéré aux Antilles à l’époque. Pour faire plaisir à ses parents, elle entame des études d’histoire-géographie à la Sorbonne avec la vague intention de  devenir enseignante. Mais l’amour du théâtre et des arts l’emportera. D’autant que dans les années trente, Jenny Alpha rencontre une kyrielle d’artistes et d’intellectuels français, antillo-guyanais et africains. Parmi eux : Jean-Louis Barrault, Charles Trenet, Aimé Césaire et sa femme Suzanne Roussi-Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran Damas… Sans compter des musiciens afro-américains aussi célèbres que Lionel Hampton, Ella Fitzgerald, Billie Holiday, Miles Davis et Duke Ellington. 

En 1939, Jenny Alpha épouse Jacques Dessart, conférencier au Musée du Louvre, qui décède en 1942 dans le sud de la France, où les époux se réfugient durant la Seconde Guerre mondiale. Quelques années plus tard, elle se remarie avec le poète Noël Villard. À son retour à Paris après le conflit, Jenny Alpha tente sa chance au théâtre classique. Sans succès. On lui fait clairement comprendre qu’il n’y a pas de place pour des comédiens noirs. Qu’à cela ne tienne. Auréolée par sa beauté, elle se tourne alors vers la musique et la scène, et dirige même un orchestre de jazz et de variété dans les années cinquante, Les Pirates du rythme.

Jenny Alpha chante Douvant Pote Doudou… à l’âge de 98 ans

Durant cette période, Jenny Alpha joue quand même quelques rôles au théâtre, dont « une négresse de bordel dans une pièce de Courteline. J'étais tellement contente d'être au théâtre que je me fichais d'avoir un rôle pareil ». Enfin, en 1958, les portes s’ouvrent à elle. Jenny Alpha a 48 ans, mais mieux vaut tard que jamais. Sa carrière décolle, en commençant par un rôle dans Les Nègres de Jean Genet.

Puis elle enchaîne les grands textes : Shakespeare, Corneille, Sophocle, Aimé Césaire, Marguerite Duras, Tchekhov, Bertolt Brecht… dirigée par des metteurs en scène tels que Jean-Marie Serreau et Hélène Cixous, entre autres. Elle obtient par ailleurs un succès considérable dans La Folie ordinaire d'une fille de Cham, du dramaturge et réalisateur d’origine martiniquaise Julius Amédée Laou. Jenny Alpha apparaît également dans de nombreux films de cinéastes de renom comme Jean-Pierre Mocky, Jean Rouch ou Peter Handke. Personnalité engagée, elle milite pour une meilleure reconnaissance des artistes noirs dans la société française.

En dépit de son succès au théâtre et au cinéma, Jenny Alpha n’oublie pas la chanson, à laquelle elle s’était consacrée dans les années quarante et cinquante, enregistrant plusieurs disques. Sur la fin de sa vie, en 2008, à l’âge de 98 ans !, elle repart en studio pour enregistrer l’album La Sérénade du muguet (Aztec Musique), une reprise de son interprétation de 1953, sous la houlette du pianiste David Fackeure. Très bien accueilli par le public, ce dernier opus contribue à la légende de l’artiste. Jenny Alpha s’éteint à Paris le 8 septembre 2010, où une place porte son nom dans le XVe arrondissement où elle a vécu.

PM