Du 21 au 25 avril 2025, le Président de la République entreprend un voyage qui invite à apprécier la qualité du récit républicain qu’il contribue à écrire. Mayotte, La Réunion, Madagascar, l’Île Maurice … au-delà d’un exercice dans lequel il a pour habitude de s'épanouir, Emmanuel Macron va-t-il livrer de nouvelles clés de lecture sur la relation transocéanique avec les Outre-mer qu’il façonne?
Pour que le totem stratégique ne soit pas un angle mort républicain
Ce Président affirme son attachement à la puissance indo-pacifique de la France. Et pour cause, il est à la tête de la seule nation de l’Union européenne présente en permanence dans cette zone devenue un des centres de gravité du monde. La carte est belle, le discours est flatteur mais le chef d’État est certainement lucide. La meilleure des cartographies et le lexique stratégique sont affaiblis lorsque les territoires ultramarins sont moins les architectes de l’ambition que ses prétextes plus ou moins commodes. Il connaît pertinemment le risque d’exposition à un paradoxe cruel, celui de donner le sentiment de vouloir rayonner sans éclairer ceux qui tiennent la lampe.
Alors, il veille à ce que la parole présidentielle domine les silences sceptiques et aime à dire que "La France est un archipel". Pour un ultramarin, c’est une expression pleine de potentiel à la condition qu’elle ne reste pas métaphorique. Être une République archipélagique suppose de ne pas penser la puissance du centre vers la périphérie. Cela implique un regard partagé, cela demande d'accepter que l’Hexagone ne soit pas le seul dépositaire du sens, de considérer que la souveraineté s’exerce aussi depuis les marges. Il est fort probable qu’Emmanuel Macron en soit convaincu mais cela a-t-il marqué sa relation avec les bassins océaniques?
Son déplacement sera réussi si les différents corps sociaux rencontrés font le constat d’une diplomatie réellement sensible aux échelles régionales, d'une reconnaissance pleine de la parole locale. À Mayotte c’est le suivi des réponses attendues sur la reconstruction, sur la question migratoire et le défi économique. À La Réunion, c’est la gestion des urgences climatiques et sanitaires ainsi qu'une aspiration pour un développement moins dépendant de l'Hexagone. À Madagascar et à Maurice, deux anciennes colonies, c’est plus de coopération, ce sont aussi des enjeux mémoriels importants.
Pour que le bassin océanique soit un espace de nouvelles affirmations
Loin de Paris, l’idée d’une "France qui recule" pourrait prospérer. La Chine, L’Azerbaïdjan, la Russie multiplient les gestes symboliques très souvent provocateurs. À la vérité, ce sont des récits alternatifs qui ont le parfum de la déstabilisation. Si l’idée de la proximité avec un drapeau étranger est péniblement associée à l'illusion d'un autre possible, il faut sans cesse réaffirmer que la souveraineté des peuples ne proclame pas. Emmanuel Macron sait qu’elle se construit dans l’écoute et le respect, dans la loyauté et la réciprocité.
Alors, là où l’État peine parfois à honorer ses engagements, il doit accepter de parler autrement. Ses représentants doivent oublier toute position d’autorité verticale pour multiplier les îlots de confiance. Là, les acteurs locaux ont une responsabilité aiguë pour contribuer aux équilibres. Le Président de la République doit donner la garantie que les services de l’Etat bannissent toute forme de condescendance du pouvoir central, qu'ils expriment en permanence la compétence assurée de ceux qui savent que l’avenir se bâtit ensemble. Là encore les acteurs locaux ont une responsabilité toute aussi aiguë pour éloigner la défiance.
Ce déplacement sera réussi si toutes les opinions publiques comprennent que l’océan Indien n’est pas un théâtre d'opérations. Les bassins océaniques ne constituent pas des points d'appoint d’une politique de puissance, ils en sont les acteurs. Emmanuel Macron ira-t-il jusqu’à les considérer comme des centres de décision?
Le Président de la République française aime les symboles et les cultures. Pendant ce voyage, s’il s'en donne tous les moyens, il touchera du doigt ce moment fragile et attendu depuis sa première élection où celui qui incarne la fonction suprême … sans cesser de parler à tous, s’adresse à chacun!
Joël Destom, Membre du Conseil économique et social européen