Carnaval 2024 : Zoom sur « le Lespwi a Mas » du groupe guadeloupéen Voukoum

©Voukoum Mouvman Kiltirel Gwada

Carnaval 2024 : Zoom sur « le Lespwi a Mas » du groupe guadeloupéen Voukoum

Le week-end dernier a donné le coup d’envoi de la saison carnavalesque 2024 en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe. Jusqu’au 14 février, jour de Mercredi des Cendres, des milliers de carnavaliers défileront dans les rues de plusieurs communes dans chacun de ces trois départements. L’occasion pour Outremers360 de faire un focus sur un des groupes emblématiques du carnaval guadeloupéen, le mouvement culturel Voukoum.

En près de 35 ans d’existence, le Mouvement culturel Voukoum s’est inscrit comme l’un des mastodontes des « group a po » en région basse-terrienne. Né à la fin des années 80 dans les quartiers populaires Bas du Bourg de la Basse-Terre, chef-lieu administratif de la Guadeloupe, le groupe Voukoum, dénote des autres groupes carnavalesques traditionnels. 

D’abord musicalement, dans cette formation, les caisses claires et autres saxophones sont remplacés par le ka, le tambour guadeloupéen fait de peau de cabri ou la conque de lambi. Puis, au niveau vestimentaire, les tenues en satin aux couleurs chatoyantes sont troqués aux bénéfices de costumes conçues avec des matériaux de récupération comme des sacs d’emballages en polypropylène, de feuilles séchées de bananiers, ou encore de cartons, sur des corps oints de peintures, d’argiles ou mélasse de canne à sucre, appelée gwo siwo.

Une différence qui répond à un seul objectif pour les membres de ce mouvement : travailler à la sauvegarde du patrimoine guadeloupéen. Pour cela, il s’appuie sur trois axes particuliers comme le rappelle le mouvement sur son site : la recherche sur les masques traditionnels et le retour à la musique traditionnelle, « Mizik a mas gwo siwo» ; la musique avec l’Adaptation des 7 rythmes du Gwo ka sur ces instruments plus petits et joués avec des baguettes et la culture par le biais de la revalorisation des événements et manifestations traditionnelles.

Crédits: Voukoum Mouvman Kiltirel Gwada

24 Mas recensés

Le Mouvement culturel Voukoum a recensé 24 « Mas » qu’il met en scène chaque dimanche dans les rues de Basse-Terre lors de la période carnavalesque. On retient, parmi les plus célèbres : le Mas a kongo, Mass a goudwon (Masques de goudron) ou Mas gwo-siwo (masque gros sirop) vêtu de « konoka » (pantalons de travailleurs des champs), d’un short ou d’un simple cache sexe, il s’enduit toutes les parties visibles du corps d’un mélange de mélasse destinée à noircir la peau et rougit ses lèvres de roucou. Ils représentent les nègres importés d’Afrique et la présence africaine dans le présent. 

Mas Gwo-siwo ©Voukoum Mouvman Kiltirel Gwada

Le Mas a roukou ou Mas a woukou (masque de roucou) vêtu d’un pagne fait de feuilles et est recouvert d’huile de roucou- représente les premiers habitants de Guadeloupe : les Indiens Caraïbes. Le « Mas-a-Tè-é-Féyaj-Gwadloup » crée par Voukoum pour le Mardi-Gras de 1992, rendait initialement hommage aux guerriers Azarro de la Nouvelle-Guinée. Mais au fil du temps il est devenu un masque culte de Voukoum. Il s’agit d’un masque qui frappe les esprits, le corps est libéré de son carcan, l’homme est nu et toute différence s’estompe, sans titre, sans préjugés.

Mas a Roukou ©Voukoum Mouvman Kiltirel Gwada

« Faire prendre vie le Mas » 

La chercheuse Stéphanie Mulot, dans son étude « La Traces des Masques », qui a notamment étudié le groupe Voukoum, souligne que le « Mas» au sein du groupe Voukoum va au-delà d’une simple question d’apparat. Il traduit une véritable expérience identitaire, presque mystique. « Il ne s’agit pas seulement d’avoir une idée de ce que signifie le masque, mais de vivre le Masque, en le percevant comme un esprit qui vient s’emparer du corps de l’individu. Celui-ci est alors censé perdre son identité personnelle, lorsqu’il devient « Mas », pour s’insérer dans l’identité collective contenue dans le masque et portée par tous les acteurs. Le programme de Voukoum stipule ainsi : « Une personne rentre dans un masque, se fait posséder par l’esprit du masque, et elle devient mas. Elle a perdu sa personnalité. Elle s’est transformée, « mofwaze an mas » (…). En effet, le discours sur la perte de la personnalité et la possession par « l’esprit du Masque » montre à quel point les membres de Voukoum veulent se retrouver dans le partage d’une identité commune, reconnue et acceptée, qui agirait comme un véritable lien social », écrit l’ethnologue.

Pour cette année carnavalesque 2024, appelé « Dekatman mas » par Voukoum, seront ainsi mis à l’honneur entre autres le Mas a Kongo, le Mas Tirayé Sénégal-La (Masque rendant hommage aux tirailleurs sénégalais), le Mas a Woukou et le Mas-a-Tè-é-Féyaj-Gwadloup pour l’apothéose du Carnaval, le Mardi Gras.

Plus qu'un simple groupe de carnaval, Voukoum avec d’autres groupes comme Akiyo (situé en région pointoise) a non seulement révolutionné la manière dont le carnaval est célébré en Guadeloupe, mais a également contribué à préserver et à promouvoir la culture et l'identité guadeloupéenne.

Mas Feyaj-Voukoum ©Voukoum Mouvman Kiltirel Gwada