L'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité dans la nuit de vendredi à samedi les crédits en faveur de l'outre-mer pour 2023, mais profondément revus et corrigés à la hausse par les députés ultramarins, souvent contre l'avis du gouvernement.
Discutés dans le cadre de l'examen en première lecture du projet de budget de l'État, lors d’une séance présidée par Yaël Braun-Pivet dont la présence a plusieurs fois été saluée, ces crédits sont en hausse de 300 millions d'euros par rapport à 2022 (+11%), atteignant les 2,4 milliards, mais ont été jugés très insuffisants par les élus concernés, dans l'opposition pour la plupart.
Logement, accès à l'eau, emploi, continuité territoriale, ou encore aides alimentaires : les députés ultramarins, majoritairement à gauche, ont redistribué des enveloppes au profit de sujets jugés prioritaires, à coup de dizaines de millions d'euros en rafale. Aux environs de 2h du matin, 41 députés sur 58 votants ont voté favorablement aux crédits de la mission Outre-mer, face à aucun vote contre.
« C'est un peu martien en 2022 que des Français n'aient pas accès à l'eau », a notamment lancé Estelle Youssouffa (groupe LIOT), élue de Mayotte. Le ministre des Outre-mer Jean-François Carenco a répondu que « oui, il y en a marre qu'il n'y ait pas d'eau » et « c'est un droit fondamental ». Mais « pour qu'il se réalise, je n'ai pas besoin d'argent, j'ai besoin qu'on travaille » avec les collectivités.
C'est souvent la réponse que le ministre a opposé aux amendements venant de la gauche, de la droite et de l'extrême droite, parfois dans une grande tension : « Je ne crois pas que les budgets résolvent tous les problèmes de ces territoires » et il s'agit plutôt de « bien les consommer » et « s'organiser ». « Je veux dépenser tout ce qu’on a et aller au-delà, et surtout le dépenser plus intelligemment (…). L’idée est que si on le dépense ensemble, on sera meilleur », a-t-il insisté en fin de séance.
Peu présente dans l'hémicycle, la majorité, qui s'est abstenue lors du scrutin sur ces crédits, a critiqué le fait que ces redéploiements budgétaires se fassent au détriment d'autres sujets comme le soutien à l'emploi. Les députés ne peuvent en effet par leurs amendements créer de nouvelles charges pour l'État et sont contraints à ce subterfuge.
La crainte du 49-3
Comme un leitmotiv, les oppositions ont pressé le ministre de dire si ces amendements allaient être retenus in fine, alors que plane la menace du 49-3 qui pourrait être dégainé par le gouvernement pour faire passer l'ensemble du projet de budget de l'État sans vote. Une crainte sur laquelle le ministre en charge des Outre-mer a botté en touche.
« On parle d'un 49-3 lundi (...) Ces votes comptent pour du beurre ? Ça va poser un sacré problème », a relevé Éric Coquerel (LFI), tandis que des ultramarins évoquaient « un grand moment parlementaire » de par cette union de tous les territoires. La co-rapporteure Karine Lebon (groupe communiste) s'est félicitée que le gouvernement n'ait pas fait vendredi « zoreille cochon dan' marmite pois » (la sourde oreille, en créole).
Parmi les rares propositions approuvées avec l'aval du ministre, figure un amendement du député de Guadeloupe Max Mathiasin (LIOT) pour la prise en charge des frais de transport des parents résidant outre-mer et devant se rendre dans l'hexagone pour y faire soigner leur enfant atteint d'une maladie incurable (pour 100 000 euros en 2023). En tout, une trentaine d’amendements ont été votés contre l’avis du gouvernement.
« Ces amendements sont venus de loin, géographiquement et historiquement, il faut donc les considérer », a déclaré en fin de séance le député de Polynésie Moetai Brotherson (NUPES, GDR), également président de la Délégation aux Outre-mer de l'Assemblée nationale. Pour le député LR de Mayotte, Mansour Kamardine, « ce soir l'outre-mer est heureuse car l'Outre-mer est considérée ».
« Je crois à l’intelligence collective en politique » a abondé le co-rapporteur, député de Guadeloupe, Christian Baptiste (PS, NUPES), estimant que « la représentation nationale ce soir a été le reflet de ceux qui nous ont mandaté ». Le député a assuré ne pas vouloir « mettre le gouvernement en difficulté » mais « répondre aux enjeux et aux attentes » des populations ultramarines. La députée réunionnaise Emeline K/Bidi (GDR, NUPES) « espère que le soleil de l'Outre-mer ne sera pas gâché par l'ombre du 49-3 ».
Malgré des discussions difficiles, à certains moments houleux, pour Jean-François Carenco, le ministre a salué les échanges de la nuit dernière : « J’ai apprécié que vous posiez les vrais sujets ». « Vous faites prendre conscience à la fois des richesses des Outre-mer et des problèmes énormes qui sont à résoudre », a-t-il ajouté, se disant « un peu plus confiant sur les outre-mer après cette séance parce que je sais qu’on peut se parler ». Reste à savoir si le gouvernement retiendra ces nouveaux amendements lundi.
Avec AFP.