Obésité en Polynésie: Le problème à bras le corps

Obésité en Polynésie: Le problème à bras le corps

©Dixit

Il y a quelques semaines, la chaîne France Ô diffusait un reportage inquiétant sur l’obésité en Polynésie française. À son tour, Outremers360 vous propose une enquête de son partenaire, le magazine Dixit, où l’on apprend que l’obésité serait « liée à une alimentation industrielle et trop riche, mais aussi à des prédispositions génétiques ». Bien loin d’être fataliste, cette enquête, publiée début janvier et réalisée par Delphine Barrais, révèle également les efforts des pouvoirs publics polynésiens pour refréner le problème de l’obésité en Polynésie française.

Une certaine prise de conscience semble naître au sein de la population polynésienne concernant le problème de l’obésité. De l’avis des nutritionnistes, leurs cabinets connaissent un nouvel intérêt. Des actions sont menées, des fonds sont alloués. En attendant, les chiffres restent alarmants. D’après le ministère de la Santé, 40% des adultes et 35% des 7 à 9 ans sont en surpoids.

Dans la grande encyclopédie généraliste de 1886-1902, tome 30, page 869, un Européen écrit à propos de la Polynésie : « Les femmes ont une grande réputation de beauté mais c’est une beauté particulière, sans distinction ni finesse : de beau yeux, de belles dents, une abondante chevelure noire (toujours très soignée), mais des lèvres un peu épaisses, le nez un peu aplati, et de très bonne heure, une obésité mal seyante ». Cette observation, passée au filtre des préjugés de son auteur, pointe du doigt l’obésité qu’elle considère comme « mal seyante ». Le problème, d’ordre esthétique, est déjà soulevé. Aujourd’hui, le problème est toujours là. Il a même pris de l’ampleur. Les chiffres parlent, l’obésité est une maladie qui coûte cher à l’échelle individuelle et collective.

« On fait partie du peloton de tête »

Le 1er avril 2016, la revue médicale britannique The Lancet a publié une étude(1) coordonnée par le professeur Majid Ezzati de l’Imperial College de Londres. Considérée comme l’une des plus complètes réalisées à ce jour sur le sujet (les données concernent 19 millions de personnes majeures vivant dans 186 pays), cette étude conclue ainsi : « L’obésité touche aujourd’hui 13% de la population mondiale. (…) En 40 ans, nous sommes passés d’un monde où l’insuffisance pondérale était deux fois plus importante que l’obésité à un monde où les personnes obèses sont plus nombreuses que celles en sous-poids. (…) Le rythme de progression de cette épidémie est tel que le pourcentage pourrait atteindre les 20% d’ici 2025″. Autre information d’intérêt pour nos îles : « Les régions les plus touchées restent toutefois la Polynésie et la Micronésie, ces îles du Pacifique où 38% des hommes et la moitié des femmes adultes sont obèses ». Patrick Howel (ministre de la Santé jusqu’en janvier dernier avant d’être remplacé par Jacques Reynal) ajoute, comme pour donner la preuve d’une prise de conscience : « On fait partie du peloton de tête ».

Une problématique à 3 milliards de Fcfp

La Direction de la santé précise, d’après une étude qu’elle a menée en 1995 et mise à jour en 2010, qu’en Polynésie française 70% de la population adulte est en surpoids dont 40% serait obèse. Les plus jeunes ne sont pas épargnés: s’appuyant sur une étude de 2014 réalisée auprès des 7/9 ans, la Direction de la santé affirme que 35,8% des enfants sont en surpoids et 16,2% sont obèses. Le problème ? Au-delà des conséquences individuelles sur la santé et le bien-être, c’est toute la société qui souffre. Le diabète par exemple coûte 3 milliards de Fcfp (soit environ 25,1 millions d’euros) par an à la Direction de la santé.

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Les raisons de cette situation sont connues : changement alimentaire et manque d’activité physique et sportive. En somme, l’homme mange plus, moins bien et ne dépense plus l’énergie qu’il consomme. À en croire les auteurs de l’étude du Lancet : « L’explosion des chiffres serait notamment liée à une alimentation industrielle et trop riche, mais aussi à des prédispositions génétiques ». Le ministre de la Santé du Pays avance sa théorie migratoire : « Les Polynésiens sont des navigateurs. Ce sont les plus costauds qui embarquaient sur les pirogues car lors des traversées ils pouvaient puiser dans leurs réserves si les aliments venaient à manquer. Le système génétique s’est adapté dans le temps ». Il poursuit : « En Polynésie big is beautiful. On peut aussi expliquer les problèmes d’obésité par l’offre faite dans les grands magasins, la boulimie est là avant même de manger. On mange n’importe quoi à n’importe quelle heure ».

Poursuivre les efforts et « œuvrer dans le temps »

La population n’est pas insensible aux messages de prévention diffusés çà et là. L’activité physique et sportive séduit de plus en plus, les nutritionnistes rapportent une fréquentation croissante de leurs cabinets. Les associations, les communes et le Pays se sont saisis du problème. Un parcours de santé a été installé dans les Jardins de Paofai, et des rendez-vous sont proposés régulièrement avec des journées type EA’ttitudes, ou ponctuellement avec des événements comme la Conférence régionale pour une alimentation de qualité dans le Pacifique en octobre 2013 organisée par le Pays, avec le soutien technique et financiers de l’Organisation mondiale de la santé et le Secrétariat pour la Communauté Pacifique. Mais aucune étude récente n’a été réalisée pour mesurer l’impact des actions.

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En attendant, les efforts ne doivent pas s’arrêter là. « Pour changer des habitudes ancrées, il faut œuvrer dans le temps », affirmait Patrick Howell qui a sa petite idée sur la question. « Si l’on ne change rien, l’espérance de vie qui ne cesse actuellement d’augmenter pourrait diminuer. Les professionnels de santé ont cette chance de suivre de près l’individu avant qu’il naisse et jusqu’à sa mort. Nous devons agir auprès de lui via des messages de prévention insistants et toujours plus forts ». Des messages qu’il faut marteler et faire passer auprès des plus jeunes lorsqu’ils sont à table le midi dans les établissements scolaires. « Nous devons leur apprendre à manger correctement, c’est-à-dire à choisir les bons aliments mais aussi à mastiquer comme il faut. Une mauvaise ou une absence de mastication fait le lit de l’obésité ». Pour ce faire, des réflexions sont en cours pour améliorer la qualité des menus dans les cantines et pour faire passer les messages : « Nous avons déjà essayé sans réel succès, nous devons revoir le fond et la forme des communications ».

Le Pays a ainsi débloqué une enveloppe de 35 millions de Fcfp, (10 millions de Fcfp pour le Contrat de ville, 13 millions de Fcfp pour la CPS, 12 autres millions de Fcfp serviront au financement des projets proposés sur le reste du territoire de la Polynésie). Un appel à projet a été lancé en juin 2016 pour passer à l’action. Des campagnes de communications sont prévues dans les médias et des travaux sont envisagés pour revoir la liste des PPN. « Mais cela ne sera possible que si tout le monde s’implique », insistait Patrick Howell.

Delphine Barrais

Obésité, les grands axes du Schéma d’organisation sanitaire

Le nouveau Schéma d’organisation sanitaire, établi par le Pays et le cabinet de conseils Calia pour la période 2016-2021, a fait du surpoids et de l’obésité l’un de ses chevaux de bataille. Dans les grandes lignes, il est question :
– d’informer et d’éduquer le public
– de favoriser un environnement propice à une bonne alimentation en améliorant l’offre alimentaire, notamment auprès des restaurants scolaires, des roulottes autour des établissements scolaires…
– de promouvoir l’activité physique
– de former les professionnels et les partenaires (directions de crèches, enseignants, cadres sportifs…)
– de changer et d’améliorer les pratiques professionnelles autour de la thématique de l’équilibre alimentaire
– d’organiser la surveillance de pathologies de surcharge pondérale en présentant les résultats d’enquêtes.

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Qu’est-ce que l’obésité ?

Le surpoids et l’obésité sont le résultat d’un surplus de masse grasse corporelle (opposée à la masse maigre qui correspond au poids des muscles, organes et viscères). Parler de surpoids et d’obésité, c’est calculer l’indice de masse corporelle ou IMC (diviser le poids par la taille au carré d’une personne). Entre 25 et 30 kg/m2 un adulte est en surpoids, au-dessus de 30 kg/m2, il est obèse. Le calcul est un peu différent pour les enfants.
Les kilos superflus ne susciteraient pas tant d’émois s’ils n’avaient qu’un impact esthétique. S’ils font l’objet de calculs précis, de conférences, de politique c’est qu’ils dérangent au-delà de l’individu. Surpoids et obésité ont des répercussions sur la santé. La hausse de l’IMC est un facteur de risque majeur pour certaines maladies chroniques comme :
– les maladies cardiovasculaires, cardiopathies et accidents vasculaires cérébraux principalement
– le diabète
– les troubles musculo-squelettiques, notamment l’arthrose
– certains cancers (endomètre, sein, ovaires, prostate, foie, vésicule biliaire, rein et colon).
En Polynésie française, 33 000 personnes (soit 11,5% de la population) sont en longue maladie : diabète, maladie cardiaques, hypertension artérielle.

(1) Trends in adult body-mass index in 200 countries from 1975 to 2014: a pooled analysis of 1698 population-based measurement studies with 19∙2 million participants.

NB: Patrick Howell est actuellement candidat pour les Législatives, dans la 3ème circonscription polynésienne. L’enquête ci-dessus a été publiée début janvier 2017, pour l’édition 2017 du magazine annuel Dixit. Le remplaçant de Patrick Howell au Ministère de la Santé est Jacques Reynal, depuis fin janvier.