Au lendemain des violences débutées le 13 mai, et alors que s’engage un nouveau cycle de discussions entre l’État et la Nouvelle-Calédonie, le professeur Jean-Yves Faberon, auteur de « La Nouvelle-Calédonie politique » aux éditions Recherches sur la cohésion sociale, livre pour Outremers360 ses convictions sur l’avenir de l’archipel, devant reposer sur « la diversité de ses provinces ». « Ce n’est qu’ainsi fédérée que la Nouvelle-Calédonie saura relever les défis politiques, économiques, sociaux et culturels qui se posent à elle, dans le respect de ses différences et pour l’affirmation de sa solidarité collective ».
La Nouvelle-Calédonie ne saurait se fonder sur l’antagonisme de deux blocs : c’est un pays pluraliste, pluriethnique, pluricommunautaire qui doit se défier des processus clivants et conflictuels, qui n’a pas besoin de trancher des choix contradictoires et belligènes. Elle est capable d’imaginer des solutions communes issues des controverses libres et des dialogues constructifs animés par des efforts de bonne volonté. C’est ce qui avait inspiré les Accords Matignon en 1988, consolidés par la reconnaissance dès 1991 de la nécessité d’œuvrer toujours pour une « solution consensuelle ». La Nouvelle-Calédonie plurielle provincialisée, prometteuse du partage inscrit dans sa devise ne pourra trouver son salut que dans une volonté permanente de tisser et maintenir les liens des accords fondamentaux.
Il est vrai que le retour abrupt de la violence déchaînée le 13 mai 2024 a porté un grand coup aux idées de vivre ensemble. Le sang a coulé, dévastation et chaos se sont instaurés. Et pourtant…Les chemins de la Nouvelle-Calédonie ont toujours été tumultueux. Ils nous ont appris que les Accords se nourrissent des désaccords. La Nouvelle-Calédonie est capable de paix et d’harmonie. Sans doute doit-elle donner moins d’ambition à la fameuse formule du « destin commun » : on peut être unis dans la diversité ; le destin global peut être authentiquement solidaire sans que l’on vive passionnément ensemble chaque instant car chacun a son identité propre, ce qui est une richesse et non un handicap.
Espérons donc que tous les politiques calédoniens parviennent à dépasser consensuellement les pièges des trois consultations référendaires clivantes et incongrues de 2018 à 2021 et les graves ébranlements de 2024. La Nouvelle-Calédonie, retrouvant les ruses de l’imagination juridique, peut accomplir son destin de terre de débats et de partage pour la paix de tous. La tâche institutionnelle est d’autant plus pressante et ardue que les problèmes sociaux et économiques, qui sont concrets et têtus, sont nombreux et complexes : il est urgent de s’y consacrer. Il faut savoir d’avance que la force du compromis relatif mais possible maintenant devra l’emporter sur l’absolu éternel illusoire, mensonger. Les situations semblant les plus inextricables trouvent des solutions contingentes imparfaites mais réelles.
Les affrontements violents de 2024 entrent à leur tour dans l’héritage commun, qu’ensemble les Calédoniens doivent assumer. Ne savent-ils pas que les lumières succèdent aux ombres ? Oui, les forces du destin lient naturellement au-delà de leurs différences le peuple autochtone et les populations locales implantées. Ne perdons jamais de vue le centre de gravité autour duquel tous doivent se lier. Comme on le sait, la définition physique du centre de gravité est « le point de concentration des différentes forces qui permet à un corps de se tenir en équilibre ». Il exige attention, maîtrise et volonté.
L’esprit consensuel des Accords Matignon de 1988 est celui du partage provincial fondamental d’un pays solidaire, respectant les identités pour valoriser les diversités. Pour l’avoir négligé, le régime de l’Accord de Nouméa de 1998 a été cause de moments de confusion politique dus aux complexités et à l’encombrement du niveau de l’ensemble territorial, trop souvent dans la cacophonie du gouvernement et les impuissances du congrès. Il est temps aujourd’hui que la Nouvelle-Calédonie s’affirme unie dans la diversité de ses provinces, légitimes et cohérentes, pourvues chacune de majorité efficace et représentant clairement les facettes de l’âme plurielle du pays. Ce n’est qu’ainsi fédérée que la Nouvelle-Calédonie saura relever les défis politiques, économiques, sociaux et culturels qui se posent à elle, dans le respect de ses différences et pour l’affirmation de sa solidarité collective.
Et c’est aussi l’idée fédérale qui saura éclairer et pacifier les relations de la Nouvelle-Calédonie avec la France. Contrairement à une idée fausse, la France a bien une tradition de régime fédéral avec ses outre-mer, comme l’ont montré tant l’Union Française de la IVème République que la Communauté des débuts de la Vème République. Elles lui ont permis, contrairement à une autre idée fausse, de savoir mettre en œuvre des décolonisations paisibles. C’est dans cette direction que la Nouvelle-Calédonie doit maintenant trouver son chemin. L’idée fédérale, c’est le partage des compétences de souveraineté et cette idée est opérante en Nouvelle-Calédonie tant en son sein à l’égard des relations des provinces entre elles que dans ses interdépendances avec la République française.
Encore conviendra-t-il que les forces politiques du pays s’unissent pour bannir ensemble tous les procédés d’exclusion, de violence et de terrorisme du paysage politique du pays. Il ne faut pas oublier que les vieux démons du pays ne sont jamais totalement endormis. Et pour leur dialogue et leurs controverses dans le respect mutuel, on souhaite que les négociateurs quels qu’ils soient cessent d’aborder tout sujet de débat en annonçant d’emblée : « non négociable ! » … Ayons confiance en la Nouvelle-Calédonie, terre de palabres et de partage qui a si souvent été capable d’étonner par ses capacités d’approfondir des échanges finissant par porter leurs fruits. Que cette terre de contrastes et de contradictions sache établir son avenir sur sa formidable vitalité inclusive.
Jean-Yves Faberon