Pour éviter les contresens à la lecture des résultats d’hier soir sur le Caillou, il convient de chausser ses lunettes calédoniennes. Car si le score de Marine Le Pen, le meilleur de tout l’outre-mer avec 49% des suffrages exprimés, restera dans les annales, ce n’est sans doute pas pour son euro-scepticisme ou ses quotas immigratoires.
En Nouvelle-Calédonie, 29 ans après la signature d’Accords qu’elle a toujours réprouvés, le vote Le Pen sonnait comme la garantie du maintien de la Collectivité au sein de la République. Du coup, dans un raccourci dont l’histoire est friande, le vote Macron constituait une menace sur le statu quo et enclenchait la mécanique de l’indépendance. Pour mémoire, le président élu avait pourtant répété qu’une fois à la tête de l’Etat partenaire, il accompagnerait le processus, mais que son choix calédonien était bien la France.
En clair, l’élection présidentielle en Nouvelle-Calédonie n’a été que la répétition grandeur nature de la consultation de l’an prochain.
Premier constat: le Front National qui, localement, n’a jamais retrouvé son audience des années 80, y compris dans les institutions, pourrait saisir l’occasion de renaître de ses cendres. Les scores de Marine Le Pen l’y encourageraient.
Deuxième observation: si, dans leur passé politique ou dans leurs convictions anciennes, rien n’en fait des frontistes convaincus, certains leaders de la droite « loyaliste », par ailleurs candidats aux législatives de juin ont voté ou laissé voter en faveur de Marine Le Pen. Ils seront tentés de se prévaloir des scores – jusqu’à 70% parfois – de la candidate dans le Grand Nouméa – et même dans la capitale, fillonniste au 1er tour- et sur la côte ouest de la Grande Terre. Ces deux régions sont par ailleurs le théâtre de violences récurrentes contre les personnes et les biens depuis de nombreux mois: le vote Le Pen devenait ici un vote protestataire contre l’insécurité qui pourrit la campagne référendaire.
Attentifs à ne pas insulter l’avenir, d’autres leaders de la droite se sont tus: ils n’ont pas encore fait le deuil de MM. Juppé et Fillon.
Troisième constat: Calédonie Ensemble (CE) avait appelé à voter pour Emmanuel Macron. Aujourd’hui, le parti aux manettes du Pays n’est sans doute qu’à moitié rassuré: son candidat l’a certes emporté, mais les bastions CE de Brousse ont largement fait le choix inverse, même les sanctuaires historiques du parti majoritaire. La campagne de juin 2017 est décidément lancée. La suivante aussi.
Enfin, alors que les indépendantistes du Nord et des Iles s’étaient peu exprimés au premier tour, sauf pour répondre à l’appel du Palika en faveur de Benoît Hamon, ils se sont mobilisés au second, participant à la victoire d’Emmanuel Macron dans 24 des 33 communes calédoniennes. C’est donc le retour des indépendantistes dans le jeu national, malgré l’appel à l’abstention lancé par l’UC.
Le nouvel élu présidera à l’automne le dernier comité de Suivi des Accords. D’ici là, il poursuivra son initiation aux difficiles équations calédoniennes. Pas sûr que les résultats d’hier l’y aident.
Benoît Saudeau