Pour lutter contre les moustiques, la Polynésie choisit les rayons X

©Institut Louis Malardé

Pour lutter contre les moustiques, la Polynésie choisit les rayons X

Le programme de lutte contre les arboviroses grâce à l’inoculation de la bactérie Wolbachia chez les moustiques est un succès en Nouvelle-Calédonie. En Polynésie française, le programme mené par l’Institut Malardé sur l’atoll Tetiaroa se poursuit et fonctionne. Des moustiques mâles stériles sont libérés régulièrement autour de l’hôtel The Brando. Et bientôt ils seront également déployés sur une commune de Tahiti et à Aitutaki aux îles Cook, grâce à une nouvelle technique par rayons X qui permet de les stériliser plus vite, plus facilement et en grandes quantités. Un sujet de notre partenaire Radio 1 Tahiti.

Les responsables du World Mosquito Program ont annoncé cette semaine, en Nouvelle-Calédonie, la fin du programme et sa réussite. Lancé en 2018 sur le Grand Nouméa, il consistait à lâcher des moustiques porteurs de la bactérie Wolbachia afin d’inhiber la transmission de maladies comme la dengue, le zika ou le chikungunya.

En tout, 24 millions de moustiques ont été relâchés. Et depuis 2020, aucune épidémie d’arboviroses n’a été enregistrée dans l’agglomération, « un succès monumental » pour les autorités. Déjà appliquée dans d’autres îles du Pacifique, cette méthode d’inoculation de la bactérie Wolbachia aux moustiques a, à chaque fois, réduit l’incidence de la dengue de 55% à 98%.

Alors qu’en est-il en Polynésie française ? La bactérie Wolbachia est bien utilisée ici aussi, mais pas de la même façon. Une autre de ses propriétés est de stériliser les mâles. Et c’est cette méthode qui a été mise en place sur l’atoll de l’hôtel Brando à Tetiaroa pour répondre à la demande des propriétaires : « éliminer la nuisance causée par les moustiques ». Si en Nouvelle-Calédonie, les épidémies ont été stoppées, les moustiques sont toujours là. Alors que sur Tetiaroa, il s’agissait de faire baisser la population de cet insecte.

Et ça marche ! « Les résultats obtenus ont été très probants, avec un effondrement des populations de moustiques après seulement quelques mois de traitement. Ce qui a permis à l’hôtel de fournir à ses employés et ses clients un environnement dénué de moustiques et donc de maladies qu’ils peuvent transmettre. Le bénéfice est double », explique Hervé Bossin, responsable du laboratoire d’entomologie médicale de l’Institut Malardé. Des lâchers réguliers ont lieu sur le motu de l’hôtel, soit 3 à 4 millions de moustiques depuis huit ans.

Stérilisation par rayons X 

Un succès qui a permis le financement par le Pays et l’État du centre de recherche et de production de moustiques mâles stériles sur le site du laboratoire d’entomologie à Paea, commune de la côte ouest de Tahiti. Depuis, une production industrielle a été mise en place. Mais ce n’est plus la bactérie Wolbachia qui est utilisée pour stériliser les moustiques. Cette fois, les mâles passent aux rayons X, une méthode appelée technique de l’insecte stérile (SIT en anglais). 

« Ça marche très simplement. On les colonise, on les met dans des cages au laboratoire et on produit donc des quantités de moustiques assez importantes. On sépare les mâles des femelles avec une approche mécanique. Il y a une différence de taille notoire entre ces mâles et les femelles. Ils sont ensuite insérés dans des étuis que l’on place dans l’appareil de stérilisation par rayons X. On appuie sur le bouton et trois minutes plus tard, ils sortent stériles de l’appareil, et on peut ensuite les transférer vers les sites qui sont infestés et les lâcher dans ces zones. » 

Des appareils qui permettent de traiter des centaines de milliers, voire des millions de moustiques. Le site de Paea est unique en France. Avec Wolbachia, des vérifications régulières sont nécessaires pour s’assurer que la bactérie est toujours présente chez les moustiques. Avec les rayons X, la méthode est plus flexible, plus rapide et plus facile. Et elle fonctionne avec différentes espèces de moustiques. « Trois espèces de moustiques sont problématiques en Polynésie française : l’aedes aegypti, le moustique tigre polynésien et le culex quinquefasciatus. Ce dernier transmet le paludisme aviaire aux oiseaux et malheureusement il touche le monarque de Fatu Hiva qui est une espèce en voie critique d’extinction. Des travaux sont actuellement menés avec la SOP Manu pour tenter de sauver cet oiseau. » 

Lancement du programme PAC-SIT à Paea et aux Cook

Et bientôt ces moustiques stériles vont être relâchés dans trois endroits : l’île de Aitutaki aux Cook, à Tetiaroa et à Paea dans le cadre du programme PAC-SIT mené par l’Institut Malardé en collaboration avec la Direction de la santé des îles Cook. L’opération, qui va démarrer au second semestre de cette année, est financée par l’Organisation mondiale de la santé à hauteur de 60 millions de francs sur les deux ans qui viennent. « Ça nous permettra d’avoir un traitement d’une bonne partie de la commune de Paea et d’envisager de décliner cette opération sur les autres communes si on arrive à obtenir les moyens du Pays. »

Cette méthode de stérilisation des moustiques mâles par rayons X répond à plusieurs préoccupations : sanitaire, économique et touristique. « Le positionnement de la technique de l’insecte stérile permet de répondre aux problématiques de santé publique d’un côté, du tourisme et de l’économie de l’autre. Ce n’est pas que des préoccupations de santé publique puisque en abaissant la nuisance et en parvenant peut-être même à l’élimination de ces espèces envahissantes qui ont été introduites accidentellement en Polynésie, on pourra peut-être parvenir à l’élimination sur certaines îles. On est déjà parvenu à l’élimination sur un atoll privé des Tuamotu il y a plusieurs années de ça. Donc on maintient un statut indemne de nuisances. Et donc on a à cœur de pouvoir décliner ce genre de statut d’élimination des moustiques à des échelles de plus en plus importantes. »

Trouver des financements 

Tous ces programmes coûtent évidemment de l’argent. Au Pays de décider combien il souhaite mettre pour traiter la Polynésie française. En Nouvelle-Calédonie, le World Mosquito Program a coûté 835 millions de francs mais il a permis de sauver des vies et d’éviter des dépenses de santé évaluées à 8 milliards de francs, tout en préservant l’environnement car il n’y a plus de pulvérisations de pesticides particulièrement nocifs, le malathion qui est interdit en Europe, ou la deltaméthrine. 

Un autre programme est actuellement mené par l’Institut Malardé sur l’île de Huahine. Mozeroa est financé par une fondation privée pour identifier les points chauds de la filariose lymphatique et ensuite lancer une opération ciblée de lutte contre les moustiques.

Lucie Rabreaud pour Radio 1 Tahiti