Le Port autonome de Papeete s’apprête à commander une étude de faisabilité sur une « forme de radoub » qui pourrait être creusée dans ses eaux. Ce bassin de 110 à 150 mètres de long permettrait de mettre des navires en cale sèche pour les entretenir et les réparer, et donc prendre le relais du dock flottant de la Marine Nationale, dont la fin d’exploitation est prévue pour 2030. Autre option envisagée : l’investissement dans un autre dock flottant de plus grande capacité ou même la possibilité d’un ascenseur à bateaux. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
C’est un terme peu connu en dehors du milieu naval, mais qui pourrait revenir régulièrement dans le débat polynésien ces prochains mois. La « forme de radoub » -du vieux français « radouber », c’est-à-dire réparer une coque- est un vaste bassin dédié au carénage des navires. Une infrastructure qui équipe -souvent depuis de longues décennies- les ports du monde entier, et qui va faire l’objet dans les prochains mois d’une étude de faisabilité en Polynésie.
C’est bien sûr le Port autonome de Papeete qui est à la manœuvre, et qui, au travers de l’appel à concurrence qui vient d’être lancé, prépare la mise en œuvre de son schéma directeur de 2022. La feuille de route prévoit en effet, après les chantiers du terminal de croisière, qui ne fait pas que des heureux, la rénovation du quai au long cours, déjà bien avancée, et en attendant le creusement de la passe ou le réaménagement de la zone de commerce international, la création d’un « Pôle de réparation navale » à Fare Ute, zone industriel et commerciale du Port.
L’idée : profiter du démantèlement des vieilles cuves d’hydrocarbures pour regrouper sur un même site les activités de construction et de réparation navale, aujourd’hui dispersées autour de la rade. L’opération implique de trancher une question sur la table depuis plusieurs années : de quels moyens de levage et de carénage doit disposer la Polynésie ?
Un bassin de 110 à 150 mètres à Fare Ute
Les bateaux polynésiens -ou ceux qui fréquentent les eaux du territoire- ont déjà face à eux plusieurs options pour leur entretien ou leurs réparations. Il y a bien sûr les chantiers navals, à Tahiti, Raiatea, ou aux Marquises équipées de divers remorques, grues ou portiques qui permettent de mettre à sec les voiliers et les navires les plus légers. Technimarine dispose à Fare Ute de l’outil le plus développé avec son « travelift » de 300 tonnes.
De l’autre côté du pont de Motu Uta -qui relie Fare Ute au port international et insulaire-, la cale de halage permet de tirer hors de l’eau des bateaux de quelques centaines de tonnes : certaines navettes, les barges, de gros navires de pêche ou les plus petites goélettes.

Pour les navires les plus imposants, l’outil central de carénage reste un équipement militaire qui fait l’objet d’un accord avec la CCISM pour être mis à disposition du privé, depuis plus de vingt ans : le dock flottant de la Marine Nationale. Une superstructure ancrée dans la rade de Papeete, qui peut être immergée pour y faire entrer les bâtiments puis être élevée au-dessus de l’eau grâce à un système de ballast.
La forme de radoub, elle, utilise un principe inverse pour un même résultat : le bassin, creusé sur le rivage, peut se remplir par un système d’écluse et se vider grâce à des pompes. Une infrastructure simple dans son principe, utilisée depuis des siècles de par le monde, mais qui peut bénéficier d’évolutions modernes. Le cahier des charges du Port autonome évoque par exemple l’option d’un compartimentage qui permettrait des mises à sec « économiques » pour les navires de pêche locaux ou internationaux, et l’obligation d’envisager des installations de traitement des eaux polluées du chantier ou des eaux pluviales.
Quant à la taille du bassin, il s’agit justement de la déterminer, avec deux formats à considérer : un radoub de 150 mètres de long et 32 de large qui permettrait d’accueillir « tous les navires polynésiens ». Et un autre de 110 mètres sur 24 seulement, qui exclurait, comme c’est déjà le cas du dock flottant, l’Aranui 5 (126 mètres de long), et son futur petit frère l’Aranoa (117 mètres). Le Paul Gauguin (156 mètres), qui est d’ailleurs en ce moment même en carénage à Singapour, n’est quoiqu’il arrive, pas concerné par le projet.
Les choix du Pays et du port suspendus à ceux de la Marine
Si le Port autonome -ainsi que le Pays, forcément concerné par le maintien de la flotte publique et privée- lance les manœuvres au sujet du carénage, c’est que les moyens existants ne suffisent plus ou feront à terme défaut. Et les regards se tournent vers le dock flottant de la marine, construit en 1975.
Certes, l’équipement militaire a été bien entretenu et a subi plusieurs modernisations. Et sa mise à disposition du civil -avec une priorité absolue aux bâtiments militaires- reste une « bénédiction », comme le répètent les professionnels, en l’absence d’autres options. Mais le fait est que l’outil est vieillissant, que ses besoins de maintenance augmentent, et que son programme -alourdi par la prise en charge des patrouilleurs calédoniens au moment du Covid- est de plus en plus chargé.
Ses capacités sont aussi limitées : comme l’a déjà exprimé à plusieurs reprises le Cluster maritime de Polynésie, les armateurs dimensionnement aujourd’hui leurs navires en fonction des limites du dock flottant (maximum de 3 800 tonnes, 150 mètres de long et 17,5 mètres de large), plutôt qu’en fonction des besoins de leur exploitation.
Mais le plus gros point noir reste l’incertitude sur son avenir : la dernière expertise, en 2018, avait abouti au prolongement de son exploitation jusqu’à 2030. La date, plusieurs fois repoussée, pourrait éventuellement atteindre la décennie suivante. Mais aucune garantie n’est aujourd’hui apportée par l’État et l’Armée, qui s’exprimeront probablement sur le sujet d’ici 2027.
Depuis des années, donc, les professionnels poussent les autorités du pays et du Port à s’équiper par eux-mêmes. Et le schéma directeur du port prévoit bien de nouvelles options de levage. Celle de remplacer la cale de halage par une nouvelle darse équipée d’un portique à sangle de 1 500 tonnes de capacité, si le dock de la Marine était renouvelé pour 10 ans. Ce qui ne réglerait pas le problème à long terme. En cas de décommission de l’équipement militaire, la feuille de route prévoit le creusement d’une forme de radoub de 12 000 tonnes (l’Aranui pèse 11 000 tonnes) ou l’achat d’un nouveau dock flottant de même capacité.
Cette dernière option a longtemps été celle pour laquelle militaient les professionnels, qui espéraient même, en 2017, deux milliards de francs d’investissement dans le projet. Aujourd’hui, et après de longues années de tergiversations des autorités, ils se disent aujourd’hui favorables à toutes les options qui permettraient de lever les incertitudes sur l’avenir, mais aussi d’ouvrir la voie à un développement de la flotte locale… Voire d’attirer des carénages étrangers, que l’on parle de superyachts, de grande plaisance ou de pêche internationale.
Le Pays et le Port autonome, qui devront quoiqu’il arrive échanger sur des bases solides avec l’État et la Marine sur le sujet, devraient lancer d’autres études, notamment sur l’option du « grand » dock flottant. Voire sur des technologies plus modernes comme un ascenseur à bateau de type « Synchrolift ».
Charlie René pour Radio 1 Tahiti