EDT-Engie et sa filiale Marama Nui vont construire, d’ici 2027, la première Station de transfert d’énergie par pompage (Step) en Polynésie, dans une vallée de Papeari déjà équipée en barrages, la Titaaviri. L’idée, déjà mise en pratique depuis longtemps en France et à l’étranger : utiliser les surplus de production solaire pour remplir des retenues d’eau au-dessus des barrages et les utiliser pour refaire tourner les turbines quand le réseau a besoin d’électricité. Soutenu par l’État et son « Fonds Macron », le projet n’est pour l’instant qu’un « démonstrateur » à 2 Mégawatts. Mais s’il se révèle efficace, il devrait ouvrir la voie à des Step de plus grande envergure à Papenoo ou Hitiaa. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
« Tous ceux qui font de l’hydro dans le monde font aussi des Step ». Il était donc temps de sauter le pas pour EDT-Engie et sa filiale Marama Nui. Les Step, ce sont ces « Station de transfert d’énergie par pompage » qui permettent, en substance, de stocker de l’énergie dans les rivières déjà équipées en barrages et stations hydroélectriques.
« Grosso modo, c’est une installation hydro qui marche à l’envers », explique Yann Wolff, le directeur général de Marama Nui. « On va utiliser des surplus d’énergie pour pomper de l’eau et la remonter en altitude. Et quand il y aura besoin d’énergie, on fera de l’hydroélectricité classique ». L’eau, pompée en dessous d’un barrage sert à remplir la retenue d’eau supérieure, d’où elle pourra, plus tard, alimenter la turbine en aval. « On lui fait simplement faire un cycle supplémentaire », précise le responsable.
Une technologie qui ne nécessite, dans les vallées déjà exploitées de Tahiti, aucune nouvelle construction en rivière. Seule une station de pompage et une conduite forcée souterraine doivent être installés. Le système fonctionne depuis plusieurs décennies dans de nombreux pays. Y compris la France, où EDT cumule, sur six sites différents, 5000 MW de puissance de Step. Celle que EDT compte construire dans la vallée de Titaaviri, à Papeari -et qui fait partie des lauréats de la dernière cuvée de projets aidées par le « Fonds Macron » de l’État- est dimensionnée à 2 Megawatts (MW). Une « Baby Step », donc.
Davantage de solaire, davantage de pics de production en journée
Mais il fallait bien un premier pas, et surtout un moyen de vérifier la bonne marche de ce genre d’équipement dans le contexte tahitien. « On regarde ça depuis longtemps mais on n’avait pas beaucoup avancé jusqu’à présent parce qu’en Polynésie on n’avait pas d’énergie en surplus bon marché et disponible », reprend Yann Wolff. « Le principe des Step c’est que à certains moments de la journée ou de la semaine, on va avoir de l’énergie dont on ne sait pas quoi faire, parce qu’il y a trop de production, et pas assez de consommation, donc plutôt que de la gaspiller, on va la stocker sous forme d’eau, on va prendre de l’eau en bas d’une montagne, on va remonter ça dans la montagne, et quand il y en aura besoin, on pourra turbiner ».
Ce qui change la donne, et qui confère aux stations de pompage de plus en plus d’intérêt au fenua, c’est bien sûr le développement de l’énergie solaire, énergie de plus en plus bon marché, mais très intermittente. Avec l’installation de plus en plus de photovoltaïque en toiture, les grandes fermes solaires qui sur le point d’être reliées au réseau, et les nouveaux appels à candidature en préparation du côté du Pays, le réseau de l’île connaît déjà des « trop-pleins » d’énergie en pleine journée, le weekend, quand la consommation est au plus bas. Et ces périodes de surplus pourraient à l’avenir s’étaler à d’autres jours de la semaine, toujours au moment où le soleil est au plus haut. Le défi : conserver cette énergie pour le soir, quand le photovoltaïque ne produit pas, mais les Polynésiens consomment.
Tita’aviri d’abord… Papenoo et Faatautia ensuite ?
C’est donc dans la vallée de Titaaviri que sera réalisé ce test grandeur nature. EDT-Engie avait pourtant évoqué, dès les premières réflexions sur le sujet, d’autres sites possibles, notamment à la Papenoo et dans Faatautia, côté Hitiaa. Mais dans la grande vallée de Papeari, le groupe est en « pleine propriété foncière ».
Idéal, donc pour « aller vite », installer ce « démonstrateur » de 2MW et passer à la suite. « Ça ne va pas révolutionner le paysage électrique de Tahiti, mais ça permettra d’évaluer la capacité de Maramanui à construire rapidement ce genre de choses, Et surtout après on va pouvoir mesurer les rendements exacts, parce que là on a pris des hypothèses, il faut voir vraiment comment ça marche », détaille Yann Wolff, qui est aussi directeur technique, métiers et performances au sein d’EDT-Engie. « Et si on a des bons résultats là-dessus, on essaiera de développer d’autres projets, le prochain étant sur la Papenoo, qui offre du potentiel de manière importante. Ensuite, on regardera si on peut faire à terme un projet plus ambitieux sur la zone Faatautia ».
Les noms de projets sont déjà trouvés : après Baby Step et ses 2 MW, « Mama Step », si elle était lancée, pourrait bénéficier de 6 à 8 MW de puissance installée, et jusqu’à 14 MW pour la Step « Big Mama » de Hitiaa, si elle naît un jour. Tout dépendra des résultats dans la Titaaviri, des besoins du réseau électrique… Et des aides des autorités. Car ce genre d’investissement « doit se faire avec un soutien public ».
Pour Baby Step, et ses 340 millions de budget, c’est l’État qui a participé à hauteur de 70% du coût total, au travers du fonds de transition énergétique en plus d’une défiscalisation. « Un projet comme ça, sans le fonds Macron, c’est impossible à mettre en œuvre », pointe le directeur de Marama Nui. Entre autres parce que des incertitudes techniques pèsent sur ce premier projet : sur le rendement énergétique de l’installation, pour l’instant estimée à 75%, et plus encore sur la quantité de surplus d’énergie disponible, qui définit le degré d’utilisation de la station.
Pourquoi pas des batteries ?
Les Step ne sont pas les seules solutions pour éviter de « gâcher » de l’énergie lors des pics de production et des creux de consommation. L’installation de grandes batteries, facile à réaliser et très efficace du point de vue du stockage est aussi une option. EDT s’est d’ailleurs essayé à ce genre de technologie avec Putu Uira. Mais ce « générateur virtuel » inauguré début 2023 à Punaruu, non loin de la centrale Martin, a des capacités de stockage très courtes, qui permettent surtout de ne pas avoir à faire tourner un groupe diesel de secours en permanence.
« Les batteries chimiques ont forcément un intérêt et on milite pour des solutions mixtes, où chaque technologie à sa place », reprend Yann Wolff. « Chaque solution a des avantages et des inconvénients : les batteries ont un coût, elles ont une durée de vie entre 10 à 15 ans, elles posent des problèmes de retraitement… Avec les Step, on est vraiment sur le cœur de métier de Marama Nui, on réutilise les conduites forcées existantes, on réutilise les barrages existants, et on vient juste mettre une pompe, coupler un moteur… Ce n’est jamais qu’une turbine et un alternateur à l’envers ». Les dernières études, les commandes et l’installation devraient tout de même durer 2 à 3 ans. Rendez-vous entre fin 2026 et début 2027.
Charlie René pour Radio 1 Tahiti