Après plus d'une semaine d'émeutes, Emmanuel Macron est en route mercredi pour la Nouvelle-Calédonie avec l'objectif d'y renouer le fil du dialogue et d'accélérer le retour à l'ordre à Nouméa, où deux écoles et un concessionnaire automobile ont été incendiés pendant la nuit.
La visite surprise du chef de l'État a été annoncée mardi en Conseil des ministres, alors que se multiplient les demandes de report du projet de loi constitutionnelle sur le corps électoral, rejeté par les indépendantistes, et la mise en place d’une mission de dialogue.
Dans l'archipel, la nuit de mardi à mercredi « a été plus calme que la précédente malgré deux incendies dans l'agglomération de Nouméa », a signalé dans un communiqué le Haut-Commissariat de la République. Selon la municipalité de Nouméa, interrogée par l'AFP, deux écoles et 300 véhicules d'un concessionnaire sont notamment partis en fumée.
Emmanuel Macron, dont l'avion a décollé en début de soirée mardi selon l'Élysée, doit arriver mercredi soir ou jeudi matin (heure locale) dans l'archipel du Pacifique Sud pour y installer une « mission », a précisé la porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot, sans fournir plus de détail. On sait ce matin que cette mission serait composée de Rémi Bastille, Frédéric Potier et Éric Thiers, tous ayant eu un lien avec l’archipel.
« Très peu de temps après l'annonce » de sa venue, la Nouvelle-Calédonie a par ailleurs été visée par une cyberattaque « d'une force inédite » visant à « saturer le réseau calédonien », a indiqué lors d'une conférence de presse Christopher Gygès, membre du gouvernement collégial calédonien. L'attaque, consistant en l'envoi simultané de « millions d'emails », a été stoppée « avant qu'il y ait des dégâts importants », a-t-il dit.
Dans un quartier aisé du sud de Nouméa épargné par les émeutes, Jean, 57 ans, se relaie depuis une semaine avec ses voisins sur une barricade destinée à empêcher d'éventuelles intrusions. La venue du président est « une bonne nouvelle », estime-t-il : « La situation est totalement bloquée, il faut espérer que ça permette aux esprits de se calmer, qu'une porte de sortie va être trouvée. »
Sur un barrage de Dumbéa, un fief indépendantiste à l'ouest de Nouméa, Mike, 52 ans, souhaite, lui aussi, que « Macron arrive pour voir ce qui se passe », tout en répétant que « nous, on reste sur l'opposition : c'est non au dégel ». « Je ne comprends pas pourquoi notre sort doit être discuté par des gens qui n'habitent même pas ici », déplore-t-il.
« Trop tôt » pour un bilan
L'ex-Premier ministre Édouard Philippe, très impliqué dans le dossier calédonien durant son passage à Matignon (2017-2020), a dit espérer du chef de l'État des annonces « à la hauteur ». « La situation est terriblement triste et dangereuse. La France, qui a une relation compliquée à son histoire coloniale, a une possibilité de trouver une solution originale, même si c'est plus difficile qu'il y a trois mois », a-t-il ajouté lors d'une réunion publique à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques).
Neuf jours après le début des plus graves violences touchant l'archipel depuis près de 40 ans, la situation, bien que plus calme, reste précaire et des quartiers entiers toujours difficilement accessibles. Mercredi matin, des incendies étaient visibles en plusieurs secteurs de l'agglomération de Nouméa, dont la zone industrielle de Ducos, a constaté une journaliste de l'AFP.
Il est « beaucoup trop tôt » pour faire un bilan global des dégâts, car il y a encore des quartiers où les agents ne vont pas, a expliqué à l'AFP l'administration de la ville de Nouméa, tandis que le Haut-Commissariat a indiqué dans son communiqué que « plus de 90 barrages ont déjà été neutralisés et sont progressivement nettoyés ». Depuis le début des violences, six personnes ont été tuées, dont deux gendarmes mobiles. Quelque 84 policiers et gendarmes ont aussi été blessés, a affirmé le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin devant les députés, qui ont observé mardi une minute de silence en hommage aux morts.
Les forces de l'ordre ont procédé à 276 interpellations -le Haut-commissariat en a recensé plus de 280-, dont 248 menant à des gardes à vue, a précisé Gérald Darmanin, qui sera en Nouvelle-Calédonie avec le président Macron. Le ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, est aussi du déplacement, tout comme la ministre déléguée aux Outre-mer, Marie Guévenoux.
Signe de la difficulté à reprendre en main la situation sécuritaire, l'aéroport international de l'archipel restera fermé aux vols commerciaux jusqu'à samedi matin. L'Australie et la Nouvelle-Zélande ont commencé mardi à évacuer leurs ressortissants piégés par les violences, une centaine ayant déjà « regagné leurs territoires grâce à des vols affrétés par leurs autorités », selon le Haut-Commissariat.
« Reporter » la réforme
Les mesures exceptionnelles de l'état d'urgence sont maintenues : couvre-feu nocturne, interdiction des rassemblements, du transport d'armes, de la vente d'alcool et de l'application TikTok. Saisi par des défenseurs des libertés, le Conseil d'État a accordé mardi 24 heures supplémentaires au gouvernement pour motiver le blocage du réseau social et apporter des preuves du rôle que lui attribuent les autorités dans les émeutes.
Sur le front politique, les principales figures non-indépendantistes de l'archipel ont appelé à poursuivre l'examen de la réforme constitutionnelle contestée, qui doit être adoptée avant fin juin par le Congrès à Versailles. Son retrait serait « une erreur gravissime » qui donnerait « raison aux casseurs, aux pilleurs et aux émeutiers », a jugé mardi le député (Renaissance) de Nouvelle-Calédonie, Nicolas Metzdorf.
Mais plusieurs élus non-indépendantistes ont appelé à mettre le projet sur pause, le temps de renouer le dialogue. C'est le cas de Sonia Lagarde, maire de Nouméa, ou du parti Calédonie Ensemble dont le président, Philippe Gomes, estime que « la révision constitutionnelle devra être reportée ». Les appels se sont multipliés, de la gauche à l'extrême droite en passant par la majorité, pour réclamer un report de cette réforme qui aurait pour conséquence de marginaliser les voix de la communauté autochtone kanak, selon les indépendantistes.
Avec AFP