Interrogée par nos confrères de RRB (Radio Rythme Bleu), Vaea Frogier, présidente du syndicat des agences de voyages de Nouvelle-Calédonie, dresse un bilan de la situation des agences de voyage du territoire, qui ont connu d’importants bouleversements ces dernières années. Entre crises économiques, mutations du transport aérien et évolutions des habitudes des consommateurs, ces entreprises doivent aujourd’hui relever de nombreux défis pour assurer leur pérennité.
Depuis 1951, les agences de voyages ont joué un rôle central dans l’organisation des déplacements des Calédoniens. Pourtant, elles sont de moins en moins nombreuses sur le territoire, comme le souligne Vaea Frogier. En 2009, on comptait encore 15 agences en activité. Aujourd’hui, elles ne sont plus que six, employant entre 80 et 90 salariés.
Une diminution qui s’explique par la succession de crises : incertitudes politiques liées aux référendums, pandémie de Covid-19 (qui a entraîné une fermeture prolongée des frontières jusqu’en 2022) et les événements de mai 2024 ont profondément fragilisé le secteur.
L’essor de la vente en ligne a aussi mis les agences physiques à l’épreuve. Si certains voyageurs privilégient encore l’accompagnement des celles-ci, beaucoup optent désormais pour l’achat de billets directement sur Internet, bien que cela puisse parfois compliquer la gestion des modifications ou des imprévus.
Malgré cette contraction, les agences de voyages restent un acteur économique important. Elles génèrent plus de 4 milliards de francs CFP (environ 33 500 000 euros) de chiffre d’affaires pour la compagnie Aircalin et contribuent significativement aux finances publiques à travers les impôts et charges sociales qu’elles versent.
Des changements dans le transport aérien : un impact direct
Le secteur du voyage en Nouvelle-Calédonie est particulièrement influencé par l’évolution du transport aérien. Or, la compagnie Aircalin, principal transporteur du territoire, a récemment pris plusieurs décisions impactant directement les agences et les voyageurs avec la suppression du vol Singapour du vendredi. Ce vol permettait notamment de nombreuses connexions vers l’Asie, le Moyen-Orient et l’Europe avec des compagnies partenaires comme Singapore Airlines, Emirates ou Etihad.
Les passagers devront désormais être réorientés vers d’autres vols, notamment via Bangkok, mais avec des capacités limitées. Les changements fréquents dans le programme des vols impactent aussi les agences. Depuis le début de l’année 2025, Aircalin a déjà procédé à quatre modifications majeures de son calendrier, ce qui complexifie l’organisation des voyages.
De plus, la reprise du trafic n’est attendue que d’ici 2028-2029. Selon une réunion entre les acteurs du transport aérien en novembre dernier, un retour à la normale du trafic aérien à l’aéroport de La Tontouta ne devrait pas intervenir avant plusieurs années. Face à ces contraintes, il est désormais conseillé aux voyageurs d’anticiper au maximum la réservation de leurs billets, afin d’avoir plus de choix et d’éviter des tarifs trop élevés.
La suppression des commissions : un coup dur pour les agences
Jusqu’au 1ᵉʳ janvier 2025, Aircalin versait aux agences de voyages de Nouvelle-Calédonie une commission de 5 % sur le prix des billets hors taxes. Cette rémunération couvrait une partie du travail effectué par les agences, notamment la vente des billets, la promotion de la compagnie et la gestion des modifications ou imprévus.
Cependant, cette commission a été supprimée pour les agences locales, représentant une perte de 135 millions CFP (environ 1 131 000 euros) de revenus pour le secteur. Une décision d’autant plus critiquée que les agences étrangères, notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande, continuent de percevoir ces commissions, d’après Vaea Frogier, Présidente du syndicat des agences de voyage du territoire.
En réponse, le syndicat a saisi l’Autorité de la concurrence, estimant que certaines pratiques imposées par Aircalin pourraient contrevenir aux règles du commerce. Parmi les points soulevés : Une incitation à augmenter les frais de service des agences, en parallèle de l’augmentation des frais de la compagnie, ce qui pourrait être considéré comme une entente sur les prix ; Une pression pour favoriser la vente de billets Aircalin sur certaines lignes concurrentielles, risquant de limiter la concurrence et d’entraîner une hausse des prix pour les consommateurs.
Quel avenir pour les agences de voyages en Nouvelle-Calédonie ?
Si la situation économique et les décisions récentes d’Aircalin fragilisent les agences locales, celles-ci continuent de défendre leur rôle auprès des voyageurs. En cas de disparition de ces intermédiaires, les Calédoniens n’auraient plus que deux options : réserver leurs billets en ligne, avec les contraintes que cela implique en cas de changement de vol, ou se rendre directement en agence Aircalin, dont la capacité d’accueil est limitée.
Dans ce contexte, le syndicat des agences de voyages entend poursuivre son dialogue avec les autorités locales et les acteurs du transport aérien. Une audition devant les élus du Congrès de la Nouvelle-Calédonie est notamment prévue dans les prochains jours afin d’exposer ces problématiques et de rechercher des solutions pour assurer la pérennité du secteur.
Charles Baudry