Après 20 ans de lutte pour faire indemniser le décès de son mari, victime d'essais nucléaires, Michèle Larmier repart au combat, malgré ses 80 ans et sa leucémie, pour faire reconnaître, mardi devant un tribunal de Dijon, son propre préjudice cette fois : « On ne prend pas en compte nos vies chamboulées ».
« On leur disait simplement de se retourner » : Michèle Larmier ne peut réprimer un sourire quand elle se souvient du récit que lui faisait son mari des cinq essais nucléaires auxquels il a assisté, en 1968, depuis le porte-avions Clémenceau mouillé à Mururoa, atoll de Polynésie française ayant servi, avec Fangataufa, aux essais nucléaires français.
« Ils étaient tous sur le ponton, en short et tee-shirt. Quand la bombe explosait, ils sentaient l'onde de choc dans leur dos. Puis ils se retournaient. Ben oui, fallait bien voir le spectacle ! ». En 1987, quand le commandant Claude Larmier prend sa retraite avec son épouse dans le paisible village de Vincelles (Yonne), « on s'est dit qu'on allait être tranquille », se souvient Michèle. Mais le capitaine de frégate déclare un cancer du côlon en 1991. Il décède quatre ans plus tard.
« On n'a pas fait le rapprochement tout de suite avec les essais », dit-elle. Entre 1960 et 1996, 17 essais nucléaires ont été menés au Sahara algérien, ancienne colonie française, et 193 en Polynésie. « Au fil des ans, on a commencé à se douter. J'ai alors demandé son dossier médical : il n'y avait aucune page sur son année passée sur le Clémenceau ! J'ai aussi demandé les relevés des dosimètres qu'ils avaient avec eux. Mais rien ».
En 2001, Michèle rejoint donc l'Association vétérans essais nucléaires (Aven) et entame un combat de vingt ans. D'abord pour obtenir une loi (du 5 janvier 2010) qui permet l'indemnisation des victimes ; puis pour faire approuver le dossier de son mari. Tribunal administratif, appel, cassation, à nouveau tribunal... Neuf ans seront encore nécessaires pour être indemnisé, en 2021. « J'ai touché 53 000 euros », lâche la veuve.
« Pour le symbole »
Une maigre bouffée d'air après 27 ans de restrictions : « Quand Claude est mort, j'avais 50 ans. Sa retraite de 15 000 francs qu'on touchait, c'est tombé à 3 500 francs », une pension de veuve équivalente à 794 euros. « On paie les charges et on mange avec ce qu'il reste. Heureusement que j'ai les légumes du potager », dit Michèle en montrant le lopin de terre longeant le modeste pavillon que le couple avait acheté.
« On ne peut plus sortir. On ne peut plus inviter. Alors on n'a plus d'amis. Heureusement que j'ai la compagnie de mon poêle à bois », dit-elle, pointant l'ersatz de cheminée installé dans le petit salon, faute de télé. Il y a trois ans, Michèle était diagnostiquée d'une leucémie. De quoi grever encore un peu plus ses finances : « il y a toujours un reste à charge, pour les soins, les analyses au labo, les médicaments... On ne prend pas en compte nos vies complètement chamboulées », résume Michèle.
La veuve a donc lancé, en juillet 2021, une procédure contre l'État demandant que soit reconnu cette fois-ci son préjudice propre, aussi appelé préjudice « par ricochet ». « La loi de 2010 n'indemnise que les victimes directes d'essais nucléaires et non les victimes indirectes pour leur préjudice moral ou matériel, à la différence des autres systèmes d'indemnisation : l'amiante, les victimes d'attentats, les accidents médicaux », explique à l'AFP Cécile Labrunie, avocate de l'Aven.
« C'est une injustice », résume Michèle Larmier, dont le dossier passera mardi devant le tribunal administratif de Dijon, avec celui d'une autre veuve. Sur l'ensemble de la France, « une centaine » de procédures de « victimes par ricochet » sont en cours, selon Me Labrunie. Le premier jugement, concernant trois cas, a été récemment rendu à Strasbourg, le tribunal estimant qu'il y avait prescription.
L'Aven a fait appel. Un autre tribunal administratif, à Bordeaux, doit se prononcer mi-janvier. L'affaire entendue à Dijon n'est que la troisième du genre. Me Labrunie y demandera jusqu'à 60 000 euros pour les veuves. « Mais ce n'est pas ce qui compte », assure Michèle. « Oui, j'aimerais bien vivre un peu mieux mais je le fais pour le symbole, pour qu'il y ait une certaine justice rendue ».
Avec AFP