INTERVIEW. Urgence climatique et renforcement militaire de la France dans le Pacifique ne sont pas incompatibles, estime de député Hadrien Ghomi, président du GEVI sur les îles du Pacifique

À droite : L'Arago, patrouilleur des Forces Armées en Polynésie, en mission aux îles Marshall ©Assemblée nationale / FAPF

INTERVIEW. Urgence climatique et renforcement militaire de la France dans le Pacifique ne sont pas incompatibles, estime de député Hadrien Ghomi, président du GEVI sur les îles du Pacifique

Pour la première fois de son Histoire, la France, grâce à la Nouvelle-Calédonie, accueille le « South Pacific defence ministers’ meeting », le 10ème sommet des ministres de la Défense du Pacifique Sud. Celui-ci se tient du 4 au 6 décembre à Nouméa en présence de Sébastien Lecornu, ministre des Armées ainsi que ses homologues de Papouasie-Nouvelle-Guinée, d’Australie ou encore de Nouvelle-Zélande. C’est dans ce contexte que Hadrien Ghomi, député de Seine-et-Marne et président du Groupe d'études à vocation internationale sur les îles du Pacifique, publie une tribune dans Le Monde. Celle-ci, intitulée « Lutter contre l’urgence climatique, la priorité de la France dans le Pacifique » est co-signée par les membres du GEVI. Hadrien Ghomi revient pour nous sur ce texte publié en début de semaine.

Outremers360 : Vous commencez votre tribune en rappelant l’importance des initiatives militaires dans le Pacifique. Vous poursuivez en indiquant que l’urgence climatique doit être la priorité de la France, dans cette zone… Il y a, pour vous, un problème de priorité ?

Hadrien Ghomi : Absolument pas. Il est essentiel de favoriser une approche complète de la stratégie indopacifique française, fondée sur quatre domaines prioritaires : sécurité et défense, économie, promotion du multilatéralisme et préservation de la biodiversité. Ces divers secteurs d’intervention sont complémentaires. Répondre à l’urgence climatique et renforcer le poids militaire de la France dans le Pacifique sont donc loin d’être deux objectifs incompatibles. La France souhaite être pionnière dans la relation climat-défense. C’est pour cela que nous avons commandé en 2017, au sortir du 3e South Pacific Defence Minister’s Meeting (SPDMM), une étude sur l'impact du changement climatique dans le Pacifique Sud et le rôle qu’y jouent les forces armées. Cette dernière, publiée en 2019, a souligné que les moyens de gestion de crise et de sécurité civile étaient insuffisants dans la région et qu’il fallait renforcer la coordination entre les différents acteurs.  C’est dans cette optique que le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a affirmé que l’une des priorités du SPDMM qui s’est ouvert à Nouméa était l’amélioration de la relation climat-défense entre les États de la région

Quels sont les enjeux derrière ce Sommet ?

Le sommet des ministres de la Défense du Pacifique Sud, c’est avant tout l’occasion de réunir des acteurs qui se voient peu autour de sujets qui appellent des réponses rapides. Ce sommet revêt des enjeux qui vont au-delà des simples questions militaires. La coordination des actions des nations du Pacifique en réponse aux défis communs qu’elles affrontent est primordiale : en matière de maintien de la paix dans la région, de renforcement de la sécurité maritime ou encore d’amélioration des actions internationales en soutien aux populations civiles victimes de catastrophes naturelles. La France a la chance d’être une nation du Pacifique. À ce titre, il est logique qu’elle s’engage sur ces sujets. Je me réjouis que notre pays soit considéré dans la région pour son action en faveur de la paix et de la lutte contre le réchauffement climatique. Alors que d’autres puissances régionales peuvent s’enfermer dans l’opposition sino-américaine qui fracture aujourd’hui le Pacifique, la France entend offrir une approche novatrice qui se concentre sur les priorités des territoires océaniens parmi lesquelles figure en bonne place la protection de l'environnement.

Quelle crédibilité accorder à la France sur ces questions alors que la Polynésie française est actuellement secouée par une polémique environnementale liée à l’organisation de l’épreuve de surf des JO 2024 ?

Je crois savoir que ce qui se passe aujourd’hui en Polynésie française est un sujet qui est suivi de près par les autorités compétentes afin d’apporter une solution qui satisfasse l’ensemble des parties-prenantes. Toutefois, l’action globale de la France en faveur du climat ne peut être réduite à une polémique sur un différend autour de la construction d’infrastructures sportives. On parle ici d’engagements décisifs pour la préservation de l’environnement qui passent par des dizaines de milliards d'euros investis pour lutter contre le réchauffement climatique. On parle aussi de traités fondateurs, comme l’Accord de Paris de 2015 issu de la COP21, accord que les États insulaires du Pacifique étaient parmi les premiers à signer et qui a insufflé une réelle dynamique autour de la diplomatie environnementale. La France prouve chaque jour son implication dans le Pacifique sur les questions environnementales. Avec l’initiative KIWA et ses 75 millions d’euros investis pour répondre au défi de l'adaptation au changement climatique dans la zone à travers la protection, la valorisation et la restauration de la biodiversité. Avec les premiers engagements qui se matérialisent du One Forest Summit en Papouasie-Nouvelle-Guinée et les 60 millions d’euros dédiés à la préservation des forêts primaires papoues. Avec aussi notre volonté ailleurs dans le monde de réduire les émissions de gaz à effet de serre, en soutenant des modèles de production d’énergies plus responsables à l’image de l’Alliance solaire constituée en partenariat avec l’Inde.  

Quelle est la première menace climatique qui guette le Pacifique ? 

De mon point de vue, la première menace c’est la montée des eaux. Parce qu’elle sera très difficile à endiguer et qu’elle menace directement la vie des populations locales. À cet égard, l’initiative australienne visant à accorder l’asile climatique aux habitants du Tuvalu marque une nouvelle étape dans la prise en charge de l’urgence climatique qu’il convient de saluer. Il est désormais admis que nous risquons de voir des États disparaître, submergés par les océans. Ce n’est pas un scénario de science-fiction. C’est ce qui pourrait concerner des dizaines de milliers de personnes au Tuvalu, à Nauru, aux Kiribati et même en France, plus précisément à Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie.

Dans votre tribune, vous dites : « S’engager dans la sauvegarde des nations insulaires du Pacifique, c'est investir dans notre propre résilience. Sans une action internationale de grande ampleur, ces territoires sont voués à disparaître ». À quelles solutions pensez-vous ?

Avec cette tribune transpartisane, mes collègues parlementaires et moi-même voulions contribuer au renforcement de la prise de conscience environnementale de l’opinion publique. Nous avons souhaité mettre en lumière le fait que les dangers qui touchent actuellement le Pacifique ne sont pas des problèmes diffus et lointains. C’est aujourd’hui une menace tangible pour la vie et la culture des populations insulaires. Si nous ne faisons rien, ce qui arrive aujourd’hui à Tuvalu ou à Nauru arrivera dans quelques années en Normandie ou en Camargue. Face à la montée du niveau de la mer, il n’existe pas de solution miracle. En premier lieu, il faut impérativement lutter contre le réchauffement climatique, responsable de la fonte des glaces qui fait monter le niveau des océans. Ensuite, il faut trouver des solutions techniques pour limiter les conséquences sur les populations civiles concernées. Cela sera coûteux et difficile. Nous devons engager une dynamique internationale sur le sujet. C’est pour cela que ces sommets diplomatiques de premier rang sont si décisifs.

Cela exige aussi de la France qu’elle opère quelques changements dans sa manière de faire. D’abord en s’assurant que notre administration est suffisamment armée humainement et techniquement pour comprendre les problèmes spécifiques de cette région. Ensuite, en réalisant des efforts supplémentaires en matière de financement. 

Vous expliquez également qu’il faudrait plus de représentations diplomatiques. En quoi cela aiderait la lutte contre l’urgence climatique ? 

L’augmentation du nombre de représentations diplomatiques dans la région est un enjeu fondamental. Une présence diplomatique accrue offre une meilleure compréhension des enjeux locaux. Plus on est présent sur le terrain, mieux on est informé des défis spécifiques de la région concernée et meilleure est la réponse que l’on peut apporter. En établissant des liens étroits avec les autorités locales, les scientifiques, les entreprises et la société civile, les diplomates peuvent obtenir des informations de première main sur les conséquences locales du changement climatique. Le renforcement de notre présence diplomatique traduit aussi l’intérêt croissant de la France pour la région. Elle témoigne de notre volonté de nous investir pleinement aux côtés des États insulaires dans la résolution des problématiques qui nous concernent. Seule la coopération dans l’écoute et le dialogue nous offrira une plus grande légitimité dans la promotion des politiques environnementales que nous encourageons. L’ouverture d’une représentation diplomatique au Samoa va dans ce sens. L’implantation de l’AFD au Vanuatu et à Fidji également. C’est une dynamique vertueuse qu’il faut nourrir. Renforcer la présence de la France dans le Pacifique passe aussi, je crois, par la mobilisation de parlementaires mais également de relais politiques et économiques dans l’Hexagone. En publiant cette tribune dans les colonnes du Monde, c’est ce que nous avons essayé de faire avec mes collègues : faire entendre la voix des parlementaires français engagés pour la préservation de notre planète. 

Propos recueillis par Abby Saïd Adinani