INTERVIEW. Relance en Nouvelle-Calédonie : « L’export est un levier stratégique » affirme Christopher Gygès, membre du gouvernement

©Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie / Port autonome de Nouméa

INTERVIEW. Relance en Nouvelle-Calédonie : « L’export est un levier stratégique » affirme Christopher Gygès, membre du gouvernement

Durement frappé sur le plan économique après les émeutes de 2024, la Nouvelle-Calédonie entre désormais dans une phase de relance active. Si les premières mesures d’urgence, comme l’activité partielle ou le fonds de solidarité, ont permis de sauver l’essentiel et notamment de maintenir des emplois, l’heure est aujourd’hui à la reconstruction. Désormais toutes les structures d’entreprise peuvent s’appuyer sur un éventail de dispositifs et retrouver un nouvel élan économique. L’enjeu dépasse la simple reprise : il s’agit de rebâtir un modèle plus résilient, enraciné dans le local, et tourné vers le marché international.

Pour Christopher Gygès, membre du gouvernement, en charge de l'économie, du commerce extérieur, de la fiscalité, du travail et de l'emploi, de l'énergie, du numérique et de l'attractivité de la Nouvelle-Calédonie, qui a accordé une interview à Outremers360, l’export pourrait devenir un levier stratégique de la relance. Une vision tournée vers l’avenir d’un territoire qui cherche à renaître économiquement, pas à pas.

Un éventail de dispositifs pour relancer l’économie

En mai 2024, la Nouvelle-Calédonie vacille. Émeutes, incendies, pillages : en quelques jours, c’est l’édifice économique patiemment bâti depuis des décennies qui s’effondre. Le choc est brutal. Près de 750 entreprises sont détruites, 1 375 touchées indirectement, et derrière ces chiffres, ce sont des filières entières à l’arrêt, des centaines d’emplois perdus, et une économie locale profondément déstabilisée.

Face à cette crise sans précédent, plusieurs dispositifs sont rapidement déployés, combinant aides directes à la reconstruction et mesures indirectes pour soutenir durablement les entreprises et accompagner la relance. Le premier dispositif majeur mis en place est le guichet unique pour la reconstruction, piloté par la CCI, en partenariat avec les provinces et les communes : « Il s’adresse aux entreprises qui s’interrogent sur leur capacité à reconstruire et souhaitent bénéficier d’un accompagnement personnalisé. »

En parallèle, plusieurs dispositifs directs ont été activés. Avec l’État, un travail a été mené pour étendre la défiscalisation nationale à tous les secteurs d’activité touchés par les destructions. Cette mesure, confirmée par la ministre chargée des Comptes publics Amélie de Montchalin, permet aux entreprises sinistrées d’accéder à des avantages fiscaux renforcés. En parallèle, des discussions sont engagées avec les compagnies d’assurance, et un fonds de garantie est en préparation, même si, comme le souligne Christopher Gygès, « sa mise en œuvre reste à ce stade trop lente ».

À l’échelle des collectivités, d’autres leviers ont été activés. Pour les TPE (très petites entreprises) et les patentés, une extension très large de la liste des travaux déductibles a été décidée, de même qu’un rehaussement des plafonds pour les particuliers. Cela leur permet aux particuliers de lancer des travaux à domicile, stimulant ainsi l’activité dans les secteurs du bâtiment et des services « et cela fonctionne bien puisque on voit que les carnets de commande des TPE augmentent » souligne Christopher Gygès

La province Sud a par ailleurs lancé le dispositif « Sud-Pro », qui propose une aide pouvant aller jusqu’à 250 000 francs CFP, jouant un rôle d’intermédiation entre les entreprises : « Ce dispositif rencontre un franc succès : plusieurs milliers d’entreprises sont déjà inscrites sur la plateforme, pour un volume d’activité qui dépasse les 100 millions de francs CFP. »

Un accord-cadre d’une ampleur inédite

Face à l’urgence économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie, les autorités ont décidé de changer de méthode. Du 22 au 25 avril, l’ensemble des acteurs politiques, économiques et sociaux se sont réunis pour élaborer une réponse collective à la hauteur des défis. De cette concertation est né un accord-cadre inédit, qui dessine une trajectoire économique, fiscale et sociale claire et partagée pour le territoire

Cet accord marque un tournant : il s’appuie sur une méthode de dialogue et vise des mesures concrètes et immédiates : « La signature d’un accord-cadre, le 12 mai 2025 – date symbolique, à la veille de l’anniversaire des émeutes de 2024, est sans doute l’initiative la plus structurante. Cet accord, conclu entre le gouvernement et les partenaires sociaux, fixe une trajectoire économique, fiscale et sociale de soutien à long terme pour le territoire qui s’articule autour de trois axes. »

Le premier axe porte sur la réforme de la fiscalité santé, avec un objectif clair : « ne plus faire peser son financement sur le coût du travail, afin de permettre une augmentation progressive des salaires ». Il prévoit aussi une baisse de l’impôt sur les sociétés, ainsi qu’une exonération totale de l’impôt sur les sociétés (IS) pendant trois ans pour les entreprises nouvellement créées.

Le second axe est centré sur l’emploi. Alors que le chômage partiel exceptionnel prend fin en juin, une nouvelle loi de pays, présentée prochainement en séance gouvernementale, viendra revaloriser le chômage partiel de droit commun. Elle prévoit également une exonération complète des charges patronales jusqu’à la fin de l’année. L’objectif est double : favoriser les embauches et éviter les licenciements. Par ailleurs, des budgets dédiés à l’alternance, à l’apprentissage et à la reconversion professionnelle sont renforcés.

L’Agence d’attractivité calédonienne 

Pour accompagner la relance et inscrire l’économie calédonienne dans une dynamique d’ouverture, un plan d’attractivité est en cours de déploiement qui prévoit la création d’une Agence d’attractivité calédonienne. Elle aurait pour mission de piloter deux volets complémentaires : promouvoir le territoire auprès des investisseurs étrangers, et accompagner les entreprises locales dans leur stratégie d’internationalisation : « L’idée est de cibler les filières à fort potentiel à l’export, en tenant compte à la fois des volumes disponibles, de la capacité à répondre aux normes des marchés visés et de la compétitivité de l’offre. » 

Parmi ces filières prioritaires figure bien sûr le secteur du nickel, mais aussi celui de la scorie, un sous-produit du nickel jusqu’alors peu valorisé : « Une entreprise locale a d’ailleurs initié un partenariat avec des acteurs américains pour l’exportation et la transformation de cette ressource, ouvrant la voie à de futurs investissements industriels en Nouvelle-Calédonie avec en perspective la construction d’une usine de production sur le territoire et l’ouverture vers les marchés de la zone Asie-Pacifique. »

Ce travail de structuration se construit dans une logique de coordination entre le gouvernement, les provinces et les chambres consulaires. La province Sud accompagne déjà certaines entreprises via des aides à l’export ciblées, tandis que le gouvernement met en place un crédit d’impôt export, permettant de déduire les dépenses engagées pour le développement commercial à l’international. Enfin, la Nouvelle-Calédonie s’inscrit dans le partenariat « Team France Export », en lien avec Business France et la CCI. Ce dispositif offre aux entreprises locales un soutien logistique, stratégique et diplomatique pour accéder à de nouveaux marchés.

Usine SLN de Doniambo vue depuis la Tour Montravel à Nouméa, Province Sud, Nouvelle-Calédonie ©DR

Un relais de croissance à l’export

Dans un contexte de reprise encore fragile et face à une consommation locale en baisse, notamment du fait des départs de population, les autorités misent sur l’export comme levier de croissance. « Le relais à l’export est important pour nous », souligne Christopher Gygès, évoquant l’envoi d’une mission d’entreprises calédoniennes au Vanuatu pour participer à la reconstruction post-séisme, avec le soutien des institutions locales. Des démarches sont également en cours avec Fidji afin d’ouvrir de nouveaux marchés. 

Cette dynamique régionale pourrait, selon le gouvernement, s’accompagner de mesures fiscales renforcées pour soutenir les entreprises dans leur développement à l’international notamment à travers l’allègement des droits de quai. La Nouvelle-Calédonie s’inscrit dans une logique proactive de séduction des investisseurs. L’objectif est clair : mettre en avant les atouts du territoire et expliquer dans quelles conditions un investissement sur place est possible.

Des premiers signaux positifs

Pour attirer de nouveaux capitaux, le gouvernement mise sur des atouts de long terme souvent sous-estimés. La Nouvelle-Calédonie bénéficie d’une position géographique stratégique au cœur du Pacifique, d’un statut français et européen, ainsi que d’un potentiel fort dans des secteurs d’avenir tels que les data centers ou le stockage de données, un domaine où elle pourrait rivaliser avec Fidji, aujourd’hui hub régional. À ces avantages s’ajoutent des infrastructures de qualité tant médicales, portuaires, aéroportuaires qu’éducatives et un savoir-faire local reconnu, comparable à celui de nombreux pays développés de la région.

Un cadre incitatif en construction

Pour renforcer l’attractivité du territoire, le gouvernement et les provinces travaillent à la création de zones franches, offrant des avantages fiscaux ciblés aux investisseurs souhaitant s’implanter en Nouvelle-Calédonie. Le lancement officiel de ces dispositifs est attendu prochainement sur plusieurs zones déjà identifiées. Autre signal encourageant : la reprise progressive de l’usine du Sud, même si le gouvernement reste prudent sur ce dossier, piloté par la province Sud. Parallèlement, on constate un retour de compétences sur le territoire, qu’il s’agisse de Calédoniens expatriés, de métropolitains ou de professionnels étrangers.

La reconstruction est désormais une priorité partagée et collective, portée à la fois par les institutions et les acteurs économiques. La signature de l’accord économique avec les partenaires sociaux en est l’illustration la plus concrète, marquant un large consensus autour des grandes orientations à donner à la relance. « Nous voulons montrer que la Nouvelle-Calédonie est attractive économiquement et fiscalement », affirme Christophe Gygès.

EG