INTERVIEW. En Nouvelle-Calédonie, « seul le recensement permettra de connaître le nombre de départs »

©LNC (archives)

INTERVIEW. En Nouvelle-Calédonie, « seul le recensement permettra de connaître le nombre de départs »

Alors que les spéculations vont bon train autour d’une éventuelle vague de départs, l’Institut des statistiques et des études économiques (Isee) achève la préparation du recensement, qui débutera en avril et devrait dévoiler ses résultats en juillet. Une opération très attendue qui permet, tous les cinq ans, de dresser une photographie précise de la population calédonienne et de fournir des données précieuses dans la conduite des politiques publiques du pays. Le point avec Élise Desmazures, directrice de l’Isee, Séverin Simon, directeur adjoint, et Véronique Ujicas, cheffe du service conjoncture et diffusion, avec nos partenaires Les Nouvelles Calédoniennes.

LNC : Récemment, le président de la CCI a avancé le chiffre de 10 713 personnes qui auraient quitté la Nouvelle-Calédonie en 2024 à la suite des émeutes. Peut-on vraiment s’y fier ?

Élise Desmazures : La CCI dispose de données importantes, car c’est elle qui gère l’aéroport de La Tontouta. Elle est en mesure d’observer les mouvements de passagers déclarés par les compagnies aériennes. S’agissant des mouvements recensés depuis les émeutes, il y a plusieurs interrogations. Déjà, on n’est pas sûrs que tout ait été bien comptabilisé. Il faut se rappeler, quand même, qu’en mai et juin, c’était le flou. Je ne suis pas sûre que les suivis aient été très bien réalisés.

Surtout, on a un sérieux doute en ce qui concerne le comptage des mouvements des forces de l’ordre. Le chiffre de 10 700 départs annoncé par la CCI est celui des mouvements de passagers sur les vols commerciaux, mais on sait que les militaires arrivés par des vols spéciaux sont repartis par des vols commerciaux. Cela peut entraîner des écarts assez importants. Donc l’Isee ne communiquera pas de chiffres dans l’immédiat, car on considère ne pas disposer de suffisamment d’informations. Les chiffres de la population seront disponibles en juillet. Ça peut paraître un peu long pour certains, mais on préfère avoir des données fiables plutôt que de communiquer des chiffres faux.

Véronique Ujicas : On dispose toutefois d’un faisceau d’indicateurs, que ce soit du côté des abonnements OPT ou des déclarations en douane, qui indiquent une tendance à la baisse. Mais c’est un peu hasardeux de sortir un chiffre précis aujourd’hui, en sachant les effets qu’il peut provoquer, notamment celui d’inciter ceux qui sont encore ici à partir. Les chiffres de la CCI, ce sont des flux de passagers, en aucun cas un solde migratoire, il faut insister là-dessus. Seul le recensement permettra de le connaître.

Justement, le recensement va débuter en avril, près de six ans après le dernier, mené en 2019. En quoi consiste réellement cette opération ?

E.D. : Il faut savoir, déjà, que le recensement ne se limite pas à un décompte de la population. C’est l’occasion pour nous de récupérer des données sur les logements, sur les équipements, l’accès à l’eau, à l’électricité, mais aussi sur la taille des ménages, le nombre de familles au sein d’une même habitation… On recense également des données individuelles, qui nous apprennent le niveau d’études, les mouvements entre le lieu d’habitation et de travail, l’appartenance à une communauté… Toutes ces informations nous permettront de disposer d’une photographie précise de la population calédonienne en 2025. Et, surtout, de mettre en lumière les évolutions par rapport au dernier recensement de 2019. Le véritable objectif du recensement, c’est donc bien de permettre aux responsables politiques et aux institutions d’affiner leurs politiques publiques, que ce soit à l’échelle communale, provinciale ou gouvernementale.

V.U. : Ensuite, chacun peut nous demander de réaliser des focus. On répond à tout type de demande. Ça va du médecin qui s’installe et veut connaître son bassin de population au chef de brigade de gendarmerie qui prend ses fonctions. On reçoit aussi des demandes des conseils coutumiers qui veulent en savoir un peu plus sur leurs populations, de la Sécurité civile qui veut élaborer un plan de protection autour des installations classées ou encore de la Dass qui cherche à faire un lien entre les épidémies et l’assainissement. Les entreprises sont aussi intéressées, notamment celles qui veulent démarrer leur activité, pour avoir une idée de leur zone de chalandise et du profil de leurs futurs clients. Les demandes sont multiples et variées.

Et ça permet également de faire le bilan des politiques menées ces dernières années…

V.U. : Oui, on évalue les politiques publiques aussi par le recensement. Qu’en est-il du rééquilibrage Nord-Sud ? Combien de personnes continuent de parler les langues kanak ?

Séverin Simon : Du citoyen au décideur politique en passant par l’entrepreneur, tout le monde est susceptible d’être intéressé par le recensement.

À quelle date seront disponibles les premières données du recensement ?

E.D. : Le calendrier n’est pas encore totalement validé, mais pour l’instant on est sur une collecte du 22 avril au 22 mai, avec des résultats de population légale, c’est-à-dire un décompte de la population par commune, disponible mi-juillet. L’objectif est de répondre à l’enjeu des prochaines élections municipales, prévues l’an prochain, car le nombre d’habitants par commune détermine le nombre de sièges de chaque conseil municipal. Les éléments plus précis, concernant les déplacements, les niveaux d’études, les logements, sortiront plutôt en 2026.

Où en êtes-vous dans le recrutement des agents recenseurs ?

S.S. : On arrive au terme du recrutement des contrôleurs. Ils seront 75. Ce sont eux qui encadreront les agents recenseurs. Le recrutement de ces derniers débutera le 17 février, pour une durée d’un mois. On va rechercher près de 900 personnes pour l’ensemble de la Calédonie. On essaie de trouver des personnes qui sont intégrées au milieu dans lequel ils vont mener les enquêtes. C’est un véritable avantage s’ils connaissent les lieux et le voisinage, ça réduit les appréhensions. Donc on recherche des gens motivés et sérieux, qui n’ont pas peur de s’adresser aux autres, qui ont le sens du contact et une connaissance fine du terrain qu’ils seront amenés à couvrir. Ils seront rémunérés à la réalisation.

Toutes les zones d’habitat seront-elles couvertes ?

V.U. : Oui, nous allons enquêter partout. Dans les squats, en prison, à l’hôpital, dans les maisons de retraite, en résidence universitaire… Tous les lieux où vivent des gens, temporairement ou définitivement, sont concernés par l’enquête. On essaie aussi de recenser les personnes sans domicile, en se rapprochant des organismes d’accueil et des associations.

Propos recueillis par Baptiste Gouret pour Les Nouvelles Calédoniennes