« Likes » par millions, republications en cascades… L’image du kick out victorieux de Gabriel Medina, capturé lundi matin à Teahupo’o, a fait le tour de la planète et explosé les compteurs. Elle a aussi mis en lumière son auteur, le photographe Jérôme Brouillet, qui a gagné près de 100 000 followers en quelques heures, et qui a été félicité par une foule de commentateurs voyant déjà dans son cliché « l’icône de ces JO ». Lui répète n’avoir « qu’appuyé sur le déclencheur » et rappelle que la photo, comme le surf, est un mélange de préparation, de timing, d’une « touche de chance » et de beaucoup de passion. Nos partenaires de Radio 1 Tahiti l’ont interrogé.
Une photo « à couper le souffle », « mythique », « déjà une icône de ces JO », « le shot de sport parfait » pour les uns, « la photo impossible » pour les autres. Et pourtant elle a bien été capturée dans la passe de Hava’e ce lundi.
On y voit Gabriel Medina sauter hors d’une des plus belles vagues de la journée et lever le doigt en signe de victoire. Un « kick out » impressionnant après une vague notée 9.90, meilleure note de la courte histoire olympique du surf, qui ne demande qu’à être battu dans les prochains jours. Mais ce qui frappe le plus, c’est que le Brésilien, qui exigeait un « 10 » de ses deux mains face à la tour des juges quelques secondes plus tôt, semble marcher sur un nuage, idéalement placé en arrière-plan, et affiche une pose des plus décontractées malgré le vide en-dessous de ses pieds et le plancher d’écume qu’on devine. Derrière lui, son surf au garde-à-vous complète une scène irréelle.
Un « shot » qui a donc fait le tour du monde, accumulant des millions de likes ou de commentaires sur les réseaux sociaux, en étant reposté par une foule de comptes officiels et de célébrités, et s’imprimant en quelques heures dans les plus prestigieux journaux de la planète ou d’ailleurs en « une » de Tahiti Infos. « L’image qui restera de ces olympiades », tentent même certains médias. Gabriel Medina, qualifié pour les quarts après cette bombe, n’a pas boudé cette explosion de popularité, et lui-même reposté la photo sur ses comptes sociaux. Mais c’est aussi l’homme qui est derrière l’objectif qui est mis en lumière depuis hier : Jérôme Brouillet.
« Elle m’a semblé pas mal »
Ce trentenaire résident de Mahina, commune du Nord de Tahiti, et dont la photo n’est qu’une des spécialités, aime répéter qu’il n’est « personne » dans le « milieu », ou à Teahupo’o. Mais le fait est qu’après plusieurs années à fréquenter le bout de la route avec son appareil, il en est devenu un des habitués. Et de sessions de free surf en compétitions, il s’est taillé une petite réputation sur le spot du PK0. La signature « Jérôme Brouillet » s’est déjà affiché en crédit dans des magazines locaux, des sites de sponsors internationaux, des revues spécialisées et même sur le site de Radio 1 pendant les dernières Tahiti Pro. Pas un hasard, donc, si l’AFP, avec qui il travaille depuis quelques années, l’a choisi dans son équipe pour cette épreuve de surf des JO.
À 9h30 ce lundi, donc, les huitièmes de finale battent leur plein. Le photographe, dans un des bateaux médias aux couleurs des JO, secoué par la houle et pris dans l’habituel embouteillage d’embarcations de la passe, vient de voir l’ancien champion du monde brésilien s’embarquer dans le rouleau qui doit lui assurer la victoire face au Japonais Kanoa Igarashi. « C’est Gabriel Medina, c’est probablement un des meilleurs sur le spot. Quand il prend cette bombe tous les photographes qui sont sur le bateau savent qu’il va faire une sorte de célébration en sortant de la vague, on se demande juste où est ce qu’il va sortir », se rappelle-t-il. « Dès qu’on voit un truc sauter on prend la photo en plein vol, en rafale ».
Presque à l’aveugle. Son appareil, déjà finement paramétré aux conditions de la session, est réglé pour prendre 10 clichés par seconde. Peu par rapport à ce que peuvent fournir le matériel pro, assez pour choisir, parmi les quatre images de la scène, celle qui « lui semble pas mal, sur le coup ».
Pas mal, et même un peu mieux que ça. La photographie, envoyée en direct, et grâce à un système de Wifi et de 4G, vers un des centres d’édition de l’AFP, est bientôt dans tous les fils d’actualité du monde. Impossible alors de se douter qu’elle allait avoir un si gros retentissement. D’autant que Jérôme Brouillet n’est pas vraiment seul derrière l’objectif ce matin-là : « On est six à bord, derrière il y a un autre bateau, il y a des légendes de la photo autour de moi, on doit être 25 accrédités, et des mecs forts, bien meilleurs que moi, bien connus… On est tous là à l’affût, à la chasse de l’image, donc je me dis, tout le monde l’a ce shot. Moi j’envoie le mien. Et derrière, mon téléphone ne s’arrête plus de vibrer. »
100 000 followers en quelques heures
Ce sont les centaines de messages de félicitations et les demandes d’interviews qui pleuvent. En une journée le photographe -qui a d’autres activités à côté- accumule 100 000 followers sur Instagram, répond à des médias toutes la planète, des télés brésiliennes, des grands médias nationaux, des revues américaines prestigieuses, comme le magazine Time qui consacre un article et une interview à cette « image emblématique du triomphe aux Jeux de 2024 ».
Jérôme Brouillet, passionné de sports depuis toujours, et qui s’est mis à la photo voilà une dizaine d’années pour être au plus près des athlètes qu’il admire, avait déjà connu quelques jolis succès. Comme en août 2021, quand il avait capturé Kauli Vaast au sortir d’une des plus grosses vagues jamais surfées à Teahupo’o, puis un autre monstre Matahi Drollet lors de la même session, plus tard dans la journée. Déjà, des « reposts » sur des comptes très en vue, des félicitations de gros noms de la photo, et surtout des publications en double page de Paris Match ou en « une » de Surf session. « Mais là c’est une autre dimension », lâche-t-il.
« Là c’est moi qui l’ai eu, la prochaine fois ce sera quelqu’un d’autre »
Pas question pour autant de laisser ce moment de popularité le faire quitter la terre, comme Gabriel Medina à ses heures. Comme il le répète dans ses interviews ou sur les réseaux sociaux, la photo c’est « un peu comme le surf » : un mélange de préparation, de dévouement, de timing, d’expérience… et « d’une touche de chance ». « Là c’est moi qui l’ai eu, la prochaine fois ce sera quelqu’un d’autre », complète-t-il. Il sait surtout que son « moment », alors que les réseaux sociaux fonctionnent à plein régime autour des JO, est probablement des plus « éphémères ».
« Demain, si Kauli Vaast est champion, je l’espère, c’est lui qui va faire le tour du monde. Ma photo de kick out elle passe loin derrière. Donc je prends ça avec beaucoup de mesure. J’ai eu le shot au bon moment, tant mieux. Et j’espère que ce sera la prochaine fois au tour d’un autre gars, du coin tant qu’à faire. » Car les photographes de sessions, qui passent de longues heures dans l’eau, les embruns, sous la pluie ou le soleil tapant de Teahupo’o ou d’ailleurs « font un travail qui reste très souvent dans l’ombre ». Difficile de croire, tout de même, que cet « ange Medina » comme certains appellent déjà le cliché, n’ouvre pas à Jérôme Brouillet quelques portes supplémentaires pour de nouveaux projets.
Charlie René pour Radio 1 Tahiti