En Polynésie, une étude, commandée par le gouvernement local, met en évidence « une augmentation inquiétante de la consommation et du trafic de méthamphétamine sur le territoire ». Appelée localement « ice », la « démocratisation » et la « banalisation » de ce « fléau en pleine expansion » a des « répercussions profondes sur la sécurité et la cohésion sociale ».
L’étude, menée de février à août 2024 par le cabinet Kairos Consulting à la demande du gouvernement de la Polynésie, « repose sur l’analyse de données issues de diverses sources, notamment gouvernementales, étatiques, médiatiques et associatives, ainsi que sur les témoignages de plus de mille personnes ». Elle avait été commandée pour « évaluer l’ampleur du phénomène et d’orienter les actions de lutte contre ce fléau ».
Et pour le gouvernement, ses résultats « mettent en évidence une augmentation inquiétante de la consommation et du trafic de méthamphétamine sur le territoire ». En soit, l’expansion de la méthamphétamine en Polynésie ne faisait plus de doute, il y a quelques semaines, le chef de l’exécutif polynésien avait annoncé un plan d’urgence à 250 millions de Fcfp (soit 2,095 millions d’euros), pour notamment accompagner les associations dans leurs actions de proximité et les services du Pays, en matière de prévention et de prise en charge.
En chiffre, l’étude révèle qu’en 2022, les infractions liées aux stupéfiants s’élevaient à 5,87 pour 1 000 habitants, contre 2,87 dans l’Hexagone. « Dans le même temps, les saisies ont bondi de 142 % entre 2021 et 2022, représentant 10 % de l’ensemble des saisies françaises », ajoute le communiqué de la présidence de la Polynésie.
Expansion sociale et géographique
La démocratisation de la consommation prend une dimension à la fois sociale, puisqu’elle « s’est progressivement étendue à toutes les couches sociales », et géographique, car elle « touche désormais les cinq archipels polynésiens ». « Cette démocratisation s’accompagne d’une banalisation du phénomène, notamment chez les jeunes, dont beaucoup méconnaissent les risques liés à cette drogue et en minimisent les conséquences ».
Selon l'étude, les personnes de moins de 40 ans sont l'essentiel des consommateurs. « Ces individus sont souvent insérés dans la société, avec un emploi et un cercle social stable », et sont motivés par « la recherche de performance physique, professionnelle ou sexuelle », « la pression sociale », le « désir d’évasion » ou encore « la simple curiosité ». « Contrairement aux idées reçues, seuls 11 % des consommateurs sont sans emploi, ce qui démontre que la consommation de méthamphétamine ne concerne pas uniquement les populations marginalisées mais touche un public bien plus large », ajoute-t-on.
« Connexions (…) établies » avec les cartels mexicains et américains
L’étude dresse aussi les « répercussions profondes sur la sécurité et la cohésion sociale » de cette expansion de la méthamphétamine : augmentation des infractions et montée de la délinquance, « étroitement liées à cette consommation qui alimente l’insécurité locale ». On y évoque aussi des « connexions (…) établies » avec les cartels mexicains et américains, « augmentant les risques de corruption et de violences liées au trafic ».
« L’émergence de réseaux organisés dans les quartiers a favorisé la diffusion du produit, le rendant plus accessible » déplore aussi le gouvernement local. Un « marché clandestin » qui « prospère grâce à un système de blanchiment de l’argent issu de la drogue par l’intermédiaire de commerces légitimes, renforçant ainsi l’ancrage de ce business criminel dans l’économie locale ».
L’expansion de la consommation de méthamphétamine en Polynésie est aussi liée au contexte mondial, à savoir que cette augmentation constatée localement s'observe aussi à l’échelle internationale. En effet, « en 2020, 117 pays étaient officiellement touchés par le trafic de cette drogue, contre 84 en 2010, et les saisies ont été multipliées par cinq en l’espace d’une décennie ».
Sur le continent nord-américain, « l’évolution est particulièrement frappante » : « au Mexique, le nombre de personnes traitées pour une addiction à la méthamphétamine a dépassé celui des alcooliques, avec une augmentation de 218 % entre 2013 et 2020 ». Sans surprise, « la Polynésie française suit une trajectoire similaire, avec un accroissement marqué de la consommation et du trafic ces dernières années ».
Dans son communiqué, le gouvernement de la Polynésie évoque plusieurs pistes pour « renforcer la lutte contre la propagation de la méthamphétamine », déjà évoquées ces dernières semaines : intensifier la prévention notamment auprès des jeunes, sensibiliser la population aux dangers de cette drogue et enrayer sa banalisation. On avance aussi la « mise en place de structures de prises en charge (…) pour offrir un accompagnement efficace aux consommateurs et favoriser leur réinsertion ».
« Enfin, la lutte contre le trafic doit être menée avec plus de vigueur, en renforçant la coopération entre les autorités locales et internationales. Le gouvernement polynésien entend s’appuyer sur les résultats de cette étude pour élaborer un plan d’actions concret et adapté à la réalité du territoire. L’objectif est de protéger la population et d’endiguer la progression de ce fléau qui fragilise la société polynésienne » conclut l’exécutif local.