Évolutions statutaires et réforme constitutionnelle sont au cœur des débats de ce quinquennat, entre la sortie de l’accord de Nouméa en Nouvelle-Calédonie, l’appel de Fort-de-France pour les Antilles et les travaux sur l’évolution du statut de la Guyane prévue par l’accord de 2017. En Polynésie française aussi, la question a surgi à la faveur de la campagne électorale législative et devrait, à l’approche des territoriales, surgir une nouvelle fois dans le débat public. Dr. Hervé Raimana Lallemant-Moe, Chercheur associé au laboratoire Gouvernance et Développement Insulaire (GDI – Université de la Polynésie française) et au Centre de droit international (CDI – Université de Lyon 3), se penche sur la question à travers cette expertise.
Nouvellement arrivé dans la collectivité, M. Éric Spitz, Haut-commissaire de la République en Polynésie française, a déclaré le 5 octobre 2022 en interview à Polynésie la 1re : « le statut d'autonomie est bon, tout peut être perfectible, mais à peu près dans tous les domaines de la vie économique, sociale et culturelle ce sont les Polynésiens qui sont aux commandes, qui ont les pouvoirs même dans des matières régaliennes comme le pouvoir fiscal, c'est la Polynésie française qui décide, je ne vois pas de raisons d'aller plus loin dans cette démarche. ».
18 ans se sont à présent écoulées depuis l’adoption de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française. Depuis la réintroduction d’un principe d’autonomie avec la loi n° 77-772 du 12 juillet 1977 relative à l'organisation de la Polynésie française, la loi organique statutaire de 2004 s’impose ainsi comme étant le statut le plus long dans la durée pour cette collectivité.
Pour paraphraser M. Le Haut-commissaire de la République, il est manifeste que les problématiques statutaires ou constitutionnelles n’intéressent que peu nos populations. Ce constat peut être clairement étendu à l’ensemble des États de la communauté internationale et à leurs populations respectives. La nécessité d’une modification des textes fondateurs d’un régime politique est généralement peu audible dans les campagnes électorales, plutôt centrées sur l’emploi, l’économie ou encore la thématique sécuritaire.
Il n’en reste pas moins que la structure normative d’un État ou d’une collectivité – notamment à son sommet – a une importance capitale sur l’ensemble des problématiques jugées comme essentielles par les citoyens. Dans le Pacifique, les conflits contemporains de compétences en matière de santé publique entre la Polynésie française et l’État, couplés à un buissonnement normatif hors du commun sur la gestion de la pandémie de Covid-19 et les contentieux y afférents, peuvent en témoigner.
En bref, si en apparence les problématiques statutaires intéressent peu, elles n’en restent pas moins fondamentales. Cette situation est d’autant plus juste pour le juriste pratiquant le droit polynésien. Selon un rapport de 2022 du ministère en charge des Outre-mer, les normes en Polynésie française ont pu être justement définies comme un véritable : « labyrinthe d’un droit inaccessible où l’usager, égaré dans la complexité, cherche vainement le fil d’Ariane ».
Ce labyrinthe juridique n’est pourtant pas causé par le pouvoir délibérant et matériellement législatif polynésien, mais par la complexité de la loi organique statutaire qui, 18 ans plus tard, n’a toujours pas finie d’être la source d’interrogations juridiques diverses sur les institutions polynésiennes ainsi que sur les limites de leurs compétences. Le dernier exemple en date étant le questionnement sur la possibilité pour M. Édouard Fritch de se représenter pour la 3e fois à la fonction de président de la Polynésie française, sous réserve évidemment que son parti politique l’emporte aux prochaines élections à l’Assemblée de la Polynésie française.
L’organisation du « dernier » référendum le 12 décembre 2021 sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie (prévu par le processus de l’accord de Nouméa du 5 mai 1998), pour lequel, le « non » l'a emporté avec 96,50% des voix (mais avec une participation de seulement 43,87% du fait de la non-participation des groupes indépendantistes) modifie la donne institutionnelle et constitutionnelle pour cette collectivité. De surcroît, il peut servir comme tremplin de changement pour la Polynésie française et plus globalement l’ensemble des Outre-mer français. Cette situation est d’autant plus plausible, qu’il semble que les négociations sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie paraissent avoir considérablement ralenties du fait d’arbitrages encore hésitants, laissant le temps aux autres collectivités – dont la Polynésie française – pour organiser leurs potentielles doléances.
Bien que la loi organique statutaire soit par nature complexe, et qu’une fenêtre de tir pour une modification soit en train de s’ouvrir, encore faut-il que cette hypothétique modification soit utile sur le fond, au risque d’être complètement inutile, cosmétique voire contre-productive. On en revient ainsi quelque peu au constat initial du Haut-commissaire de la République en Polynésie française dans l’interview : pourquoi aller plus loin alors que cela semble fonctionner ?
Les raisons sont théoriquement multiples et semblent, en outre, dépasser le clivage politique local entre autonomistes et indépendantistes et ce encore plus fortement après examen du contenu de toutes les campagnes électorales 2022 pour les législatives (notamment sur l’hypothèse de la création d’une « citoyenneté polynésienne »).
Sur le plan national, il est évident que la réforme calédonienne pourrait permettre un glissement de l’ensemble des collectivités territoriales des Outre-mer vers l’article 74 de la Constitution et ainsi substantiellement alléger le Titre XII de ce texte fondamental. Les Outre-mer français seraient ainsi régies par différents statuts « à la carte » – fondés sur des lois organiques – permettant de maintenir les différences substantielles entre les collectivités souhaitant rester au plus proche du droit national, et les autres désirant s’émanciper pour un certain nombre de compétences. Ces hypothèses (multiples) ont été largement développées par la doctrine et par certains parlementaires.
La Polynésie française étant d’ores et déjà aux frontières de l’article 74 susmentionné et mutatis mutandis plus proche de la Nouvelle-Calédonie que des autres collectivités d’Outre-mer, il paraît rationnel qu’elle se voit régie par des dispositions constitutionnelles spécifiques. On peut évidemment notamment penser à une clarification du partage de compétences entre la Polynésie française et l’État, à la mise en place de véritable normes législatives (et non d’actes réglementaires simplement matériellement législatifs), ou encore la création d’une citoyenneté dont les contours – électoraux ou autres – restent cependant à définir. L’essentiel est cependant de simplifier la loi organique statutaire de 2004 pour assurer une plus grande accessibilité, intelligibilité et clarté dans l’application du droit polynésien, ainsi qu’améliorer ses articulations avec le droit national.
En tout état de cause, ce constat n’est que juridique. Sans une volonté forte et construite de l’ensemble des institutions locales en collaboration étroite avec les autorités publiques de l’État, cette hypothétique construction d’un nouveau statut ne restera qu’un mirage inhérent aux travaux de certains juristes spécialisés. Car, finalement, si c’est bien le droit national qui actera les potentielles évolutions institutionnelles de la Polynésie, ce sont les élus polynésiens et a fortiori leur population qui décideront s’il n’y « pas de raisons d’aller plus loin dans cette démarche ».
Dr. Hervé Raimana Lallemant-Moe, Chercheur associé au laboratoire Gouvernance et Développement Insulaire (GDI – Université de la Polynésie française) et au Centre de droit international (CDI – Université de Lyon 3)