En Polynésie, patrons et syndicats divisés sur la réouverture des frontières

Illustration ©Aéroport international de Tahiti-Faa'a

En Polynésie, patrons et syndicats divisés sur la réouverture des frontières

Les autorités du Pays et de l’État ont reçu les représentants patronaux et syndicaux les 19 et 20 avril pour leur présenter la stratégie de réouverture du territoire à compter du 1er mai. Les syndicats de salariés dénoncent « une précipitation dangereuse » quand les patrons regrettent de ne pas avoir plus d’allègement et de visibilité. C’est un jeu d’équilibriste entre préservation de la santé et préservation de l’économie auquel il est bien difficile de gagner. Un sujet de notre partenaire Radio 1 Tahiti.

L’intersyndicale (composée de la CSTP-FO, la CSIP, O oe to oe Rima, Otahi, RTP, SPPP) avait déposé son courrier le 19 vers midi aux autorités du Pays. Ils expliquaient être « défavorables à l’ouverture des frontières au 1er mai 2021 » : « Vous vous précipitez dangereusement et vous faites peser d’énormes risques aux Polynésiens et aux entreprises locales. Une nouvelle pandémie n’est pas à écarter compte tenu des données non exhaustives présentées », écrivent-ils. Reçus le même jour par les autorités, ils n’ont pas été convaincus par les présentations du haut-commissaire, du président du Pays et des membres du gouvernement sur la stratégie de réouverture du territoire à compter du 1er mai, et ont rappelé leur désaccord. Cyril Le Gayic, secrétaire générale de la CSIP, précise que les conditions d’entrée des touristes américains ne leur conviennent pas.

Édouard Fritch n’a cessé de rappeler l’importance de rouvrir les frontières du pays pour permettre à l’économie de retrouver de l’air, mais ce motif n’est pas suffisant pour les représentants des syndicats de salariés. « Ce secteur est certes important, il rapportait en 2019, 65 milliards de Fcfp (près de 545 millions d’euros) à notre économie » mais le PIB produit au cours de cette même année se monte au total à 651 milliards de Fcfp (près de 5,5 milliards d’euros), notent les syndicats. La réouverture fait donc « prendre des risques considérables à la plus grande partie des entreprises polynésiennes », alors que ceux-ci sont en ce moment-même en train d’essayer de remonter la pente, comme l’explique Cyril Le Gayic.

C’est également l’avis de Maxime Antoine-Michard, vice-président de la CPME et président du syndicat des restaurants, bars et snacks, reçu avec les représentants patronaux le 20 avril. « Si nous avions pu rester fermés un peu plus longtemps, ça aurait probablement été mieux mais maintenant une décision a été prise et nous voulions nous assurer que les conditions d’entrée étaient suffisamment protectrices pour ne pas risquer un redémarrage de la pandémie alors que la situation est maîtrisée ». La priorité était donc de protéger l’économie endogène mais ils attendaient aussi des assouplissements pour permettre le redressement de l’économie. Mais sur cette question, chacun est resté campé sur ses positions.

Protocoles d’entrée contraignants

Du côté du Medef, Frédéric Dock a dit sa satisfaction d’être reçu par les autorités du Pays et que celles-ci communiquent en transparence leur stratégie car c’est bien la visibilité qui manque aujourd’hui aux entreprises. Mais les nouvelles n’ont pas été jugées très bonnes, car les protocoles d’entrée conditionnant la réouverture des frontières aux États-Unis restreignent fortement la cible touristique (des couples sans enfant ou des personnes seules) et la réouverture des frontières avec l’Europe se fait attendre. « Pour les autres marchés, nous n’avons pas de visibilité. Dans leur stratégie, l’issue finale recherchée est l’immunité de la population avec la vaccination ». Ce qui, selon les calculs des uns et des autres, amènerait à la fin de l’année…

Dans le même temps, le patron des patrons polynésiens comprend les inquiétudes : « Les gens qui ne souhaitent pas cette réouverture des frontières : je le comprends totalement, surtout quand la communication mondiale met en avant le nombre de morts, on a dépassé les 3 millions de morts dans le monde, et tout le monde s’inquiète, on est dans une propagation de la peur et personne n’a envie de perdre des proches. La santé de nos familles, de nos collaborateurs est la priorité mais si on finissait par être convaincu qu’il faut vivre avec, il faudra aussi à un moment donné se préoccuper des 225 millions de personnes qui ont perdu leur emploi et des 120 millions de personnes passées sous le seuil de pauvreté… ». 

Difficile de trouver un juste équilibre entre la préservation de l’économie du Pays et celle du système de santé. Les syndicats de salariés prévoient d’aller déposer des gerbes pour la mémoire des 141 personnes décédées du Covid-19 en Polynésie française, avant leur traditionnelle rencontre avec le gouvernement le 1er mai, et prévoient d’agir s’ils ne sont pas entendus. « Les décisions sont déjà prises mais elles sont encore officieuses », admet Cyril Le Gayic sans en dire plus.

Lucie Rabréaud pour Radio 1 Tahiti