Après plusieurs années de travaux scientifiques, de discussions avec les professionnels de la pêche ou du tourisme, le projet de *rāhui de Bora Bora est « en phase de finalisation ». Il devrait concerner une vaste zone couvrant le récif sud de la Perle du Pacifique, et le maire Gaston Tong Sang évoque déjà une mesure « permanente ». L’idée : aider à régénérer l’écosystème du lagon, aujourd’hui privé des plus gros spécimens de poissons. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
« Est-ce que notre lagon est mort ? ». C’était la question de Gaston Tong Sang quand il a demandé au Criobe de lancer une grande étude sur l’état de santé du lagon de Bora Bora. La commune, depuis plus de 20 ans, axe ses efforts sur la préservation du Pavillon bleu, qu’arborent l’essentiel de ses plages, et donc sur la limitation des rejets et sur le contrôle de l’assainissement. Mais il s’agissait cette fois de s’intéresser non pas à la qualité des eaux, mais à la qualité des écosystèmes du lagon.
Et les résultats communiqués par les scientifiques sont en demi-teinte, explique le maire. « Le lagon n’est pas mort, on a du corail bien vivant, des poissons nombreux… Mais tous de très petite taille », résume-t-il. Pression de la pêche, pollution sonore, activité nautique intense… Difficile, en l’absence d’études précédentes, de comprendre comment Bora Bora en est arrivée là, mais une chose est sûre : cet état des lieux scientifique, cohérent avec les constats des pêcheurs qui ont lancé la réflexion dès 2017, appelle réaction.
« Les poissons ont du mal à arriver à l’âge adulte pour la reproduction, et si on consomme les plus petits, on va casser la chaîne », reprend Gaston Tong Sang. Aucun doute pour le maire : « seul le rāhui » et ses interdictions strictes de pêche, d’activité et même de navigation permettra de « régénérer » le lagon. Mais pas question d’avancer à marche forcée sur ce sujet sensible.
Accompagnés de l’association environnementale Ia Vai Ma Noa, des chercheurs et étudiants du Criobe et du CNRS se lancent courant 2019 dans une grande enquête de terrain. Menée notamment par Tamatoa Bambridge, l’équipe parcourt les quartiers de l’île, récolte les observations et avis des vieux pêcheurs et des plus jeunes, des réunions sont organisées avec les prestataires touristiques, et la mairie fait venir, pour fixer le cap, des référents des rāhui de Rapa, aux îles Australes, ou de Teahupo’o à Tahiti.
Objectif : « que tout le monde trouve son compte » dans ce projet. « Sans l’aide des scientifiques, avec seulement des bénévoles, on aurait pris des décennies à mener toute cette consultation » explique Tehani Maueau, la présidente de Ia Vai Ma Noa Bora. La période de Covid a sans surprise ralenti le projet. Mais elle n’a pas été dénuée d’intérêt, notamment le premier confinement.
En l’absence de l’essentiel de la circulation sur le lagon, de pollution sonore, beaucoup d’habitants observent un regain de vie dans le lagon. Et, les mois suivants, ceux qui, privés d’activité touristique, retrouvent la voie de la pêche, se rendent compte à quel point les grosses prises se font rares. « Ça a été une bonne période d’étude, et une prise de conscience pour beaucoup », reprend Tehani Maueau.
« Au lieu de bouffer le capital, on donne les intérêts aux pêcheurs »
Une prise de conscience qui se ressent dans les résultats de l’enquête : « Les avis ont été radicalement favorables au rāhui » note Gaston Tong Sang qui parle aujourd’hui d’un projet « en phase de finalisation ». Mais la Perle du Pacifique, hotspot touristique de Polynésie, ne peut pas se priver de tout son lagon : l’idée est de former une réserve assez grande pour qu’elle puisse aider à repeupler le reste.
Si la zone nord avait un temps été envisagée, c’est du côté sud que se sont rapidement portés les regards. La zone de rāhui, toujours pas gravée dans le marbre, devrait s’étendre sur plusieurs kilomètres de la pointe Te Tu Ri Roa, à l’extremité Sud-Ouest du lagon de Bora, jusqu’à la zone du récif Papaiore, au sud-ouest de la pointe Matira. Une aire sans hôtel, sans motu, désignée comme un « lieu de passage, de migration de poissons » par les anciens de l’île, et comme une zone favorable à la reconstitution de réserves, notamment du fait de l’orientation des courants, par les études scientifiques.
Côté prestataires touristiques, pas d’opposition : « La plupart des sites que l’on utilise, pour le snorkeling notamment, ne sont pas concernés », explique Rainui Besineau, le président du comité tourisme de Bora Bora. Quant à la durée de ce rāhui, « il y encore beaucoup de débats », reconnaît Gaston Tong Sang. « Pour moi, si ça marche, il faut pratiquement qu’il soit permanent », insiste le maire, pour qui rouvrir la zone à la pêche au bout de quelques années reviendrait à « repartir à zéro ». « Quand la zone de rāhui est saturée, il y a des zones de débordement, dans lesquelles on va aller pêcher », précise-t-il. « Je compare ça à un placement d’argent à la banque : au lieu de bouffer le capital, tu bouffes les intérêts. Et ces intérêts on les donne aux pêcheurs ».
Seules quelques réunions, avec les églises notamment, sont au programme avant de clore ce projet de près de cinq ans. Les travaux de rédaction du cahier des charges et de préparation du comité de gestion sont déjà en cours, et le rāhui doit être présenté au conseil municipal avant la fin de l’année. « Ça sera un rāhui conçu et géré à 100% par Bora Bora », tient à préciser le maire, également président de l’Assemblée de la Polynésie française.
Le Pays, bien sûr, est invité à « aider », mais la commune et le futur conseil de gestion, où devraient être représentés scientifiques, professionnels de la pêche et du tourisme et associations, se réservent le droit de prendre toutes les décisions adéquates « sur la base des études qui vont se poursuivre dans le lagon ».
Les lagunes des hôtels « ont aidé à sauver le lagon »
C’est un des enseignements des études menées ces dernières années sur le lagon de Bora Bora. D’après la mairie, les concessions maritimes accordées aux hôtels, qui excluent de fait la pêche dans plusieurs zones du lagon, ont servi, de fait, de « protection ». « On s’est rendu compte que certaines espèces avaient colonisé ces endroits et s’en servaient de lieu de reproduction », assure Gaston Tong Sang. Pahua dans la lagune du Saint-Regis, Platax au Four Seasons… « Ces lagunes, ça a un peu été les premiers rāhui » de Bora Bora, confirme Tehani Maueau. La mairie réfléchit à leur conférer un statut officiel à l’occasion de la mise en place du grand rāhui.
Charlie René pour Radio 1 Tahiti
*Principe hérité de la Polynésie ancestrale, le rāhui, longtemps oublié, est de nouveau pratiqué sur le territoire, tant il répond aux besoins de préservation des ressources. Si la pratique actuelle du rāhui diffère du rāhui pratiqué aux temps anciens, le principe est le même : restreindre ou interdire totalement l’accès ou l’utilisation d’une zone ou d’une ressource.