En Nouvelle-Calédonie, le village minier de Thio ne se porte plus nickel

En Nouvelle-Calédonie, le village minier de Thio ne se porte plus nickel

Depuis la fermeture des mines SLN à Thio, à la suite des violences du 13 mai, les salariés sont au chômage, les médecins sont partis, les distributeurs de billets et les pompes à essence sont vides… C’est un village fantôme qui vit de la débrouille et sur ses souvenirs de ville dynamique d’il y a 100 ans.

Les temps sont durs pour Alcide Tieoue. Le Calédonien s’en sort en troquant du manioc ou du poisson, depuis que le poumon économique de sa commune a fermé : la mine de nickel qui avait fait de Thio un bassin prospère, devenu village fantôme. Jusqu’à sa fermeture dans la foulée des émeutes qui ont embrasé la Nouvelle-Calédonie en mai, la mine, adossée au plateau rocheux et ocre façonné dans la montagne, faisait vivre tout le village de la côte est, un temps surnommé « Nickeltown ».

Voilà plusieurs mois que la SLN (Société Le Nickel), durement touchée pendant les violences, n’a pas rouvert, poussant quelque 450 employés et sous-traitants comme Alcide Tieoue vers le chômage partiel, une aide qui touche à sa fin. Cette mine, « c’est toute ma vie », confie l’agent de sécurité de 56 ans, dont 35 sur ce site. Depuis quatre mois, il « tourne en rond ». « J’aimerais reprendre mais pour l’instant on ne sait pas où on va », confie-t-il en ce vendredi de fin septembre, coiffé d’une casquette Palika, le Parti de libération kanak.

Lui est retourné vivre de la débrouille dans sa tribu, l’une des douze qui entourent Thio. « Je pêche dans la rivière, j’échange mon manioc contre des produits », raconte-t-il à l’ombre d’un arbre, approuvé par des compagnons d’infortune assis à l’arrière d’un utilitaire, portes ouvertes. Le déclin est fulgurant, dans cette commune où l’exploitation minière aimante la main-d’œuvre depuis la fin du XIXe siècle.

« Effet boule de neige »

Les deux médecins sont partis, les magasins ont tiré le rideau -désormais tagués de messages de soutien au jeune abattu mi-août à Thio par les forces de l’ordre-, tout comme le centre d’hémodialyse. Les distributeurs de billets sont vides, faute de route sécurisée pour les approvisionner. Les écoles ont rouvert, mais beaucoup d’élèves sont déjà inscrits ailleurs : les bus scolaires ne circulent de toutes façons pas davantage que les fourgons blindés et un des deux collèges va devoir fermer. Les classes seront mutualisées.

Seuls trois commerces résistent. Une pharmacie, une station-service qui n’a plus d’essence depuis des mois -il faut faire une heure de route pour en trouver- et une supérette, dont la fermeture à 13 heures coïncide avec le moment où l’artère principale se vide. Depuis que les médecins ont quitté le village, la pharmacie a vu son chiffre d’affaires baisser de 65 %, explique son propriétaire Yves Caill, venu de métropole il y a 14 ans.

Lui met un point d’honneur à maintenir les salaires de ses deux employés, pourtant au chômage technique : « Je ne sais pas combien de temps je vais tenir. Je n’ai rien d’autre, si je ferme, je suis retraité clodo », cingle le sexagénaire. « Quand on arrête l’activité principale, le poumon économique, il y a un effet boule de neige », convient Jean-Patrick Toura, maire de Thio dont il est originaire. Le risque d’une « désertification » totale est réel, déplore l’édile. Les discussions se poursuivent aujourd’hui, lundi 30 septembre, avec la SLN, favorable à une reprise de l’activité selon Jean-Patrick Toura. Sollicitée par l’AFP, la société n’a pas souhaité s’exprimer.

« Gâchis »

La pause, assure le maire, aura au moins laissé le temps de « repenser le modèle socio-économique » autour de la mine, après plus d’un siècle d’exploitation « au détriment » des riverains. Dans ce bastion indépendantiste, la rancœur envers cette vitrine économique, perçue comme un symbole de la prise de possession de l’archipel par la France, est profondément enracinée. Elle alimente depuis des décennies les grèves et les blocages, récemment en raison d’une route qui traverse les terres autochtones pour atteindre le port.

« Depuis 150 ans d’exploitation du minerai, les tribus n’ont rien. On doit bénéficier des retombées de l’argent du nickel », revendique Joseph Nepamoindou, chef de clan de la tribu de Saint-Paul, dénonçant également la « pollution de la rivière » en contrebas de la mine. Le blocage actuel est un « grand gâchis », juge pour sa part Mickaël Maperi, 59 ans, parti à la retraite juste avant les émeutes, après 35 ans chez SLN.

De sa maison en bois, sur laquelle ses casques de chantier verts sont toujours suspendus, on aperçoit le téléphérique qui faisait autrefois descendre le précieux caillou vert par bennes jusqu’à la vallée. Pour l’ex-syndicaliste, barbiche blanche et physique puissant hérité de trois décennies comme ouvrier, la société minière est à la croisée des chemins. Mais si elle relance l’activité, elle devra « ne pas reproduire les mêmes erreurs, ne pas regarder que le chiffre d’affaires », conseille Mickaël Maperi. 

Pour réconcilier la mine et Thio, il a une idée : « Un Kanak doit en prendre la tête ».

Avec AFP