Chute importante de l’activité et reprise molle… Si les conséquences de la crise sanitaire ont été amorties par l’intervention du Pays et de l’État, la Polynésie reste un des territoires français les plus durement touchés par le Covid. Entre risque d’inflation et difficultés de remboursement des PGE, les défis restent nombreux en 2022. Entretien de notre partenaire Radio 1 Tahiti avec le directeur de l’IEOM en Polynésie, Fabrice Dufresne.
Un rebond, mais plutôt mollasson. C’est ce que semble connaître actuellement l’économie de la Polynésie. En 2020, elle avait subi, comme ailleurs, la paralysie du confinement, les freins des fermetures de frontières ou des mesures sanitaires. Certains prévoyaient alors un effondrement du PIB dépassant les 10 voire les 15%. La Polynésie a évité le pire, mais avec une estimation de récession de 7,8% sur 2020, elle fait moins bien que les Antilles, La Réunion, la Guyane ou la Nouvelle-Calédonie. « La Polynésie a été l’économie ultramarine la plus affectée par la crise sanitaire » rappelle ainsi Fabrice Dufresne.
Certes, la Collectivité d’Outre-mer a été un peu moins lourdement touchée que l’Hexagone, et sa récession de 8%, mais elle ne connaît pas non plus le même rebond. En 2021, l’économie nationale a repris 7% d’après les dernières estimations, quand l’économie polynésienne, elle, ne fait que ralentir sa chute : -2% d’après des estimations de l’ISPF.
Résultat : quand la France, comme la plupart des territoires d’Outre-mer, devrait retrouver son PIB d’avant crise dès ce premier semestre 2022, la Polynésie, qui prévoit 2 à 3% de croissance cette année (4% de prévision au niveau national), devra attendre au moins 2023 ou 2024. Pour expliquer ce « rebond mou » en Polynésie, le directeur de l’IEOM met en avant, entre autres, les mesures de restrictions de déplacements aériens qui ont affecté, plus qu’ailleurs, les déplacements touristiques, et le niveau de consommation des entreprises polynésiennes.
Inflation, consommation… Certaines craintes « totalement fondées »
Pour faire repartir la machine, on pense bien sûr au tourisme, très sensible aux humeurs du Covid. Mais le moteur de l’économie de Polynésie, c’est avant tout la consommation des ménages. Et de ce côté-là, les derniers chiffres, qui datent du troisième trimestre, soufflent le chaud et le froid : si la réouverture des frontières de juin 2021 a abouti à une reprise visible, les Polynésiens continuent à mettre de côté : 40,6 milliards de francs (340 millions d’euros) d’épargne constituée entre mars 2020 et septembre 2021.
Les ménages polynésiens sont-ils inquiets ? C’est ce que semblent confirmer les deux enquêtes sur la situation des ménages menées par l’IEOM dans le cadre du Cérom et dont la dernière remonte à août 2021, en plein confinement. « La perception des ménages de la situation économique et du marché de l’emploi reste pessimiste pour la majorité d’entre eux », explique le directeur d’agence, qui prévoit une nouvelle enquête dans les prochains mois. Faire repartir la consommation des ménages et des entreprises… Pas facile dans le contexte actuel, marqué, en plus des inquiétudes épidémiques, par des craintes vis-à-vis de l’inflation. De ce côté-là, « la crainte est totalement fondée », reprend Fabrice Dufresne qui cite l’augmentation de 1,7% de l’indice des prix en 2021.
« Nous évoluons dans une période de tensions inflationnistes très fortes liées à plusieurs facteurs : la hausse du prix de l’énergie, du prix du conteneur, du coût du transport et des éventuelles ruptures d’approvisionnement », détaille le directeur de l’institut. « Cela crée des tensions qui peuvent peser sur l’économie polynésienne et qui seront beaucoup plus perceptibles en 2022 ». Les hausses du SMG et de la fiscalité, et notamment la contribution pour la solidarité, ex-tva sociale prévue pour avril, pourraient, elles aussi, peser dans cette inflation.
65% des entreprises ont commencé à rembourser leur PGE
Autre inquiétude pour l’année à venir, la santé des entreprises polynésiennes. L’IEOM avait déjà mesuré, dans une note, leur endettement, qui s’est considérablement alourdi depuis le début de la crise. Pour autant, Fabrice Dufresne se veut optimiste : l’activité de crédit du troisième trimestre dernier laisse présager un retour à la normalité.
Quant aux PGE – 55 milliards de francs (460,9 millions d’euros) au total pour près d’un millier d’entreprises – beaucoup craignent qu’ils causent des défauts en cascade lors du début des remboursements. Mais le directeur veut là aussi nuancer : 65% des entreprises ont commencé dès 2021 à rembourser leur PGE, sans problèmes notables. Les autres, qui ont saisi l’opportunité du report d’un an, doivent normalement commencer à payer cette année, à partir d’avril, avec, il est vrai, des mensualités renforcées.
Difficultés en perspective ? Probablement, pour les plus fragiles. Mais certaines entreprises, surtout les plus petites, pourront profiter d’une nouvelle rallonge. Dans la lignée des discussions entre les partenaires sociaux et le président Emmanuel Macron, en juillet, un « accord de place » a été signé par le ministre national des Finances Bruno Le Maire, avec l’IEOM, la Fédération bancaire française, et le gouverneur de la Banque de France. Il permet de revoir le délai de remboursement de ces PGE de 6 à 10 ans maximum, à partir du 15 février, sous l’égide de la médiation du crédit représentée par l’IEOM.
Mais cette extension n’est pas un droit automatique : un expert-comptable doit attester des difficultés de remboursement du PGE, et les perspectives de redressement de la situation financière seront étudiées « avec attention ». L’IEOM, qui a injecté un total de 54 milliards de francs (452,52 millions d’euros) dans le système financier polynésien depuis le début de la crise compte bien « continuer à jouer son rôle ». Et poursuivre sa « politique monétaire accommodante » : taux d’intérêts bas, et possibilité de financements avantageux pour les banques pour qu’elles puissent elles-mêmes « continuer à financer les entreprises et les ménages ».
Charlie René pour Radio 1 Tahiti.