Dans le centre de la Nouvelle-Calédonie, des habitants comme "coupés du monde"

© Ville de Bourail

Dans le centre de la Nouvelle-Calédonie, des habitants comme "coupés du monde"

Une île dans une île: à Bourail, village à moins de 200 kilomètres au nord de Nouméa, les habitants vivent toujours comme "coupés du monde" et inquiets pour l'avenir, malgré le relatif retour au calme que connaît la Nouvelle-Calédonie après deux semaines d'émeutes.

 

Les nombreux barrages qui entravent la circulation et les difficultés d'approvisionnement compliquent toujours le quotidien de cette commune, représentative de la Calédonie rurale. Ses 5.500 habitants ont assisté à distance au déchaînement de violences à Nouméa après le vote d'une réforme contestée par les indépendantistes.

Patrick Robelin, le maire de Bourail, 65 ans, est inquiet. Sa commune du centre de la Grande Terre est à 167 kilomètres de Nouméa. On y accède habituellement en deux heures de voiture mais depuis le 13 mai, "on est complètement enclavés", dit-il.

Sur le Caillou, tout passe par la RT1, l'axe principal: les hommes mais aussi les marchandises et surtout, le carburant. Pas de train ou de liaison maritime.  "En ce moment, on se croirait sur une île au milieu de nulle part, coupés du monde, à attendre qu'un bateau vienne éventuellement nous ravitailler", raconte l'ancien directeur d'école, non indépendantiste mais élu sur une liste plurielle.

L'unique rue du village, habituellement très animée, est quasi-déserte. La commune est le point névralgique de tout le centre du territoire. Eleveurs isolés, habitants des tribus montagneuses viennent s'y ravitailler, tout comme ceux de la côte Est, moins bien achalandée.

Depuis que la tension est redescendue le week-end dernier, le patron de l'épicerie prend chaque jour la route pour ramener de quoi remplir ses rayons. Le supermarché, lui, ouvre seulement deux heures par jour. "En ce moment, les barrages sont filtrants, pas bloquants, mais jusqu'à quand ?", s'interroge Patrick Robelin. "On a réussi à avoir un camion de carburant, mais la station-services est réservée aux forces de l'ordre et aux professions prioritaires, ça commence à créer des tensions". 

Les agriculteurs, piliers de l'économie locale, tirent la langue. D'ici peu, ils ne pourront plus labourer leurs champs, faute de gasoil.

Médicaments apportés par la mer 

Avec son conseil municipal, Patrick Robelin a mis en place une cellule de crise. Puisque l'on ne peut plus passer par la route, un quai de débarquement a été aménagé dans l'urgence en bord de mer. 

Mercredi, L'Amborella, navire scientifique du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, a déposé une cargaison de médicaments pour le pharmacien et le vétérinaire et quelques denrées commandées par les commerces de la zone. "Mais, puisqu'on ne sait pas combien de temps la situation va durer, on voudrait mettre en place des rotations avec une barge de 800 tonnes. Là, on pourrait vraiment être tranquilles d'esprit, et surtout faire venir du carburant". 

© Gouvernement de Nouvelle-Calédonie 

L'idée d'une rotation par la mer séduit également les agriculteurs, dans l'incapacité d'acheminer leurs produits vers Nouméa, leur principal débouché. 

Pour que L'Amborella ne fasse pas le voyage à vide, Franck Soury-Lavergne, président de l'association Bio Calédonia, est venu de La Foa, village situé au sud de Bourail, avec ce qu'il a pu collecter chez ses adhérents: "de la salade, des mandarines, des tomates, des concombres, etc."

"Tout est déjà vendu à nos clients de la capitale", explique l'agriculteur, qui aimerait que l'opération soit renouvelée. Là on doit avoir trois tonnes, c'est déjà ça, mais c'est peu. La situation économique était déjà difficile, et maintenant on se retrouve avec nos produits sur les bras, tandis qu'à Nouméa, ils manquent de tout!"

Autre secteur vital pour la commune, le tourisme est totalement sinistré. La station balnéaire de Poé, au bord du lagon turquoise, est totalement désertée. 

"Même ici, loin des affrontements de Nouméa, on va avoir une crise économique terrible", redoute Patrick Robelin, avant de foncer vers une nouvelle urgence: ramener par la route, depuis Nouméa, des enfants partis en voyage scolaire dans l'Hexagone, tout juste rentrés après 15 jours d’attente par un vol de rapatriement.

Avec AFP