Cybersécurité : La Nouvelle-Calédonie, victime de sa connectivité

Cybersécurité : La Nouvelle-Calédonie, victime de sa connectivité

Aujourd’hui, le territoire calédonien est en proie à des cyber-attaques de plus en plus ciblées. 87% des entreprises calédoniennes n’auraient pas de pares-feux. Pour les experts, il est donc primordial de créer et de développer une filière de cybersécurité afin de combler un déficit de compétences. Un sujet du journaliste Hugo Coëff pour notre partenaire Actu.nc.

L’Agence de l’Union européenne pour la cybersécurité (Enisa) a publié, le 20 octobre dernier, un rapport annuel sur l’état des cybermenaces. Il en ressort que cette année est profondément marquée par la pandémie de Covid-19 « qui a fait naître de nouveaux enjeux ». Ainsi, 71% des organisations ont été confrontées à des logiciels malveillants qui se sont propagés d’un employé à un autre. Le rapport poursuit en expliquant que la pandémie a profondément transformé l’environnement numérique des États européens, avec la généralisation du télétravail pendant la période de confinement. « Tout en travaillant à domicile, les spécialistes de la cybersécurité ont dû adapter les défenses existantes à un nouveau paradigme d’infrastructure ».

Si la dépendance vis-à-vis du numérique – de plus en plus sophistiqué – ne cesse d’augmenter, le manque de formation aux bonnes pratiques dans l’usage des outils numériques est également un facteur à risque de cyber-attaques. « L’écart entre le niveau global de la population et le niveau minimum qu’il faudrait qu’elle ait n’arrête pas d’augmenter. Un besoin qui est également observé pour les professionnels de la cybersécurité », indique Laurent Rivaton, société AdDo et expert en cybersécurité.

Plus de 10 millions d’attaques ces deux derniers mois

En 2019, une étude notait que le nombre de postes à pouvoir dans la cybersécurité dans le monde était de plus de 4 millions pour un nombre de professionnels actifs de 2,8 millions. « En 2019, nous avions donc 2 800 000 personnes en activité et il en aurait fallu 4 millions de plus », soulignent les experts. Ce manque de main d’œuvre serait principalement concentré dans la zone Asie/Pacifique avec une demande de 2,6 millions de personnes. « La même étude, mais datée de 2018, permet de mettre en évidence qu’en à peine 1 an, nous sommes passés d’un besoin mondial d’un peu moins de 3 millions à plus de 4 millions de professionnels », constate l’expert en cybersécurité.

Depuis quelques mois, le nombre de cyber-attaques a augmenté dans certains pays et la Nouvelle-Calédonie n’y échappe pas. « La science de la cybersécurité étant relativement jeune, les indicateurs de la cybersécurité en Nouvelle-Calédonie sont encore rares », déplore Xavier Bahuon, gérant d’action Cyber et consultant en cybersécurité. Pour quantifier les attaques, les experts calédoniens ont toutefois mis en place, il y a deux mois, une méthode de défense active – « honeypot » – qui consiste à attirer des hackers (pirates informatique) sur des ressources telles que des serveurs, des programmes, des services… afin de répertorier les attaques. « Au bout de 5 minutes, nous avions déjà des premières attaques et en 2 heures nous avions plusieurs milliers d’attaques ». Une semaine après sa mise en place, ce « pot de miel » a reçu plus de 4 millions d’attaques. « Après deux mois d’activité, nous avons constaté plus de 10 millions d’attaques », note Xavier Bahuon, gérant d’action Cyber et consultant en cybersécurité.

Plus de 80% de la population a un smartphone et un compte Facebook

Le nombre grandissant de ces assauts met donc en lumière une surexposition du territoire aux attaques numériques. D’après une étude de Statista – portail en ligne allemand offrant des statistiques issues de données d’instituts –, de 2020, l’Islande, qui est une île comparable à la Nouvelle-Calédonie, serait le pays le plus exposé aux risques cyber dans le monde. Nos proches voisins, comme la Nouvelle-Zélande ou l’Australie, sont classés respectivement à la 8e et à la 16e place des 50 pays les plus exposés aux risques cyber.

Une exposition aux cyber-risques due notamment à des facteurs aggravants pour les pays développés ayant des revenus élevés et un taux d’utilisation des outils numériques important. Si la Nouvelle-Calédonie n’a pas été étudiée, les experts du territoire ont calculé cet indice avec 8 des 14 indicateurs utilisés lors de l’étude. D’après les experts, au regard de ces critères, la Nouvelle-Calédonie se situerait entre la 15e et 20e place. Le Caillou serait donc plus à risque que des pays comme la France, le Japon ou même l’Allemagne…  « Plus un pays utilise internet, plus il se voit exposé aux attaques. La Nouvelle-Calédonie en fait partie puisqu’elle est pratiquement championne du monde. Près de 80% de la population calédonienne utilise Facebook. De plus, 80% de la population possède un smartphone contre un peu plus de 60% pour la moyenne mondiale », affirme Xavier Bahuon.

Création d’une filière de cybersécurité

En outre, selon l’Observatoire du Numérique, 25% des entreprises auraient déjà été victimes d’une attaque au cours de l’année 2020 avec comme origine des virus (80%). Afin d’éviter au maximum les cyber-attaques, la mise à jour des logiciels, l’installation de pares-feux et d’anti-virus, la sauvegarde des données et la création de bons mots de passe sont les 5 grands principes conseillés par les experts.

Pour les experts calédoniens, « l’enjeu est d’arriver à trouver les bons axes pour améliorer le niveau de sécurité global. Si les bonnes pratiques étaient respectées, le pourcentage d’entreprises connectées utilisant un pare-feu devrait être de 100%. Ce type d’équipement fait partie des protections de base ». Avec 87% des entreprises calédoniennes sans pares-feux, un réel besoin en matière d’amélioration du niveau de sécurité se fait ressentir sur le territoire. Les experts ont décidé de lancer un projet de création et de développement d’une filière afin de susciter des vocations, de former à la cybersécurité et de stimuler la demande. « Il y a un déficit de compétences aussi bien chez les utilisateurs que chez les professionnels. Il faut arriver à le résorber ».

Enfin, depuis plusieurs années, la Nouvelle-Calédonie tente de trouver des stratégies économiques d’après nickel. Et la cybersécurité pourrait être une porte de sortie. Plusieurs pays ont choisi cette option comme Israël. En effet, leader dans ce domaine, la cybersécurité rapporte près de 7 milliards de dollars d’export par an au pays et emploie 20 000 personnes. S’il n’est pas question de comparer la Nouvelle-Calédonie à Israël, cela peut toutefois donner des idées. Un autre exemple est l’Estonie. Impactée par une cyberattaque en 2007, l’Estonie a décidé d’investir dans la cybersécurité. Sur 5 ans, plus de 50 entreprises se sont créées représentant 500 emplois. Et pourquoi pas la Nouvelle-Calédonie ?

Hugo Coëff pour Actu.nc