Centre pénitentiaire de Nouméa : la « honte de la République », selon l’Observatoire international des prisons

©B. Bolze pour le Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Centre pénitentiaire de Nouméa : la « honte de la République », selon l’Observatoire international des prisons

Dans une note publiée le 7 avril, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP) détaille les conditions indignes de détention au Centre pénitentiaire de Nouméa, dit le « Camp-Est ». Surpopulation, cellules fortement dégradées, conditions d’hygiène déplorables, manque chronique de soins, oisiveté, absentéisme des surveillants, détérioration de la situation depuis les émeutes de mai 2024… Et des autorités qui peinent à changer les choses.

 

 On l’appelle aussi « l’île de l’oubli », témoigne un homme incarcéré au Centre pénitentiaire de Nouméa. Les conditions de détention y sont en général indignes. Depuis 2013, par exemple, cette prison héberge une partie des détenus dans des containers maritimes. Ces situations ont été dénoncées à de multiples reprises, assorties de recommandations précises. Cependant, « le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en 2019, le tribunal administratif et le Conseil d’État l’année suivante, puis de nouveau le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, a condamné l’État en octobre 2024 pour sa lenteur à exécuter les injonctions précédentes », rappelle l’OIP.

La surpopulation est alarmante. « Les taux d’occupation s’établissaient en décembre (2024) à 157,1% au quartier maison d’arrêt (QMA) et 148,5% au quartier centre de détention (QCD) – soit respectivement 308 prisonniers pour 196 places opérationnelles et 288 pour 194 places, et 173 matelas au sol », ajoute l’OIP.  Promiscuité, entassement des détenus à trois, quatre ou cinq personnes dans des containers prévus pour deux, simples prévenus et condamnés mélangés, toilettes et douches séparées par des draps ou des bâches, ces conditions ont finalement entraîné des mutineries après les émeutes de mai 2024, provoquant l’incendie de plusieurs bâtiments.

Les témoignages laissent pantois. « Moisissures » sur les murs, isolation thermique et phonique « inexistante », fenêtres sans vitres « couvertes de trois couches de caillebotis », « souris, punaises de lit, scolopendres, cafards, grenouilles, rats, fourmis, asticots » omniprésents, odeurs nauséabondes et mauvaises conditions d’hygiène, installations électriques et interphones hors service, canalisations rompues… la liste est longue des défaillances de l’administration pénitentiaire.

Pour répondre aux préconisations du CGLPL, le ministère de la Justice a toutefois engagé des rénovations commencées en mai 2021 : changement de fenêtres, installation de douches en cellules, blocs sanitaires dans les cours de promenades, etc. Mais d’après le témoignage d’une personne incarcérée dans un conteneur, en octobre 2024 : « Il y a eu des travaux dans certaines cellules, pas toutes. Malgré cela, il y a toujours des dysfonctionnements : le robinet fuit, les lumières ne marchent pas, les étagères sont cassées, l’interrupteur aussi, les toilettes déconnent. Ce n’est pas durable, les cellules restent sales, et tout le matériel se dégrade vite. Ce sont des travaux bâclés ».

©B. Bolze pour le CGLPL

L’OIP mentionne également la « très grande oisiveté », prévalant au centre pénitentiaire, ainsi que « la faiblesse des propositions de travail et d’activités ». Bibliothèque dégarnie, locaux de l’offre socio-culturelle saturés, insuffisance des emplois et des formations, et pas de salle de sport, en dehors de deux terrains de jeux. « Nous faisons de la musculation dans nos cellules, avec des bidons et des bouteilles d’eau », décrit ainsi un détenu.

 En outre, les prisonniers sont enfermés 23h sur 24, du fait notamment du manque chronique d’effectifs et de l’absentéisme des surveillants : « les cellules sont fermées tous les soirs à 17h, pour n’être rouvertes qu’à 6h le lendemain, et l’accès aux cours de promenade n’est plus libre en journée depuis cinq ans », relève la note. En ce qui concerne l’accès aux soins somatiques et psychiatriques, il reste totalement inadapté, avec des attentes de plusieurs mois pour une consultation. L’administration a aussi recours à des prescriptions massives de psychotropes, conduisant à de graves addictions.

Malgré tout, le CGLPL soulignait après sa dernière visite que « si la situation du centre pénitentiaire n’est pas explosive, c’est grâce à la conjonction de la qualité du personnel, très humain, et du degré d’acceptation des personnes détenues, dans leur majorité très dociles », rapporte l’OIP. Mais la donne a changé suite aux émeutes de mai 2024, avec une dégradation des relations avec les gardiens et un durcissement des conditions de détention. Aussi, constate un avocat cité dans la note, « les recours pour conditions indignes de détention sont excessivement nombreux. Les détenus souhaitent de plus en plus solliciter une indemnisation et sont scandalisés de la façon dont ils sont traités. »

Pour information, en Nouvelle-Calédonie, 265 personnes sont incarcérées pour 100 000 habitants, soit un taux 2,5 fois supérieur à celui de l’Hexagone, sans compter les dizaines de prisonniers qui y ont été transférés ces derniers mois. Les Kanak sont surreprésentés. « Si aucune étude statistique ne permet de le documenter, le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) de Nouméa estime ainsi que ‘plus de 90%’ des personnes détenues au centre pénitentiaire du Camp-Est sont Kanak, alors qu’ils ne forment que 41% de la population », précise l’OIP.

 

À lire : Guyane et Guadeloupe, des prisons surpeuplées selon le Conseil de l'Europe

 

À lire aussi : La Réunion : la présidente de la Région Huguette Bello, en visite à la prison de Domenjod, alerte sur la surpopulation carcérale

 

PM