Chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Marie Le Scolan revient sur les orientations diplomatiques et militaires françaises dans une étude intitulée « Retour sur le déplacement du ministre des Armées, Sébastien Lecornu, en Indopacifique : vers une inflexion de la stratégie française pour la région ? ». Elle y décrypte la portée géopolitique de la deuxième tournée du ministre dans la zone depuis sa prise de fonction.
Partenariat de développement établi avec l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) en 2021, accords stratégiques bilatéraux signés avec l’Indonésie (2011), Singapour (2012) et le Vietnam (2013), Paris s’investit de plus en plus en Asie du Sud-Est, selon Marie Le Scolan. « Le Pacifique est également présenté comme majeur, en raison du renforcement de l’engagement de la France aux côtés de ses partenaires océaniens ainsi que de la participation de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, territoires français ultramarins, au Forum des îles du Pacifique (FIP), organisation centrale au sein de l’architecture régionale », souligne-t-elle.
Pour la chercheuse, la stratégie française en Indopacifique a entamé un « recalibrage », « rendant nécessaire la définition de nouvelles orientations diplomatico-militaires pour la région ». Ainsi, le ministre des Armées Sébastien Lecornu s’est rendu aux Philippines le 2 décembre 2023 pour rencontrer son homologue et signer une lettre d’intention portant notamment sur des activités « visant à rehausser les différents volets de la relation bilatérale de défense ». De même, le 8 décembre, Sébastien Lecornu se trouvait en Malaisie pour renforcer la coopération dans le domaine de la sécurité, de la technologie et de l’industrie de défense.
« L’approfondissement de ces deux partenariats se justifie par la prise en compte de l’évolution du contexte stratégique et du rapport de forces en Indopacifique par les cercles diplomatico-militaires français », écrit Marie Le Scolan. La menace est ici clairement identifiée par les revendications de Pékin dans la région sur les frontières maritimes en mer de Chine méridionale. Pour l’autrice, Paris ne peut pas ignorer les luttes d’influence en cours, en particulier la compétition sino-américaine. « Ces mutations stratégiques sont l’occasion, pour les parties prenantes ici concernées, de réaffirmer leur attachement au droit international, à la sécurité, et à la stabilité, valeurs cardinales de l’approche française », ajoute la chercheuse.
Le ministre des Armées Sébastien Lecornu lors de la conférence de presse de clôture de la réunion des ministres de la Défense du Pacifique Sud à Nouméa, le 6 décembre 2023
La France ambitionne aussi de renforcer son action dans le cadre des organisations multilatérales régionales comme l’ASEAN, qui veut faire de l’Indopacifique une zone non-alignée et respectueuse du droit international. Cela se traduit notamment par « une nouvelle présence de la France au sein de la conférence des ministres de la Défense de l’ASEAN élargie en tant qu’observateur. Le recalibrage de la stratégie française se fait donc en articulation avec les enceintes de discussion régionales, par le biais de l’ASEAN en Asie du Sud-Est, mais également par le biais de celles à l’œuvre dans le Pacifique Sud dont le Forum des Îles du Pacifique et dans le cas présent du SDPMM (South Pacific Defence Ministers Meeting, réunion des ministres de la Défense du Pacifique Sud, ndlr) », constate Marie Le Scolan.
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L’autrice note que Paris est sensible aux préoccupations des îles du Pacifique sur les questions climatique et environnementale. La France a par exemple réalisé une étude sur les impacts du dérèglement climatique sur la défense et la sécurité dans le Pacifique Sud d’ici à 2030. Durant la réunion du SDPMM de décembre 2023, elle a élaboré un document pour faciliter la mise en œuvre de ses recommandations. « Les membres du SPDMM ont convenu d’instaurer un groupe de travail intersessions pour favoriser les progrès de l’ordre du jour. Le premier groupe de travail portera sur le changement climatique et sera présidé par la France », précise Marie Le Scolan.
La chercheuse relève que la stratégie indopacifique de Paris a été souvent critiquée car, selon ses détracteurs, ne disposant pas les moyens de ses ambitions. Mais selon elle, la tournée de Sébastien Lecornu dans la région a donné « l’image d’une approche graduée, pragmatique qui cherche à s’adapter en se régionalisant et en ‘s’attachant aux spécificités des sous-ensembles’, notamment leurs préoccupations stratégiques prioritaires ». Au final, Marie Le Scolan salue le souhait de la France de travailler avec les organisations multilatérales régionales existantes sur des thématiques telles que sécurité et défense, économie, connectivité, recherche, règle de droit, changement climatique, biodiversité et gestion durable des océans, tout en respectant la souveraineté des États membres.
PM