Transformer des conteneurs en logements à Mayotte : un projet inédit porté par la Fondation SMA et La Varappe

Des conteneurs réaménagés en logement à Saint-Louis et en école primaire à Miramas ©CRESPEAU

Transformer des conteneurs en logements à Mayotte : un projet inédit porté par la Fondation SMA et La Varappe

À Mayotte, la Fondation du Service Militaire Adapté (SMA) et le Groupe La Varappe lancent un projet ambitieux qui répond simultanément aux défis de la crise du logement et du manque de formation professionnelle dans le bâtiment. L'initiative vise à transformer des conteneurs maritimes inutilisés en logements durables par des jeunes du SMA formés pour l’occasion aux métiers du bâtiment, créant ainsi un modèle local, durable et reproductible pour d'autres territoires ultramarins. Laurent Laïk, président du groupe La Varappe et Guillaume Villemot, directeur général de la Fondation SMA nous présentent les contours de cette initiative innovante et prometteuse.

Une réponse adaptée aux urgences locales

Présent à Mayotte depuis 2017 à travers l’agence d’intérim Eureka et LVD Environnement, spécialisée dans la collecte de bouteilles plastiques, le groupe La Varappe étend désormais ses activités à la construction, notamment avec sa marque Homeblok, dédiée à la transformation de conteneurs maritimes en logements durables. Fort de son expertise hexagonale dans la construction modulaire à base de conteneurs (notamment à Berre-l’Étang, près de Marseille), La Varappe entend proposer une offre de conteneurs habitables adaptés à la réglementation thermique, acoustique et aération applicable dans les outre-mer, RTAA DOM.

Guillaume Villemot et Laurent Laïk 

Dans la droite ligne de sa raison d’être « permettre à chacun de jouer son rôle dans la société », le groupe met l’insertion au cœur de ce projet. Les conteneurs seront entièrement fabriqués localement par des jeunes du SMA, formés aux métiers du bâtiment par La Varappe et employés en contrat salarié par Homeblok, leur offrant ainsi une première expérience professionnelle qualifiante.

Un dispositif de formation adapté aux réalités locales

Le projet propose un parcours de formation intensif de 10 mois. Le fait que ces jeunes soient rémunérés dès leur entrée en formation est un atout majeur : « À Mayotte, où la précarité est élevée, il est difficile de demander à des jeunes de se former sans revenu. C’est pour cela que nous avons fait le choix de leur garantir un salaire, dès le premier jour », explique Laurent Laïk.

Le modèle de formation permet aux bénéficiaires de s’insérer rapidement dans le tissu économique local. « Notre objectif n’est pas seulement de former, mais de garantir une insertion professionnelle durable. L’idée est que ces jeunes travaillent sur des projets de transformation de conteneurs, mais aussi qu’ils trouvent ensuite un emploi durable au sein des entreprises partenaires locales », ajoute Guillaume Villemot. Il précise également qu’un partenariat a été établi avec CMA CGM pour maîtriser les contraintes logistiques : « nous achetons auprès de CMA CGM des conteneurs dont ils n’ont plus l’usage. L’idée est d’optimiser la logistique en les faisant venir depuis Marseille, chargés de matériaux nécessaires à la production. Ce qui permet non seulement de limiter les coûts logistiques, mais aussi d’alimenter directement la production locale en ressources. »

Pour rendre possible la formation, il a d’abord fallu doter Mayotte d’un plateau technique adapté. Après deux années de démarches, La Varappe est parvenue à acquérir un terrain de 2 500 m² à Dzoumonié, dans le nord de l’île, à proximité du port et des principaux axes stratégiques : « Ce projet a pu voir le jour grâce au soutien de la Communauté d’agglomération du Nord (CC Nord). Sur ce site, La Varappe a installé un équipement semi-industriel, comprenant un bâtiment de 700 m² dédié notamment à la formation professionnelle » explique Laurent Laïk. L’usine sera opérationnelle à partir de l'été 2025, avec une première session de formation prévue pour la même période.

Un chantier à Mayotte 

Un modèle de financement mixte public-privé

Le coût de la formation est élevé : « Grâce au soutien d'AKTO, l'organisme collecteur des fonds de formation, nous avons mis en place un dispositif qui nous permet de prendre en charge les coûts pédagogiques et les salaires des personnes dès le début de leur formation. Ces jeunes sont rémunérés dès le début de leur apprentissage, grâce à un contrat de travail temporaire. » précise Laurent Laïk.

Cependant, ce projet, bien que porteur de solutions concrètes, n’est pas sans risques, souligne-t-il : « L’enjeu, ce n’est pas seulement de les salarier pendant leur formation : c’est de leur permettre, à terme, de construire une vie professionnelle durable. L’idée, c’est qu’ils ne retombent pas dans des dispositifs d’assistanat, mais qu’ils puissent s’insérer durablement dans le monde du travail. C’est un pari audacieux, mais il faut savoir prendre des risques pour transformer les défis en opportunités ».

La Fondation SMA est un acteur clé dans ce processus, car elle permet de mobiliser des acteurs privés comme la Fondation Total, le Crédit Agricole de Mayotte, et la Fondation CMA CGM dont les financements complémentaires accélèrent la mise en œuvre de ce projet. Mais pour que le projet fonctionne pleinement, il faut aussi que les entreprises jouent le jeu et ouvrent leurs portes aux jeunes qui sortent de formation.

Habiter autrement : la promesse tenue des logements modulaires

Au départ, l’accueil réservé à ces nouveaux logements est teinté d’une certaine suspicion. L’idée de vivre dans des contenaurs métalliques ne fait pas rêver. Mais au fil du temps, la perception évolue.

La Varappe a déjà installé plus de 1 500 logements modulaires dans l’Hexagone et les retours sont très positifs. D’abord, les locataires constatent que les coûts énergétiques sont bien plus bas grâce à une meilleure isolation. Ensuite, ils se rendent vite compte que le confort à l’intérieur est bien supérieur à ce qu'ils avaient pu expérimenter dans d’autres logements temporaires ou d’urgence.

Les premières réticences disparaissent souvent une fois qu’ils réalisent que les containers sont aménagés pour répondre aux normes de confort les plus strictes, avec une isolation thermique et acoustique de qualité, une climatisation efficace, et une décoration extérieure adaptable : bois, bambou, métal... tout est possible.

Un engagement nécessaire : « Si nous ne prenons pas cette responsabilité, qui le fera ? »

Les premières livraisons de logements sont prévues pour la fin de l'année : « Il ne s’agit pas seulement de loger, mais de reconstruire autrement, avec les ressources locales et un savoir-faire durable », conclut Guillaume Villemot.

Implanter un dispositif d’insertion et de formation à Mayotte, c’est faire face à une réalité complexe. À Mayotte, la situation sociale est marquée par une forte précarité, et les publics concernés par ce type de programme sont souvent éloignés de l’emploi : « Si nous ne mettons pas en place ce dispositif, personne ne le fera. Mettre en œuvre un tel projet sur ce territoire n’a rien d’évident. Ici, tout est plus complexe. Il ne s’agit pas de rentabilité financière. Quand on parvient à l’équilibre, c’est déjà une réussite. Ce que nous visons, c’est de transformer des parcours de vie, avec des outils adaptés à la réalité locale. » explique Laurent Laïk.  Il souligne également la résilience dont font preuve les Mahorais qui subissent successivement crises sociales et catastrophes naturelles : « Cela force à adapter nos modèles, à abandonner nos schémas préconçus et à faire preuve d’agilité. C’est cette capacité à agir malgré l’instabilité qui donne toute sa valeur à l’initiative. »

Avec ce modèle hybride, à la fois social, écologique et économique, Mayotte pourrait bien devenir un exemple à suivre pour d’autres régions d’Outre-mer. D’ores et déjà, des perspectives concrètes s’ouvrent en Guyane et dans le Pacifique dès 2026.

EG