Battue par les vents, au sud de l'océan Indien, la base de Port-aux-Français aux Kerguelen, est particulièrement animée en ce jour de décembre où le navire ravitailleur Le Marion Dufresne s'amarre un peu au large, pour la dernière rotation de l'année.
La base (50 habitants l'hiver, 80 l'été) est considérée par les résidents des autres îles subantarctiques comme la « capitale » des terres australes avec sa trentaine de bâtiments tournés vers la mer, et quelques routes carrossables qui permettent de circuler en voiture.
Outre le personnel des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) chargé de la logistique et quelques voyageurs en balade pour la journée, il amène avec lui des scientifiques venus en mission pour la campagne de l'été austral et qui repartiront lors du prochain passage du bateau, dans trois mois.
Dans le bâtiment de vie commune grand comme un gymnase, la cheffe de district (« disker » en langage taafien), Valérie Covacho, accueille les arrivants avec un petit discours centré sur les règles de sécurité. Elle explique aussi qu'en ce 24 décembre, il y a trop de travail pour fêter Noël. Les festivités sont repoussées au 26, une fois le navire reparti.
Retraitée de l'armée de l'air, la cheffe de district, cheveux blonds tirés en queue de cheval, assume cet accueil ferme : « Je dis les choses. Je montre la voie. S'ils en sortent, je les reçois pour savoir pourquoi. (...) Je ne fais aucune différence entre militaires et volontaires du service civique, hommes ou femmes ».
Valérie Covacho repart vite surveiller les opérations logistiques : vivres et matériel qui doivent permettre à la base d'être autonome pendant trois mois sont disséminés en camionnette dans les différents bâtiments. Le chaland de la base repart avec les bagages des hivernants qui ont terminé leur mission de 14 mois.
Espèces introduites
Parmi les nouveaux arrivants, un petit groupe part visiter la cabane Jacky, à quelques heures de marche de la base. Les 45 cabanes de Kerguelen, un territoire grand comme la Corse, tiennent une grande place dans la vie des scientifiques, leur permettant de partir en « manip » plusieurs jours pour observer la faune locale.
Pour y accéder, on longe le rivage, où se tiennent quelques manchots, survolés par des pétrels géants subantarctiques et des sternes des Kerguelen, avant de piquer dans les terres. Puis, on traverse un plateau recouvert d'aceana, une plante locale dont les pompons violets donnent des teintes d'automne au paysage. De jeunes éléphants de mer placides s'abritent du vent en se creusant des cavités dans le sol.
Manon Latour et Florent Lacoste, agents de la direction de l'environnement des TAAF, font remarquer aux visiteurs les terriers de lapins, une espèce introduite qui est presque venue à bout de plantes locales, ou encore des pissenlits dont les fleurs jaunes d'or n'ont rien à faire dans les îles subantarctiques. On croise aussi un chat et des carcasses de rennes.
« Dans la flore des Kerguelen, on trouve un tiers d'espèces natives et deux tiers d'espèces introduites et notre objectif est d'en limiter le nombre », explique Manon Latour. Pour cela, les agents de la direction font des relevés et dans certaines zones tentent de les éradiquer en les arrachant. « Il faut attendre cinq ans pour s'assurer que ça marche », souligne-t-elle.
Réconfort
A Port-aux-Français, c'est l'heure du déjeuner. Tout le monde converge vers le réfectoire. Pierre Ecoiffier, 41 ans, à la tête de l'équipe de quatre cuisiniers et personnel de salle, a servi 82 personnes deux fois par jour depuis un mois, montant à 150 lors de la rotation du bateau ravitailleur.
Le nombre fluctue en fonction de ceux qui sont en « manip ». Il tient donc à jour un planning pour savoir combien de repas servir et tenir compte des préférences des uns et des autres. Sur la base, loin de la civilisation, le repas, « c'est le moment de réconfort », surtout « quand on a passé une mauvaise journée », note ce Brestois au visage rond qui tient à « écouter les demandes de tout le monde » et « essaie de varier les plats tous les jours ».
Pendant que les deux médecins de la base font visiter à leurs remplaçants l'hôpital qui, en plus de la classique salle d'examen, comprend cabinet dentaire et salle de chirurgie pour assurer les urgences, deux ornithologues profitent de leur première journée sur Kerguelen pour entamer leurs observations.
William Jouanneau, du laboratoire d'études biologiques de Chizé (Deux-Sèvres), et Samuel Perroteau, ingénieur d'étude, travaillent pour le projet Toxsea Bird, qui tente de mesurer les effets de certains polluants issus du plastique, notamment sur la reproduction. En bord de mer, à un jet de pierre des derniers bâtiments de la base, des goélands nichent sur l'herbe jaunie par le sel.
Les deux hommes déposent avec précaution une cage sur un nid. Une fois l'oiseau capturé, ils mettent un bonnet sur l'œuf pour qu'il reste au chaud et attrapent précautionneusement le goéland pour ne pas l'affoler. Ils le mesurent, le pèsent et le baguent « pour éviter de le recontrôler ». Ils effectuent ensuite des prélèvements, sanguin notamment.
La journée a filé. C'est l'heure du départ pour les scientifiques et agents de l'environnement qui viennent de passer plus d'un an aux Kerguelen. Toute la base est réunie devant l'aire de décollage de l'hélicoptère. Musique et rires se mêlent au brouhaha, quelques larmes aussi. Par groupe de cinq, les partants effectuent le court vol vers le pont du Marion Dufresne, laissant leurs remplaçants débuter leur aventure.
Avec AFP.