A Mayotte, les études permettant de recenser le nombre de femmes victimes de violences sexuelles sont rares, tout comme la parole à ce sujet, car ce type de violences reste tabou dans la société mahoraise.
« Je me souviens encore lorsque l'élastique de mon sous-vêtement a claqué sec contre ma peau. J'entends ce bruit comme un écho depuis tant d'années maintenant. Ce bruit qui me rappelle sans cesse que tu étais celui qui devait m'aimer envers et contre tout, mais que tu as décidé de devenir le monstre qui habite mes nuits », écrit Saïrati Assimakou, victime d'inceste lorsqu'elle était enfant, qui a décidé 23 ans plus tard de raconter son histoire dans un ouvrage « Ose et ça ira ». Aujourd'hui, la Mahoraise est à la tête de l'association Ose libérer ta parole, Souboutou Ouhédzé Jilaho en himaoré (la langue locale).
Car à Mayotte, « le tabou est énorme », estime Marine Martin, chargée de mission au sein de l'association Haki Za Wanatsa, qui traite notamment des violences sur mineurs. Selon Alizé Potié, chargée du service de lutte contre les violences sexistes et sexuelles de l'association Mayotte profession sport et loisirs, il y a « deux freins majeurs à cela : la religion (l'islam est très largement majoritaire à Mayotte, NDLR) et les idéologies ».
Sur ce territoire d'Outre-mer, « le consentement est notamment vu différemment », souligne-t-elle. « Dans le mariage, il n'y en a pas par exemple. Le mariage forcé est complètement banalisé. Tout comme certaines formes de violence. » Les témoignages qu'elle recueille lors de ses actions de prévention parlent souvent d'inceste, de prostitution ou de violences conjugales. Mais le problème majeur est que « certaines agressions ne sont pas perçues comme telles ».
Selon une étude de l'association Haki Za Wanatsa sur les violences sexuelles à Mayotte, réalisée en 2022 à partir d'un questionnaire en ligne, « 11% des répondants ne savent pas identifier ce qu'ils ont vécu et 82% disent n'avoir reçu aucune éducation familiale à la vie affective et sexuelle dans leur enfance ». Par ailleurs, selon l'étude, « 37% des 700 répondants disent avoir déjà subi une agression sexuelle ». « C'est environ deux fois plus qu'en métropole, assure Lydia Barneoud, directrice de l'association. Il y a un problème massif sur l'île. »
Négation de la souffrance
De plus, les conséquences des violences sexuelles seraient, ici, souvent sous-estimées. « Deux de mes cousines se sont fait violer par leur frère. Mais ma mère ne comprend pas pourquoi elles ne vont pas bien. J'essaye de lui expliquer la souffrance que cela peut provoquer. Mais pour elle, si tu n'es pas blessé physiquement, tu n'as rien », confie Fayina Dhakioine, en service civique au sein de l'association Haki Za Wanatsa.
Pour la jeune Mahoraise, il est donc compliqué de faire prendre conscience à la génération de ses parents que ces violences peuvent détruire. Il n'y a d'ailleurs « aucun mot pour parler des violences sexuelles en shimaoré », poursuit la jeune femme. « Ici, on a tendance à protéger les agresseurs plutôt que les victimes pour sauver l'honneur de la famille. On marie d'ailleurs encore les auteurs de violences sexuelles à leurs victimes », soupire Marine Martin.
Mayotte est également le deuxième département de France le plus touché par les grossesses précoces et les IVG sur mineures, après la Guyane. Sur l'île, les féminicides témoignent d'ailleurs de la violence à laquelle peuvent être confrontées les femmes. Le 10 novembre dernier, un corps sans vie a été retrouvé, égorgé, dans un champ à Doujani, près de Mamoudzou. Quelques mois plus tôt, fin juin, le compagnon d'une architecte de 33 ans, avouait avoir étranglée cette dernière avant de se débarrasser de son corps dans une benne à ordures. La victime n'a toujours pas été retrouvée.
Avec AFP