Face à l’incroyable richesse de biodiversité que représentent les 480 km2 de récifs coralliens mahorais et à une heure où le réchauffement climatique se fait plus oppressant que jamais, les équipes du Parc Marin se mobilisent pour surveiller l’état de nos précieux coraux. Après plusieurs alertes sur le blanchissement des coraux dans les îles voisines autant que dans certaines zones de Mayotte, les forces vives du Parc se sont mobilisées pour établir l’état général de ces animaux aux vertus fondamentales pour la biodiversité de l’île au lagon. Le corail de Mayotte serait-il menacé ? Reportage de notre partenaire France Mayotte Matin.
Il est environ 7h30 du matin lorsque le navire du Parc s’évade vers l’horizon, aux premières lueurs d’un soleil qui semble plus ardent encore qu’à l’accoutumée. L’objectif du jour : le suivi du blanchissement du corail autour de Petite-Terre, avec trois zones précises à explorer. Il ne faudra au puissant navire du Parc que quelques minutes avant d’arriver sur la zone de Titi Moya derrière l’aéroport. Pendant que l’un des lourds aéronefs d’Air Austral se pose sur la piste, deux plongeurs s’équipent. Tenues en lycra, carnets submersibles en main et palmes aux pieds, les professionnels plongent pour explorer les fonds marins, et dresser le portrait de l’état du corail dans cette zone précise.
Une mission de suivi du blanchissement absolument nécessaire face à la prépondérance du corail dans la vie marine, et son incommensurable influence sur l’ensemble des écosystèmes du lagon. Et pourtant, cet animal si particulier est des plus menacés. Cet organisme vit en symbiose avec des algues pratiquant une photosynthèse qui permet à l'animal polype de construire le corail et de vivre. Ce même corail est entièrement dépendant de ces algues mobiles qui, sous l’effet du stress, jouent la fille de l’air. Et ce stress peut être généré par diverses raisons, avec en chef de file, le manque de lumière. Le blanchissement du corail n’est autre qu’un état d’alerte, du moins en premier lieu : les algues qui le nourrissent ont fui, et faute de photosynthèse, les polypes se voient réduits au jeune. Rien de définitif dans cet état ; si les conditions redeviennent favorables et que les algues reviennent dans un court laps de temps, le corail survit. Mais si la perturbation dure trop longtemps, c’en est fini de l’animal...
De bonnes nouvelles sur le front du blanchissement
Quelques minutes et quelques brasses plus tard, les professionnels du Parc Marin font un heureux constat : le blanchissement est moindre dans la zone. Une donnée qui corrobore celles collectées le mardi précédent, où le Parc faisait alors le tour de Grande-Terre pour les mêmes raisons. Et pourtant en dépit de ces nouvelles éminemment positives, l’inquiétude était, à la base, très réelle. Les alertes blanchissements des îles voisines, notamment celle de La Réunion, avaient de quoi alerter. Mais la situation est d’un autre acabit à Mayotte, et une fois n’est pas coutume, bien plus positive.
La passe en S, une ressource exceptionnelle de biodiversité épargnée
Le navire redémarre et s’oriente vers la passe en S, seul véritable endroit protégé de l’île, où toute activité de pêche est interdite, en dépit de quelques pêcheurs de calamars récalcitrants. Un endroit où la biodiversité est plus préservée que jamais, laquelle a un effet véritable sur l’état des coraux. Preuve en est, Clément Lelabousse, chargé de mission qualité de l’eau au Parc Marin nous dira que « la passe en S n’est pas du tout touchée par le blanchissement, ça nous rassure ». Il nous expliquera leurs méthodes : munies d’un masque et d’un tuba, les équipes plongent avec un carnet submersible sur lesquels elles notent le nom des différentes stations, le taux de recouvrement (c’est à dire la surface de coraux sur le fond marin), le taux de blanchissement sur les fonds marins et dans ce taux, le nombre de formes dominantes de coraux ayant souffert du blanchissement.
Un blanchissement localisé dû aux pressions anthropiques
Enfin, le navire s’éloigne. Pas une embarcation en vue, seuls les flots lisses d’une mer d’huile s’offrent aux regards des passagers. Vers 9 heures du matin, alors que le navire s’arrête sur la zone des îlots d’Hajangoua, le magnifique ballet d’un groupe de dauphins tursiops vient déchirer le calme plat des eaux du lagon. S’il est interdit de s’approcher de ces mammifères, rien ne les empêche de s’approcher eux-mêmes des embarcations, et ces magistrales créatures sont de nature plutôt curieuse. Et alors que les mammifères s’éloignent, les plongeurs remontent à la surface, un peu plus dépités. Sur les 75 % de fonds marins recouverts par les coraux, environ 50 % des animaux coralliens ont souffert d’un blanchissement.
Mais rien d’étonnant à cela : dans la zone, les coraux forment le récif frangeant, le plus près des littoraux et entièrement soumis à la pression anthropique. Toujours selon Clément Lelabousse, s’il est compliqué de quantifier les différentes pressions, « la pression anthropique est la plus importante : c’est le ravinement de terre et de sédiments. Les bassins versants à Mayotte sont très cultivés, il y a souvent des travaux de construction, cela engendre de la terre qui ravine, et cela amène de la turbidité dans le lagon, ça envase le lagon et ça étouffe les coraux ».
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Des blanchissements aussi liés à des phénomènes climatiques comme El Nino, qui amènent de la chaleur dans le canal du Mozambique : « ces phénomènes arrivent de plus en plus souvent ». Sauf qu’il faut à peu près trois ans à un récif qui a blanchi pour se régénérer. Sans compter qu’il perd ensuite un peu de sa diversité génétique, et donc de la résilience. Donc si les épisodes de blanchissement arrivent trop fréquemment, les récifs vont avoir bien du mal à se remettre...
Un blanchissement mineur cette année
En somme, l’épisode de blanchissement massif tant redouté n’est pas de mise pour le moment. Mayotte n’aura pas été soumise aux mêmes affres que ses voisines régionales ; les alertes locales n’auront été basées que sur les récifs frangeants, c’est à dire ceux qui sont les plus susceptibles d’être affectés par la pression anthropique. Mais à l’échelle de l’ensemble du lagon, le constat est positif. Et heureusement car selon Naomi Scholten, chargée de mission écosystèmes marins : « Le corail est un habitat qui abrite une grande biodiversité, notamment pour les poissons, qui se servent du corail pour s’abriter, se nourrir. Préserver cet habitat, c’est préserver toutes les espèces associées à cet habitat, donc préserver les ressources pour l’homme et les activités qui se développent autour de cette biodiversité, la pêche, le tourisme... ».
Et comment oublier les vertus du corail en termes de service écosystémique : la barrière protège l’île des vagues tout comme elle crée un écosystème propre au développement des ressources halieutiques. « Le corail, c’est la base de la chaîne alimentaire de tout ce qu’il y a dans l’eau » déclarait hier Christophe Fontfreyde, directeur du Parc Marin. Il s’agit alors de ne pas oublier que l’homme est en haut de cette chaîne, et que la moindre modification dans cet écosystème pourrait avoir de larges répercussions, tout particulièrement sur une société insulaire à l’instar de celle de Mayotte...
Mathieu Janvier pour France Mayotte Matin.