Mayotte : L’agence May’Santé en opération « transparente » de recrutement dans l’Hexagone

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Mayotte : L’agence May’Santé en opération « transparente » de recrutement dans l’Hexagone

Dans sa stratégie d’attirer des professionnels de santé au centre hospitalier de Mayotte (CHM), l’agence May’Santé recrutement réalise depuis mars jusqu’au mois de juin une tournée dans plus d’une dizaine d’écoles d’infirmiers dans l’hexagone. Une opération séduction « transparente » sur les atouts et inconvénients à venir qui doit aussi s’accompagner, selon l’agence, d’un travail de fidélisation pour lutter contre le turnover et le manque d’attractivité. Un sujet de notre partenaire Mayotte Hebdo. 

« Ma compagne vend des motos. En trois ans, elle a eu trois bris de glace et un vol de scooter. Ça casse le mythe qu’on se fait caillasser tous les quatre matins. J’ai acheté ma maison à Mayotte, soit je suis débile, soit en métropole les médias amplifient la situation », juge sans passer par quatre chemins Éric Bedeau de l’Écochère, consultant à l’agence May’Santé recrutement en déplacement dans l’hexagone.

Pour la toute première fois, depuis mars et jusqu’à juin, trois consultants s’y relaient pour intervenir dans différentes écoles d’infirmiers, quelques congrès, et ainsi parler de Mayotte, son hôpital, ses besoins et convaincre de venir y travailler. Une quinzaine d’établissements a déjà été visitée, d’autres pourraient s’ajouter selon des invitations reçues pendant la tournée. « Une trentaine d’infirmiers est potentiellement intéressée », indique celui qui explique que l’objectif n’est pas « de mettre la pression » pour venir, mais de « planter une graine et la laisser germer ».

Pas d’intervention en amphithéâtre, le recruteur travaille à partir d’un stand, avec des flyers, pour discuter avec des personnes de première, deuxième ou troisième année d’études qui envisagent peut-être déjà de partir en Outre-mer. « Ce qui les freine d’abord pour venir à Mayotte, c’est l’insécurité », rend-il compte. « Je les rassure sur les conditions de vie mais je suis très clair sur les conditions de travail : le manque d’effectifs, mais la grosse montée en autonomie et en compétences possible », décrit-il. Car, complète le responsable de l’agence à Mayotte, Yasser Moustoifa, qui insiste aussi sur la qualité du matériel hospitalier présente au CHM, « un candidat qui va s’installer à Mayotte et repartir deux mois plus tard n’a pas d’intérêt pour nous. »

« Les personnes viennent sur des petits contrats »

En 2022, l’agence, récompensée par le trophée de l’innovation RH la même année, a été créée par le CHM et l’Agence régionale de santé (ARS) pour pallier les difficultés de recrutement. Elle se focalise sur les métiers en tension (contrairement au service recrutement du CHM) : infirmiers, sages-femmes, médecins, infirmiers spécialisés (anesthésistes, blocs opératoires et puériculture), manipulateurs en radio, masseur-kinésithérapeutes...

C’est ainsi qu’en 2023, 346 infirmiers ont été recrutés, 400 médecins et un peu plus de 200 sages-femmes, indique, de tête, le responsable. « Ça peut paraître énorme mais il y a du turnover. La réalité est que les personnes viennent sur des petits contrats. » Encore en 2024, l’hôpital cherche à pourvoir 160 postes d’infirmiers (contrat minimum d’un an) dont des spécialisés (contrat minimum de trois mois), des médecins etc. « On recrute partout », clarifie-t-il, citant tout de même deux secteurs en pénurie : le pôle gynéco-obstétrique (maternités, néonatalogie), où des sages-femmes ont même pu signer des contrats d’un mois, et le service des urgences.

Si une partie du problème vient de la « mauvaise image » exportée de Mayotte, voire une « pénurie nationale » concernant le recrutement de professionnels médicaux, ce responsable depuis un an explique qu’il faut aussi, en interne, « améliorer le processus de recrutement, de l’arrivée du candidat jusqu’à son départ » et travailler sur des « mesures de fidélisation ». Telles que : l’allongement de la durée de contrat (ne serait-ce que pour avoir le temps de former les nouveaux arrivants), une réflexion sur la qualité de vie au travail (par des journées d’intégration, de l’encadrement) et sur les avantages financiers comme les aides à l’installation « face à la pénurie immobilière » et un parc immobilier du CHM « restreint ».

« Le serpent qui se mord la queue »

« Jusqu’à présent, on était sur des contrats assez courts parce qu’on avait ce besoin continuel de combler et de renforcer les effectifs au risque de fermer par exemple des maternités. Aujourd’hui, c’est important de repartir sur des durées de contrat plus longues pour pérenniser les postes, pas parce que ça va mieux mais parce que c’est nécessaire », a -t-il suggéré à la direction du CHM, quitte à conserver une flexibilité pour les périodes creuses, sans que des décisions sur de nouvelles durées soient prises.

« On réfléchit sur pas mal de choses en ce moment. L’idée est que d’ici peu on puisse avancer sur ces sujets ». Il table sur le fait de « recruter moins mais recruter plus long ». Car pour lui, « c’est le serpent qui se mord la queue ». « Un bon encadrement pour monter en compétences est un argument pour attirer des candidats mais c’est aujourd’hui délicat à cause du manque d’effectifs. Et s’il y a un manque d’effectifs, vous tirez sur la corde des agents, ça crée de l’épuisement. Ajouté à cela le contexte extérieur de Mayotte, ça pousse les gens à partir. Tant qu’on n’aura pas réglé le souci des effectifs, les gens viendront mais ne resteront pas », tranche celui qui évoque avoir parlé avec des personnes qui partent de l’hôpital, non pas uniquement pour des raisons d’insécurité mais aussi d’organisation en interne.

« Quand il y a un manque d’effectifs, ça entraîne forcément une organisation qui n’est pas efficiente. Ça a un impact sur les agents », détaille-t-il, sans jeter la pierre sur les responsables. Or, dans le travail de recrutement, il y a certes la communication gérée par May’Santé recrutement, cette première tournée dans l’hexagone et « la chasse aux candidats » réalisée par les consultants tout l’année, mais il y a aussi la cooptation, le réseautage. « Les infirmiers et les médecins parlent autour d’eux. Ce sont les premiers ambassadeurs. Si une mauvaise image est véhiculée, ça va très vite se savoir et se répercuter. Tandis que si on travaille sur l’accompagnement, le professionnel partira avec une bonne expérience et aura envie de recommander Mayotte », juge Yasser Moustoifa.

Un pari sur le long terme qui reste à étudier pour combler l’hôpital actuel et peut-être aussi réussir à remplir le second hôpital en projet à Combani dont la construction est annoncée en 2025... Et éviter la coquille vide.

Audrey Margerie pour Mayotte Hebdo